Le 3 octobre 2008, André Bellec s’éteint à l’âge de 94 ans, laissant derrière lui l’héritage d’un géant de la chanson française. Membre fondateur du quatuor Les Frères Jacques, l’homme en vert incarne près d’un demi-siècle de créativité, de fantaisie et d’humour scénique. Sa disparition marque la fin d’une époque et réveille la mémoire d’un groupe pas comme les autres.
Les Frères Jacques prennent racine dans la France d’après-guerre. Quatre passionnés, André et Georges Bellec, François Soubeyran et Paul Tourenne, se rencontrent par l’association populaire Travail et Culture. Ils partagent le goût des chansons que l’on entonne dans les auberges de jeunesse ou chez les scouts. Très vite, un désir commun émerge : marier le chant, la danse, le mime et la comédie, pour créer quelque chose d’inédit. Lorsque le quatuor se cherche un nom, il s’amuse de la mode des « Frères » et joue sur la ritournelle enfantine « Frère Jacques », si familière à tous.
Dès leurs premiers pas sur scène, Les Frères Jacques osent le costume : collants noirs, justaucorps de couleur différente pour chaque membre, gants blancs et chapeaux variés. Le décorateur Jean-Denis Malclès façonne cette identité scénique, inspirée des danseurs classiques. La gestuelle se libère, les mains gantées deviennent une chorégraphie à part entière. Cette audace intrigue ou amuse, mais elle marque les esprits : le groupe invente un véritable langage visuel, orchestration vivante de la chanson.
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En 1948, Les Frères Jacques partagent l’affiche à Saint-Germain-des-Prés avec Yves Montand et le mime Marceau. Le pianiste Pierre Philippe rejoint l’aventure, apportant rigueur et perfection musicale. Ils enchaînent les concerts, cumulent près de 400 chansons et séduisent un public avide d’humour et de poésie après les années sombres de la guerre. Ils remportent deux fois le Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros — notamment pour leur travail avec Jacques Prévert — et se produisent devant la reine mère d’Angleterre. Leur réputation dépasse la France, le quatuor devient l’ambassadeur d’un art populaire, tendre et irrévérencieux.
Les Frères Jacques rythment la culture française pendant près de quarante ans. Ils inspirent la scène musicale et théâtrale, inventent le spectacle total, et redonnent à chacun, comme le dit Jean Anouilh, une part d’enfance et de sourire. Derrière les costumes et les gags, se cache une rigueur de travail et une passion qui résonnent encore aujourd’hui. Le public réclame leurs chansons, accompagne chaque innovation, et transmet la mémoire d’un groupe qui transforme la chanson en art vivant.
La disparition d’André Bellec ravive ces souvenirs. L’homme en vert rejoint la légende, aux côtés de ses complices, laissant à la chanson française un patrimoine aussi tendre qu’exigeant, aussi joyeux qu’indélébile.
On aime, on n’aime pas, c’est un style 😉
Illustration: Les Frères Jacques en 1965 (Studio Harcourt). – Wikipédia
