Le 28 août 1955, Emmett Till, un adolescent afro-américain de 14 ans originaire de Chicago, arrive à Money, Mississippi, pour passer l’été chez son grand-oncle Moïse Wright. C’est la première fois qu’il visite le Sud, une région marquée par une ségrégation raciale rigide et des tensions raciales très fortes.
Avant son départ, sa mère, Mamie Till, lui conseille de faire attention à ses manières, spécialement envers les Blancs, car le climat racial y est très hostile. Durant ce séjour, un incident tragique se produit dans une épicerie locale : Emmett est accusé d’avoir importuné Carolyn Bryant, la femme du propriétaire. Cette accusation va déclencher l’un des crimes racistes les plus choquants de l’histoire américaine.
Sommaire
Un crime de haine sauvage
Dans la nuit du 28 août 1955, Roy Bryant, mari de Carolyn, et son demi-frère J.W. Milam enlèvent Emmett Till chez son oncle. L’adolescent est conduit dans un hangar où il est battu sauvagement, frappé à coups de poing et de crosse de revolver. Son visage est horrible à voir : son œil est arraché, l’autre crevé, et des blessures profondes couvrent son corps. Emmett est ensuite abattu d’une balle dans la tête.
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Pour s’assurer que son corps ne soit pas retrouvé, ils attachent un ventilateur de machine à égrener le coton autour de son cou avec du fil barbelé et jettent son corps dans la rivière Tallahatchie. Ce crime atroce symbolise l’extrême violence raciale dans le Sud des États-Unis à cette époque.
Un verdict profondément injuste
Lors du procès en septembre, malgré des preuves accablantes et le témoignage courageux d’un adolescent noir qui a entendu les coups, Roy Bryant et J.W. Milam sont acquittés en seulement 67 minutes par un jury entièrement blanc. Ce verdict inique révèle la réalité d’une justice partiale sous le joug de la ségrégation raciale.
Mais la mère d’Emmett, Mamie Till, refuse de laisser ce crime disparaître dans l’oubli. Lors des funérailles à Chicago, elle choisit d’exposer le corps mutilé de son fils, cercueil ouvert, pour que chacun voie l’horreur subie. Cette décision choque la conscience publique et déclenche une vague d’indignation qui va nourrir le mouvement pour les droits civiques.

Une lutte pour la justice et la vérité
L’histoire d’Emmett Till devient un puissant symbole pour la lutte contre le racisme et la ségrégation. À travers l’Amérique, cette tragédie inspire et galvanise une nouvelle génération d’activistes, donnant un élan décisif à des actions historiques comme le boycott des bus de Montgomery mené par Rosa Parks. La mémoire d’Emmett devient ainsi un cri pour la justice et un moteur inexorable contre les discriminations raciales.
Plusieurs décennies plus tard, en 2017, la réouverture de l’enquête révèle que Carolyn Bryant a menti dans son témoignage initial, ce qui relance l’espoir d’une justice rétroactive. Bien que les poursuites restent vaines faute de preuves suffisantes, cette étape illustre la volonté persistante de reconnaître la vérité et de rendre hommage à Emmett. L’engagement pour la justice ne faiblit pas, même face aux obstacles historiques.
Le « Emmett Till Antilynching Act »
En 2022, plus de soixante ans après la mort d’Emmett, les États-Unis franchissent un cap symbolique en adoptant le « Emmett Till Antilynching Act ». Cette loi inscrit le lynchage comme un crime fédéral de haine passible de peines allant jusqu’à trente ans de prison. C’est une reconnaissance claire de la gravité du lynchage comme acte de terreur raciste. Signée par le président Joe Biden, cette loi constitue l’aboutissement d’un combat long de plus d’un siècle pour lutter contre ce fléau.
Les lynchages traditionnels, publiques et extrajudiciaires, appartiennent heureusement au passé, mais la lutte contre les violences raciales reste capitale. Les États-Unis font face à des défis persistants liés aux injustices et aux violences motivées par la haine. Le souvenir d’Emmett Till continue d’alerter sur le besoin fondamental de vigilance et d’action pour défendre les droits humains et combattre toutes formes de racisme au XXIe siècle.
Illustration: Emmett Louis Till, 14 ans, avec sa mère, Mamie Till-Mobley à Chicago. © Getty Images / Chicago Tribune file photo / Tribune News Service
D’où vient le mot « lynchage »
Le terme lynchage trouve son origine chez Charles Lynch, un planteur de Virginie et colonel de milice durant la guerre d’Indépendance américaine. En 1780, face à une situation d’urgence et à l’absence de procédure judiciaire adaptée, il décide de rendre une justice expéditive contre des loyalistes sans passer par les tribunaux ordinaires. Cette justice sommaire, qu’il qualifie lui-même de « loi de Lynch », repose sur des décisions prises sur le champ, avec des peines arbitraires allant de la prison à la flagellation. Le mot finit par désigner toute forme de justice rendue hors du cadre légal, souvent violente et appliquée par une foule.
Charles Lynch est officiellement juge de paix en Virginie, mais il s’improvise juge sommaire pendant la guerre, rendant des décisions dans son domaine sans respecter les procès classiques. Il craint que les accusés ne soient libérés ou protégés s’ils sont transférés à Richmond, d’où sa volonté d’agir sur place. Bien que ses pratiques soient initialement critiquées, notamment par Thomas Jefferson, elles sont par la suite justifiées par l’Assemblée générale, qui reconnaît le caractère d’urgence de la situation et annule les poursuites contre lui.
La « loi de Lynch » consiste à appliquer des sanctions immédiates et arbitraires, souvent sans preuve ni procès, pour maintenir l’ordre dans un contexte d’insécurité. Cette forme de justice n’obéit pas aux règles ni aux protections normales des accusés, ce qui la transforme en un pouvoir discrétionnaire dangereux, propice aux excès et aux abus.
Cette pratique se répand rapidement dans les territoires nouvellement conquis où la justice officielle est absente. Pendant la Reconstruction, après la guerre de Sécession, le lynchage devient une arme de terreur principalement dirigée contre les Afro-Américains dans le Sud, afin de maintenir la suprématie blanche. Le Ku Klux Klan et autres groupes suprémacistes utilisent ces lynchages pour intimider, brutaliser et tuer des victimes sans procès. Entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle, des milliers de lynchages sont perpétrés, souvent par pendaison, symbolisant ainsi une justice populaire ravageuse.
Avec les lois des droits civiques dans les années 1960, cette pratique recule fortement mais n’a pas complètement disparu. Le terme « lynchage » s’est aussi élargi dans le langage pour qualifier, de façon péjorative, des attaques médiatiques ou verbales collectives. En 2022, les États-Unis criminalisent officiellement le lynchage au niveau fédéral avec l’Emmett Till Antilynching Act, rendant ainsi ce crime punissable partout sur le territoire.