Le 10 juillet 1968, sur un aérodrome soviétique, ingénieurs, pilotes et curieux assistent à un spectacle inédit : le premier vol du Mil Mi-12. Ce jour-là , le monstre d’acier aux dimensions hors normes s’éveille dans un grondement de turbines. Devant cette prouesse technique, fruit de plusieurs années d’efforts acharnés, chacun retient son souffle… le Mi-12 gronde, vibre, souffle… il s’arrache enfin puissamment du sol.
Sommaire
Un colosse né de la guerre froide
Dans le contexte tendu de la guerre froide, l’Union Soviétique cherche à prendre l’avantage sur le plan logistique et stratégique. Les stratèges soviétiques veulent un appareil capable de transporter des charges militaires exceptionnelles, comme des missiles balistiques intercontinentaux, vers des régions inaccessibles ou mal desservies. Les ingénieurs du bureau Mil relèvent ce défi titanesque : ils conçoivent un hélicoptère de 37 mètres de long, 12,5 mètres de haut, doté de deux rotors contrarotatifs de 35 mètres de diamètre chacun, montés sur des ailes latérales. Quatre moteurs Soloviev D-25VF, développant chacun 6 500 chevaux, propulsent ce géant qui peut atteindre 260 km/h et transporter jusqu’à 40 tonnes de charge utile dans une soute de près de 30 mètres de long et 4,4 mètres de large.
Des usages stratégiques et civils
Le Mi-12 n’est pas seulement pensé pour la guerre. Sa polyvalence impressionne : il doit permettre de transporter des missiles nucléaires et du matériel militaire lourd, mais aussi d’acheminer du matériel et du personnel dans les régions les plus reculées de Sibérie, là où ni route ni rail ne peuvent passer. L’appareil intéresse aussi la compagnie Aeroflot, qui envisage de l’utiliser pour le fret exceptionnel ou le transport de charges volumineuses dans des zones difficiles d’accès. Sa cabine gigantesque peut accueillir jusqu’à 196 passagers ou servir de plateforme logistique pour des chantiers d’envergure, notamment dans l’exploration pétrolière ou la construction d’infrastructures.

Des records inégalés
Dès ses premiers essais, le Mil Mi-12 s’impose comme un champion du monde toutes catégories. Le 22 février 1969, il soulève 31 030 kg à près de 3 000 mètres d’altitude. Le 6 août 1969, il établit un record absolu en transportant 44 205 kg à 2 255 mètres, exploit toujours inégalé par un hélicoptère. Ces performances exceptionnelles démontrent non seulement la puissance du Mi-12, mais aussi la maîtrise technologique de ses concepteurs. À basse altitude, il pourrait même transporter des charges encore plus lourdes, profitant de la densité de l’air et de la portance générée par ses ailes latérales.
Les défis techniques d’un géant
Construire un appareil aussi massif n’est pas sans difficultés. Les ingénieurs doivent faire face à des problèmes de stabilité et de résonance, avec des vibrations importantes ressenties dans le cockpit lors des premiers vols. Le système de commandes de vol, trop sensible, nécessite des ajustements pour éviter des réactions excessives de l’appareil. La disposition latérale des rotors, inédite, impose la création d’un arbre de transmission central complexe, garantissant la sécurité même en cas de panne de deux moteurs du même côté. La maintenance, rendue difficile par la taille et la disposition des moteurs, demande des dispositifs spécifiques pour accéder aux différents éléments. Enfin, le Mi-12, de par sa taille, serait une cible vulnérable en zone de conflit, limitant son intérêt opérationnel sur le terrain.
Un destin contrarié
Malgré son potentiel, le Mi-12 arrive trop tard. Les besoins militaires évoluent rapidement : les missiles deviennent plus légers, les stratégies changent, et un hélicoptère aussi gigantesque n’a plus sa place dans les plans de l’armée soviétique. Les défis techniques, la complexité d’exploitation et la vulnérabilité de l’appareil contribuent à l’abandon du programme en 1974, après la construction de seulement deux prototypes. L’expérience acquise permet toutefois de concevoir le Mil Mi-26, plus adapté aux besoins réels de l’armée et de l’industrie soviétique.
Que deviennent les Mi-12 aujourd’hui ?
Aujourd’hui, les deux prototypes du Mil Mi-12 sont préservés en Russie. Le premier trône au Musée central des forces aériennes de Monino, près de Moscou, où il attire les passionnés d’aviation du monde entier. Le second demeure dans les locaux du constructeur Mil, à l’abri des regards, comme un vestige d’une époque où l’on rêvait de conquérir le ciel à coups de géants mécaniques. Aucun des deux n’est en état de vol, mais tous deux incarnent l’audace, la créativité et la démesure de l’ingénierie soviétique.
Le Mil Mi-12, c’est l’histoire d’un rêve démesuré, d’une prouesse technique hors du commun, et d’un symbole indélébile de la capacité humaine à repousser les frontières du possible.
Pour plus de lecture : une postérité étonnante
Le Mil Mi-12 ne cesse de fasciner. En 2009, il inspire un poisson d’avril resté célèbre : l’Hotelicopter. Sur Internet, des milliers d’internautes découvrent, amusés et incrédules, le concept d’un hôtel volant de luxe basé sur le Mi-12, avec chambres, spa et salons à bord. Ce canular, relayé par de nombreux médias, témoigne de l’aura mythique de l’appareil et de la fascination qu’il exerce encore aujourd’hui sur le public.