Le 10 juillet 1985, le port dâAuckland, en Nouvelle-ZĂ©lande, devient le théùtre dâun Ă©vĂ©nement dramatique. Le Rainbow Warrior, navire amiral de Greenpeace, sâapprĂȘte Ă appareiller pour dĂ©noncer les essais nuclĂ©aires français dans le Pacifique. Dans lâombre, la France orchestre une opĂ©ration secrĂšte qui va transformer ce symbole de rĂ©sistance pacifique en victime dâun crime dâĂtat.
Sommaire
Un sabotage qui choque le monde
Cette nuit-lĂ , deux explosions retentissent sous la coque du Rainbow Warrior. En moins de quatre minutes, le navire sombre dans les eaux du port dâAuckland. Ă bord, Fernando Pereira, photographe et militant de Greenpeace, pĂ©rit noyĂ©, pris au piĂšge par la violence de lâattaque.
LâĂ©motion est immense, car le Rainbow Warrior vient tout juste dâachever une mission humanitaire : il a Ă©vacuĂ© les habitants de lâatoll de Rongelap, victimes des retombĂ©es radioactives des essais nuclĂ©aires amĂ©ricains, et sâapprĂȘte Ă rejoindre Mururoa pour sâopposer aux essais français. Ce drame met en lumiĂšre la dĂ©termination de Greenpeace et la brutalitĂ© de la rĂ©ponse Ă©tatique.
Une opération qui tourne au fiasco
LâopĂ©ration « Satanic », orchestrĂ©e par la DGSE sur ordre du ministre de la DĂ©fense Charles Hernu et avec lâaval du prĂ©sident François Mitterrand, mobilise plusieurs Ă©quipes de terrain : logistique, reconnaissance, plongeurs.
Les agents Dominique Prieur et Alain Mafart, infiltrĂ©s comme touristes sous de fausses identitĂ©s – les Ă©poux Sophie et Alain Turenge -, coordonnent la mission. Les plongeurs posent deux mines magnĂ©tiques sous la ligne de flottaison du navire : la premiĂšre explosion vise Ă faire Ă©vacuer lâĂ©quipage, la seconde Ă couler le bateau. Mais le plan dĂ©rape : la mort de Fernando Pereira, revenu Ă bord pour rĂ©cupĂ©rer son matĂ©riel, transforme lâopĂ©ration de sabotage en homicide.
Les agents, peu discrets, laissent des traces : incohĂ©rences dans leurs dĂ©placements, comportements suspects, appels tĂ©lĂ©phoniques imprudents. Ils sont arrĂȘtĂ©s dĂšs le lendemain, trahis par leur manque de prĂ©paration et lâefficacitĂ© de la police nĂ©o-zĂ©landaise.
Des erreurs fatales pour les agents français
Les erreurs des agents français sâaccumulent et prĂ©cipitent la chute de lâopĂ©ration. Leur couverture est fragile : leurs fausses identitĂ©s ne rĂ©sistent pas Ă lâenquĂȘte minutieuse des autoritĂ©s locales. Leur logistique, notamment lâutilisation du voilier lâOuvĂ©a pour transporter les explosifs, attire rapidement lâattention.
Surtout, ils sous-estiment la capacitĂ© des enquĂȘteurs nĂ©o-zĂ©landais Ă remonter la piste jusquâĂ eux. Lâabsence de reconnaissance prĂ©alable et la prĂ©cipitation de la mission aggravent la situation. Enfin, la mort dâun civil rend toute tentative de dĂ©ni impossible pour la France, qui se retrouve contrainte de reconnaĂźtre sa responsabilitĂ©.
Que deviennent ces agents ?
AprĂšs leur arrestation, Dominique Prieur et Alain Mafart sont jugĂ©s et condamnĂ©s Ă dix ans de prison pour homicide involontaire et destruction volontaire. Rapidement transfĂ©rĂ©s en PolynĂ©sie française dans le cadre dâun accord diplomatique, ils rentrent en France moins de deux ans plus tard, leur carriĂšre dans le renseignement dĂ©finitivement brisĂ©e.
Dominique Prieur poursuit sa carriĂšre dans lâarmĂ©e, atteignant le grade de colonel dans la rĂ©serve, puis travaille dans la gestion des ressources humaines avant de prendre sa retraite.
Alain Mafart se reconvertit dans la photographie animaliĂšre, exposant ses Ćuvres Ă lâinternational, loin de son passĂ© dâagent secret. Une anecdote Ă son sujet : en 2014, une de ses photos est sĂ©lectionnĂ©e pour figurer dans un calendrier⊠éditĂ© par Greenpeace, qui ignore alors lâidentitĂ© de lâauteur. Lorsque lâorganisation dĂ©couvre quâil sâagit de lâancien agent impliquĂ© dans le sabotage du Rainbow Warrior, elle retire immĂ©diatement les exemplaires restants du calendrier.
Le destin du Rainbow Warrior
AprĂšs le sabotage, lâĂ©pave du Rainbow Warrior reste plusieurs annĂ©es Ă Auckland, servant de preuve dans les enquĂȘtes. En 1987, le navire est renflouĂ© puis immergĂ© au large des cĂŽtes nĂ©o-zĂ©landaises, dans la baie de Matauri, oĂč il devient un rĂ©cif artificiel et un site de plongĂ©e, transformant la tragĂ©die en sanctuaire marin.
Greenpeace acquiert de nouveaux navires portant le mĂȘme nom : le Rainbow Warrior II, puis le Rainbow Warrior III, qui poursuit aujourdâhui la mission de lâorganisation. En 2025, ce troisiĂšme navire revient Ă Auckland pour commĂ©morer les quarante ans de lâattentat et rappeler la rĂ©silience du mouvement Ă©cologiste.
Un sĂ©isme pour lâĂtat français
Le scandale Ă©clate en France et Ă lâinternational. Charles Hernu, ministre de la DĂ©fense, dĂ©missionne ; le chef de la DGSE est limogĂ© ; la crĂ©dibilitĂ© du gouvernement sâeffondre. La France doit verser dâimportantes indemnitĂ©s Ă Greenpeace et Ă la famille de la victime, affronter lâisolement diplomatique et revoir ses mĂ©thodes de renseignement.
Lâimage du pays sort durablement ternie de cette affaire, qui alimente la contestation contre les essais nuclĂ©aires et impose une transparence accrue sur les opĂ©rations extĂ©rieures. Le sabotage du Rainbow Warrior reste, quarante ans plus tard, un symbole fort des dĂ©rives du secret dâĂtat.
Illustration: Le Rainbow Warrior coulĂ© dans le port dâAuckland. @Greenpeace / John Miller