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Le chanteur de jazz - Film de 1927

QUAND UN CHANTEUR DE JAZZ LAISSE LES SPECTATEURS BOUCHE BÉE 📆 6 octobre 1927

Le 6 octobre 1927 Ă  New York, le cinĂ©ma bascule dans une autre dimension. Ce soir-lĂ , le public amĂ©ricain dĂ©couvre sur l’écran du Winter Garden Theatre le film « Le chanteur de jazz » (« The Jazz Singer »), rĂ©alisĂ© par Alan Crosland. DĂšs que l’acteur Al Jolson se met Ă  chanter puis Ă  parler face camĂ©ra, un silence de stupeur tombe, bientĂŽt remplacĂ© par des exclamations de surprise et des torrents d’applaudissements.

C’est la premiĂšre fois, en salle, que des spectateurs entendent la voix naturelle d’un acteur synchronisĂ©e Ă  l’image, avec cette sensation nouvelle d’une prĂ©sence vivante, authentique, presque palpable. La surprise est telle que nombre de spectateurs n’osent pas croire Ă  leurs oreilles. En quelques jours, la nouvelle fait le tour du pays puis de la planĂšte : le cinĂ©ma muet, roi incontestĂ©, vient de cĂ©der sa place Ă  une nouvelle Ăšre sonore, et rien ne pourra jamais effacer ce bouleversement.

Un scĂ©nario vibrant d’humanitĂ©

L’intrigue de « The Jazz Singer » touche le public par sa simplicitĂ© et sa force universelle. Jakie Rabinowitz, jeune garçon new-yorkais et fils d’un chantre juif, vit dans l’ombre d’une tradition familiale stricte : il est promis Ă  la succession de son pĂšre Ă  la synagogue, perpĂ©tuant cinq gĂ©nĂ©rations de chantres.

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Mais le jazz s’empare de son cƓur, l’entraĂźnant vers les clubs de Harlem et les salles enfumĂ©es oĂč s’invente la musique moderne. Lorsque son pĂšre dĂ©couvre son fils Ă  l’Ɠuvre dans un bar, la sanction est immĂ©diate : Jakie est chassĂ©, banni du foyer.

Loin des siens, le jeune homme façonne un nouveau destin sous le nom de Jack Robin. Il rencontre Mary Dale, une actrice marquĂ©e par la modernitĂ©, qui perçoit son talent et l’aide Ă  gravir les marches de Broadway. Mais Ă  ce sommet tant rĂȘvĂ© survient le dilemme : le soir de la premiĂšre, Yom Kippour frappe.

Sur son lit d’agonie, le pĂšre de Jakie ne peut honorer le rite familial. TiraillĂ©, Jakie choisit au dernier moment de quitter la scĂšne pour retrouver la synagogue et chanter le Kol Nidre, priĂšre sacrĂ©e devant une assemblĂ©e bouleversĂ©e et une mĂšre reconnaissante. Son pĂšre meurt en paix, rĂ©conciliĂ© avec son fils.

Le film s’achĂšve sur le retour de Jakie dans la lumiĂšre new-yorkaise, honorĂ© et aimĂ©, symbole d’une double rĂ©ussite personnelle et communautaire.

Une révolution technique : le procédé Vitaphone

Si « The Jazz Singer » bouleverse autant, c’est aussi par la prouesse technique que constitue le procĂ©dĂ© Vitaphone. Ce systĂšme synchronise mĂ©caniquement la projection d’une bobine de film muet et la lecture simultanĂ©e d’un disque phonographique gravĂ© avec la bande-son du film – musiques, chansons et dialogues. Ce disque, d’un diamĂštre impressionnant de 40 Ă  42 centimĂštres, tourne Ă  33 tours 1/3 par minute : un exploit technique permettant d’ajuster la durĂ©e du son Ă  celle du film, tout en limitant l’usure et la fragilitĂ© du support. Une fois enclenchĂ©, le projecteur entraĂźne un moteur reliĂ© au phonographe, assurant la synchronisation image-son.

L’enjeu est de taille : le public dĂ©couvre soudain la voix des personnages, non plus suggĂ©rĂ©e ou narrĂ©e par cartons, mais incarnĂ©e, incarnante, vibrante, proche, humaine. Pourtant, le procĂ©dĂ© reste prĂ©caire : Ă  la moindre avarie, la synchronisation se perd, et l’exploit n’est jamais acquis d’une sĂ©ance Ă  l’autre. Mais la magie opĂšre, et en une soirĂ©e, le silence Ă©ternel du cinĂ©ma laisse entrer la musique des mots et des sentiments.

Un choc pour le public

Le soir de la premiĂšre, la salle est littĂ©ralement bouleversĂ©e. Les spectateurs, habituĂ©s Ă  la chorĂ©graphie silencieuse des films muets, reçoivent de plein fouet l’irruption de la voix enregistrĂ©e. Quand Al Jolson se tourne soudain vers la camĂ©ra pour lancer : « Attendez un peu, vous n’avez encore rien entendu », le frisson parcourt la salle. Cette simple phrase, anodine dans d’autres circonstances, devient ici le signal d’une Ăšre nouvelle. Les applaudissements, les cris, les larmes : tout indique que le public mesure la portĂ©e de l’expĂ©rience ; certains ressortent mĂȘme choquĂ©s, bouleversĂ©s, Ă©mus comme par un miracle moderne.

Le succĂšs du film sauve le studio Warner Bros, en difficultĂ©, et prĂ©cipite l’ensemble de l’industrie dans le monde du parlant. Le succĂšs est tel que trĂšs vite, la demande explose sur tout le territoire puis Ă  l’international. Aux États-Unis, puis en Europe et autour du monde, on se presse pour voir, et surtout entendre, ce film prodige. Les studios investissent massivement. Les stars du muet apprennent Ă  parler. Le cinĂ©ma mondial sort du silence.

En France, ce frĂ©missement se transforme en impatience. Il faut attendre 1929 pour que le cinĂ©ma hexagonal propose son premier long mĂ©trage parlant Ă  grand succĂšs, « Les Trois Masques » d’AndrĂ© Hugon. L’industrie française, longtemps pionniĂšre, paraĂźt alors en dĂ©calage, et l’engouement pour le parlant, nĂ© aux États-Unis, gagne rapidement le public des salles françaises. Ce retard n’enlĂšve rien Ă  l’universalitĂ© du bouleversement. Aujourd’hui encore, « Le chanteur de jazz » reste bien plus qu’un exploit technique : il est le premier cri du cinĂ©ma moderne, l’instant oĂč l’écran se met Ă  parler pour ne plus jamais se taire.


Illustration: Affiche du film “The jazz singer”. – WikipĂ©dia