Steuben - Bataille de Poitiers

« CHARLES MARTEL STOPPE LES ARABES À POITIERS » : UNE HISTOIRE UN PEU PLUS COMPLIQUÉE COMMENÇANT À TOULOUSE 📆 9 juin 721

Le 9 juin 721, Toulouse est le théâtre d’un affrontement décisif entre le duché d’Aquitaine, mené par Eudes, et l’armée omeyyade, alors en pleine expansion en Occident. Cette bataille, souvent éclipsée par celle de Poitiers, marque pourtant un tournant majeur : pour la première fois, une armée chrétienne inflige une défaite majeure aux forces musulmanes, stoppant net leur progression vers le nord.

Victoire à Toulouse

Le siège de Toulouse, qui dure plusieurs mois, voit la ville résister avec héroïsme, protégée par ses solides remparts gallo-romains et l’ingéniosité de ses habitants. Lorsque Eudes, à la tête du duché d’Aquitaine, parvient à surprendre les assiégeants, l’armée omeyyade, prise de court, s’effondre dans la panique. Le gouverneur d’Al-ʾAndalus, As-Samḥ ibn Mālik Al-Ḫawlāniyy, est mortellement blessé, et la victoire d’Eudes retentit jusqu’à Rome, où l’on comprend que l’Occident vient d’éviter un basculement historique.

Mais l’Aquitaine résiste seule

À cette époque, le royaume franc est divisé et préoccupé par d’autres menaces. Charles Martel, maire du palais sous le roi mérovingien Thierry IV et futur héros de Poitiers, combat alors les Saxons et ne répond pas aux appels à l’aide d’Eudes. L’Aquitaine, région prospère et fière de son autonomie, doit compter sur ses propres forces. Eudes mobilise Vascons, Bourguignons et Neustriens, formant une armée hétéroclite mais déterminée. La victoire de Toulouse, acquise contre toute attente, confère à Eudes un prestige immense. Pourtant, cette victoire n’est qu’un répit : les Omeyyades, humiliés mais loin d’être anéantis, reprennent leurs raids quelques années plus tard, prenant Carcassonne et Nîmes dès 725, puis ravageant Autun en 725.

Eudes doit faire appel à Charles Martel

Face à la recrudescence des attaques omeyyades, notamment après le sac de Bordeaux en 732, Eudes comprend qu’il ne peut plus défendre seul son duché. Il se résout à solliciter l’aide de Charles Martel, son rival du nord. Charles accepte, mais impose une condition : l’Aquitaine doit désormais reconnaître la suzeraineté franque. Eudes, contraint par l’urgence, accepte ce marché. Il perd ainsi l’indépendance durement acquise par ses prédécesseurs et se soumet à l’autorité du royaume franc. Cette alliance militaire permet de repousser l’invasion omeyyade lors de la bataille de Poitiers, mais marque le début du déclin politique de l’Aquitaine, désormais vassale de la puissance carolingienne.

Poitiers : une victoire en demi-teinte

La bataille de Poitiers, en octobre 732, est souvent présentée comme la victoire qui « sauve l’Europe » de la conquête musulmane. Charles Martel et Eudes, désormais alliés, infligent une défaite sévère à l’armée d’Abd al-Rahman, qui est tué au combat. Les pertes omeyyades sont lourdes, et l’avancée musulmane vers le nord est stoppée. Toutefois, la réalité est plus nuancée : les Omeyyades conservent des positions solides en Septimanie, notamment à Narbonne, et poursuivent leurs raids dans le sud de la Gaule pendant plusieurs décennies. Politiquement, Charles Martel sort renforcé, consolidant son autorité sur l’ensemble du royaume franc, tandis qu’Eudes, affaibli, voit son duché absorbé dans l’orbite carolingienne.

Charles Martel sort grandi, Eudes s’efface. L’histoire retiendra le premier, oubliant que Toulouse avait déjà infligé une défaite majeure aux Omeyyades.

Le mythe de Poitiers

Avec le temps, la bataille de Poitiers devient un mythe fondateur. Au XIXe siècle, dans le contexte de la construction du roman national, Charles Martel est érigé en « bouclier de la chrétienté », et Poitiers est présentée comme un affrontement décisif entre l’Occident chrétien et l’islam. Pourtant, les historiens contemporains nuancent fortement ce récit. D’une part, les Omeyyades ne cherchent pas à conquérir durablement la Gaule, mais mènent avant tout des raids de pillage. D’autre part, la présence musulmane se maintient dans le sud bien après 732. Les effectifs et les pertes sont largement exagérés dans les sources anciennes, et le rôle d’Eudes, pourtant central à Toulouse comme à Poitiers, est souvent occulté au profit de la gloire carolingienne.

Toulouse et Poitiers : deux maillons d’une même chaîne

Les batailles de Toulouse et de Poitiers illustrent une réalité complexe : la Gaule du début du VIIIe siècle est un territoire fragmenté, où alliances et rivalités se nouent au gré des circonstances. L’Aquitaine, longtemps indépendante, doit finalement s’incliner devant la puissance franque pour faire face à la menace omeyyade. Si Poitiers entre dans la légende, c’est aussi parce que la dynastie carolingienne, issue de Charles Martel, domine l’écriture de l’histoire. La victoire de Toulouse, pourtant décisive, reste dans l’ombre, victime des choix politiques et mémoriels de l’époque.

Aujourd’hui, les historiens s’efforcent de réhabiliter Eudes d’Aquitaine et de nuancer le mythe de Poitiers. L’enjeu, loin d’être purement religieux, est avant tout politique : il s’agit de contrôler le sud-ouest de la Gaule, de défendre des intérêts locaux et de survivre dans un monde en mutation. Cette histoire, bien plus complexe que la légende, rappelle que le passé ne se résume jamais à un affrontement entre deux blocs, mais à une multitude de choix, de compromis et d’opportunités saisis ou manqués.


Illustration: Charles Martel à la Bataille de Poitiers, 1837, Charles de Steuben. – Wikipédia

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