Le 16 juin 1949, les spectateurs britanniques découvrent sur grand écran “Whisky galore !” (Whisky à gogo !), une comédie pétillante signée Alexander Mackendrick. Le film s’inspire d’un épisode authentique, survenu en 1941 : le naufrage du SS Politician et l’incroyable aventure du whisky perdu… puis retrouvé.
Le film s’impose rapidement comme un classique, grâce à son humour subtil, ses personnages hauts en couleur et son regard tendre sur la vie insulaire. Il fait désormais partie du folklore écossais.
Sommaire
Eriskay en temps de guerre
À cette époque, Eriskay est une petite île battue par les vents, perdue au large de la côte ouest de l’Écosse, dans l’archipel des Hébrides extérieures. Sa population, qui ne dépasse guère la centaine d’âmes, vit de la pêche, de l’élevage et d’une agriculture de subsistance. Les insulaires parlent majoritairement le gaélique, perpétuent des traditions ancestrales et s’entraident face à la rudesse du climat et à l’isolement.
La Seconde Guerre mondiale aggrave encore leur quotidien : le rationnement, imposé à tout le Royaume-Uni, se fait sentir plus durement ici. Les denrées de base, le carburant, les vêtements et, bien sûr, le whisky, se font rares.
Dans ce contexte, la moindre ressource venue de l’extérieur prend une importance capitale.
Naufrage, miracle et retour à la réalité
C’est dans cette atmosphère de privations qu’un événement extraordinaire bouleverse la vie de l’île. En février 1941, le cargo britannique SS Politician, pris dans une tempête hivernale, s’échoue sur un banc de sable près d’Eriskay, alors qu’il se dirige vers la Jamaïque et La Nouvelle-Orléans avec à son bord plus de 22 000 caisses de whisky écossais, soit environ 250 000 bouteilles, ainsi que d’autres marchandises précieuses. La nouvelle se propage rapidement parmi les insulaires et, bientôt, des groupes se forment pour tenter de récupérer le précieux butin avant que la mer n’engloutisse définitivement l’épave ou que les autorités n’interviennent.

Les habitants bravent la nuit, le froid et le mazout pour atteindre l’épave, usant d’une ingéniosité remarquable pour dissimuler les caisses de whisky : trous de tourbe, champs d’avoine, murs de maisons, rien n’est laissé au hasard. Cette opération de « sauvetage » devient un jeu du chat et de la souris, où la solidarité des insulaires s’oppose à la rigueur des douaniers britanniques. Mais la loi est formelle : toute épave et cargaison doivent être déclarées aux autorités, qui en restent propriétaires tant qu’elles ne l’ont pas abandonnée. Récupérer clandestinement le whisky relève donc du vol, même si, dans la tradition locale, il s’agit d’un droit ancestral, hérité du « sauvetage » des biens rejetés par la mer.
La réaction des autorités anglaises est rapide et déterminée. Dès qu’elles apprennent l’ampleur du « sauvetage » populaire, elles dépêchent des douaniers et des policiers sur Eriskay et les îles voisines. Les maisons sont fouillées de fond en comble, les cachettes les plus ingénieuses sont traquées, et plusieurs insulaires sont arrêtés puis condamnés à des amendes ou à de courtes peines de prison. Devant l’incapacité à récupérer la majeure partie du whisky, les autorités décident de faire dynamiter l’épave du SS Politician afin d’empêcher tout autre prélèvement, provoquant la colère et l’incompréhension de la population locale.
Le film « Whisky à gogo ! » transpose cette réalité avec humour et tendresse : sur l’île fictive de Todday, l’arrivée du navire échoué provoque l’exaltation générale. Les habitants, unis par la nécessité et la tradition, s’organisent pour « sauver » le whisky sous le nez du capitaine Waggett, figure de l’autorité britannique, multipliant les stratagèmes pour déjouer la surveillance. La fiction amplifie la dimension collective et festive de l’événement, mais reste fidèle à l’esprit de résistance et de solidarité qui a marqué la véritable aventure du SS Politician.
Eriskay aujourd’hui

Plus de 80 ans après ces événements, Eriskay reste une île vivante, habitée par une petite communauté soudée de 130 à 200 personnes. Si la pêche et l’agriculture de subsistance existent toujours, le tourisme est devenu un pilier de l’économie locale.
Les visiteurs affluent pour découvrir les plages de sable blanc, observer les célèbres poneys d’Eriskay, race endémique et emblématique, et surtout écouter les récits savoureux autour du naufrage du SS Politician. L’histoire du whisky disparu, puis caché, est racontée avec humour et fierté, perpétuant l’esprit de solidarité et de débrouillardise qui caractérise l’île.
Eriskay est aussi marquée par un autre épisode historique majeur : c’est sur cette île que Bonnie Prince Charlie, le prétendant Stuart au trône d’Écosse, débarque en 1745 pour lancer la rébellion jacobite. Ce passé héroïque, mêlé à la légende du whisky, confère à Eriskay une place à part dans l’imaginaire écossais.
Une belle histoire en héritage
« Whisky à gogo ! » ne se contente pas de raconter une anecdote pittoresque : le film capture l’essence même de la vie insulaire, faite de solidarité, d’ingéniosité et d’une certaine résistance à l’autorité. Il célèbre la capacité des petites communautés à s’unir face à l’adversité et à préserver leur joie de vivre, même en temps de crise.
Aujourd’hui encore, à travers le cinéma, la littérature et la mémoire collective, l’aventure du SS Politician continue d’inspirer et de faire sourire, rappelant que, parfois, la mer offre des trésors insoupçonnés… et que la convivialité écossaise n’a pas d’égal.
Que dit la loi française sur les cargaisons échouées ?
En France, le droit maritime actuel est très clair concernant les navires échoués et leurs cargaisons. Toute personne découvrant une épave ou une cargaison rejetée par la mer doit obligatoirement la déclarer aux autorités maritimes dans les 48 heures. L’État prend alors en charge la protection de l’épave, et les propriétaires légitimes disposent d’un délai pour revendiquer leurs biens. Passé ce délai, la cargaison peut être vendue, cédée ou détruite par l’État.
Toute récupération ou appropriation non déclarée est strictement interdite et passible de sanctions, même si la tradition populaire du « sauvetage » persiste dans l’imaginaire collectif. Ainsi, la loi privilégie la sécurité, la transparence et la préservation des droits des propriétaires, tout en encadrant strictement les pratiques locales.
Et bien évidemment, ne pas oublier que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Illustration: Affiche du film « Whisky galore! »