Lithographie du naufrage du SS Artic

LE PLUS HONTEUX DES NAUFRAGES 📆 27 septembre 1854

Le 27 septembre 1854, le SS Arctic fait naufrage au large de Terre-Neuve, dans des circonstances qui marqueront l’histoire maritime comme l’un des plus scandaleux désastres en mer.

Le naufrage du SS Artic

Le SS Arctic est un fleuron de la marine marchande américaine. Construit en 1850 par la Collins Line, ce paquebot de 2 856 tonnes incarne l’ambition américaine de rivaliser avec la prestigieuse Cunard Line britannique sur les liaisons transatlantiques. Avec ses 284 pieds de long et ses moteurs de 2 000 chevaux, l’Arctic est le plus grand navire de son époque. La Collins Line, bénéficiant de généreuses subventions du gouvernement américain, vise à établir une domination dans le transport de passagers transatlantique. L’Arctic se distingue par sa vitesse, complétant régulièrement la traversée en dix jours ou moins, et par le luxe de ses aménagements, incluant chauffage à vapeur et eau courante.

Le 27 septembre 1854, l’Arctic entre en collision avec le Vesta, un navire français, dans un épais brouillard au large de Terre-Neuve. Le navire commence à couler lentement, et l’évacuation tourne au chaos total. Sur les 400 personnes à bord, seules 85 survivent, dont 61 membres d’équipage. Le principe « les femmes et les enfants d’abord » est totalement ignoré. Les canots de sauvetage, en nombre insuffisant, sont pris d’assaut par l’équipage et les passagers masculins les plus vigoureux, qui bousculent femmes et enfants. Aucune femme ni aucun enfant ne survit au naufrage, une situation sans précédent qui choque l’opinion publique.

Tu apprécies mes contenus. Clique ici pour soutenir l'édition de cet almanach.

Ce naufrage porte un coup fatal à la réputation et aux finances de la Collins Line. Deux ans plus tard, en 1856, un autre de ses navires, le Pacific, disparaît corps et biens. Ces tragédies, combinées à des problèmes financiers structurels liés à la consommation excessive de charbon des navires et à leurs coûts d’entretien élevés, conduisent à la faillite de la Collins Line en 1858. Cet événement marque la fin de la première tentative américaine d’établir une domination dans le transport de passagers transatlantique, laissant le champ libre à la Cunard Line britannique pour les décennies suivantes.


« Les femmes et les enfants d’abord ! »

Quand la mer se déchaîne et que le danger surgit, le principe « les femmes et les enfants d’abord » s’impose dans l’imaginaire collectif comme le sommet du courage et de l’altruisme. Aujourd’hui, ce réflexe évoque à la fois une société idéale et des scènes de panique, oscillant entre le mythe héroïque et la réalité tragique.

Naissance d’un mythe viril et sacrificiel

En 1852, l’histoire prend un tournant au large de l’Afrique du Sud : le HMS Birkenhead fait naufrage. Au petit matin, après avoir heurté un rocher, le navire se brise. Les officiers ordonnent alors aux passagers de sang-froid de laisser passer les femmes et les enfants, qui montent dans les rares canots disponibles. Les soldats restent au garde-à-vous, refusant l’affolement et la précipitation vers les chaloupes.

Cette discipline imprègne durablement l’esprit du public : on parle alors de la « Birkenhead drill ». Dès lors, la presse et la littérature se saisissent de ce geste exemplaire et en font la matrice d’un idéal viril, qui fait du sacrifice masculin une preuve de civilisation et de grandeur humaine. La scène laisse une empreinte profonde et inspire jusqu’aux scénaristes du XXᵉ siècle, du Titanic aux adaptations romanesques.

Une règle morale, pas une loi

En se penchant sur la réalité de cette règle, la surprise est grande : nulle part dans les lois maritimes du XIXᵉ siècle n’apparaît l’obligation de sauver femmes et enfants en priorité. Le principe relève d’une morale victorienne (la navigation transatlantique étant dominée par le Royaume uni à cette époque) : la société attend des hommes qu’ils protègent d’abord les plus vulnérables – femmes perçues comme fragiles, enfants comme innocents.

Mais la loi s’arrête là, et dans le chaos d’un naufrage authentique, cette norme se heurte fréquemment à l’instinct de survie. En l’absence de commandement strict ou de discipline, rares sont les bateaux où le mythe se concrétise dans les faits.

Des naufrages qui démentent la légende

Loin du mythe, l’examen des grandes catastrophes maritimes bouscule la légende. On aime rappeler qu’à bord du Titanic, la consigne du capitaine permet à plus des trois quarts des femmes d’être sauvées – mais ce résultat reste exceptionnel.

Sur d’autres navires de la même époque, le bilan est bien différent. Lors du naufrage du paquebot La Bourgogne, en 1898, à peine une femme survit sur près de 250 : le désordre, la panique et la priorité à l’équipage condamnent la plupart des passagers les plus vulnérables. Le même constat s’impose lors des drames du Norge ou du Lusitania, où les femmes et enfants payent un lourd tribut.

Les témoignages d’époque et les statistiques démontrent que la norme énoncée n’est qu’occasionnellement appliquée, et que dans la majorité des cas, la survie des hommes reste supérieure à celle des autres groupes.

Un héritage culturel plus que juridique

Aujourd’hui, cette règle continue de fasciner parce qu’elle incarne un idéal : celui d’une communauté capables de sacrifier la force pour protéger la fragilité. Pourtant, l’épreuve du feu révèle souvent une humanité plus imparfaite, tiraillée entre courage, peur et instinct de survie.

Le principe « les femmes et les enfants d’abord » plane comme un repère moral, réactivé par la littérature, le cinéma ou les commémorations. Il rassure : il propose au regard du public des modèles d’abnégation, mais ne dit rien, dans la réalité, des tensions et contradictions qui surgissent au moment de l’épreuve.

Les règles sur les canots de sauvetage à l’époque

Ce qui frappe lorsqu’on examine la législation maritime jusqu’au début du XXᵉ siècle, c’est l’extrême insuffisance du nombre de canots de sauvetage à bord des grands navires. La réglementation, héritée du XIXᵉ siècle et encore en vigueur au moment du naufrage du Titanic, calcule le nombre de canots en fonction du tonnage du navire, et non du total des personnes embarquées.

La croyance dans l’insubmersibilité des paquebots d’acier et l’idée que les canots doivent seulement permettre des transferts temporaires de passagers, en attendant les secours, expliquent ce sous-équipement massif. Ainsi, le Titanic dispose de 20 canots pour plus de 2 200 personnes : la capacité de sauvetage, même en conformité avec la loi, reste dramatiquement insuffisante pour affronter un naufrage soudain.

Ce n’est qu’après les grandes tragédies du début du XXᵉ siècle que l’on modifie la réglementation, imposant enfin assez de canots ou radeaux pour accueillir chaque passager et membre d’équipage présent à bord.


Illustration: Épave du navire à vapeur U.S.M. « Arctic », d’après une lithographie de N. Currier conservée à la Bibliothèque du Congrès, Division des estampes et des photographies, Washington, D.C. – Wikipédia