Napoléon face au Turc mécanique

QUAND FUT DÉTRUITE LA MACHINE QUI DÉFIA NAPOLÉON AUX ÉCHECS 📆 5 juillet 1854

Le 5 juillet 1854, la nuit tombe sur Philadelphie. Au musée Peale à Baltimore (Maryland, États-Unis), un incendie éclate soudainement, dévorant en quelques heures des trésors accumulés au fil des décennies. Le Turc mécanique, un étrange automate vêtu à la turque, un prodige qui a défié l’intelligence humaine et fasciné les foules pendant près d’un siècle, disparaît dans un tourbillon de cendres.

L’inventeur et son défi

Au cœur du XVIIIe siècle, Johann Wolfgang von Kempelen, ingénieur et inventeur hongrois, s’impose comme un esprit brillant et curieux. À la cour impériale de Vienne, il se distingue par sa polyvalence : il parle plusieurs langues, s’intéresse à la littérature, à la musique, à la physique et à la mécanique. Mais c’est lors d’un spectacle de magie donné devant l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche que son destin bascule.

Intrigué par les illusions de l’artiste François Pelletier, Kempelen promet à la souveraine de concevoir une invention capable de surpasser la magie. Il se lance alors dans la conception d’un automate qui ne se contentera pas d’exécuter des mouvements mécaniques : il devra jouer aux échecs, ce jeu réputé pour être le domaine de l’intelligence humaine par excellence.

Le prodige mécanique

Quelques années plus tard, le Turc mécanique fait son apparition à la cour. L’automate, vêtu d’un costume oriental, s’assoit derrière un échiquier en bois précieux. Devant un public médusé, il hoche la tête, déplace les pièces avec une précision troublante, et semble réfléchir à chaque coup.

Kempelen, maître de cérémonie, n’hésite pas à ouvrir les portes du meuble pour dévoiler un enchevêtrement d’engrenages et de ressorts, démontrant ainsi une prouesse purement mécanique. La machine semble dotée d’une intelligence propre, capable de répondre aux stratégies les plus subtiles.

À chaque démonstration, le mystère s’épaissit : comment une simple machine peut-elle défier les plus grands esprits du temps ?

Des adversaires célèbres

La réputation du Turc mécanique franchit rapidement les frontières de l’Empire. Rois, empereurs, savants et artistes affluent pour tenter leur chance contre l’automate.

Marie-Thérèse d’Autriche assiste, émerveillée, à la première partie officielle. Napoléon Bonaparte, curieux et joueur, tente de déstabiliser la machine par des coups inattendus, mais le Turc, imperturbable, remet les pièces à leur place avec une autorité presque humaine. Catherine II de Russie, fascinée par la modernité de l’Europe occidentale, invite le Turc à sa cour et s’étonne de sa dextérité. À Paris, Benjamin Franklin, ambassadeur et esprit éclairé, s’incline devant la machine au célèbre Café de la Régence. Même François-André Danican Philidor, considéré comme le meilleur joueur d’échecs du XVIIIe siècle, avoue que sa partie contre le Turc est « la plus fatigante de sa vie ». Plus tard, Charles Babbage, le père de l’informatique, se mesure à l’automate en Angleterre, cherchant à percer le secret de cette intelligence artificielle avant l’heure.

Chaque rencontre ajoute une pierre à la légende, et le Turc devient le symbole d’un progrès technologique qui semble défier les limites de l’esprit humain.

Un secret bien gardé

Au fil des décennies, le Turc mécanique parcourt l’Europe et l’Amérique, défiant les sceptiques et émerveillant les foules. Les rumeurs vont bon train : certains murmurent qu’un complice se cache dans le meuble, d’autres évoquent des systèmes mécaniques d’une complexité inouïe. Kempelen, quant à lui, cultive le mystère. Il ouvre les portes du Turc, montre les engrenages, mais jamais personne ne découvre la vérité. Il qualifie son invention de « pure bagatelle », préférant se consacrer à d’autres projets, comme sa célèbre machine parlante.

Après sa mort en 1804, le Turc passe entre plusieurs mains, continue de voyager, et affronte toujours de nouveaux adversaires. Les plus grands esprits, dont Edgar Allan Poe, tentent d’élucider l’énigme, mais aucun ne parvient à lever le voile. Le Turc devient un mythe, un défi lancé à la raison et à la science.

La révélation finale

Ce n’est qu’après la destruction du Turc mécanique, dans l’incendie du musée Peale en 1854, que la vérité éclate enfin. Trois ans plus tard, Silas Mitchell, fils du dernier propriétaire, publie une série d’articles qui dévoilent le secret tant gardé : le Turc n’a jamais été une véritable machine pensante.

Derrière les engrenages et le costume oriental, un joueur d’échecs humain, dissimulé dans un compartiment secret, observait les mouvements grâce à un système de magnétisme et de miroirs. Il manipulait le bras de l’automate à l’aide de leviers, donnant l’illusion d’une intelligence mécanique. L’ingéniosité de Kempelen résidait dans l’art de l’illusion, dans la capacité à faire croire à l’impossible.

Il est important de souligner que Kempelen est déjà décédé depuis un demi-siècle lorsque la supercherie est révélée au grand public : il n’a donc jamais eu à répondre de ce secret, sa réputation d’inventeur brillant est restée intacte comme la fascination pour son “invention”.


Marc Quenehen raconte et analyse avec brio la partie d’échec entre Napoléon et le Turc mécanique. Une vidéo passionnante même pour ceux et celles qui ne jouent pas aux échecs.


Illustration: image générée par IA

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