Le 12 juillet 1789, la capitale sâĂ©veille sous le coup dâune nouvelle qui bouleverse lâopinion publique : Jacques Necker, ministre des Finances et figure adulĂ©e du peuple, vient dâĂȘtre brutalement renvoyĂ© par le roi. La nouvelle se rĂ©pand Ă une vitesse foudroyante, des faubourgs populaires aux salons bourgeois.
Necker incarne lâespoir de rĂ©formes pacifiques et la promesse dâune Ă©coute envers les souffrances du peuple. Son Ă©viction, perçue comme un acte de dĂ©fiance de la monarchie envers la nation, plonge Paris dans la stupeur et la colĂšre. Dans les cafĂ©s, sur les marchĂ©s, dans chaque coin de rue, la rumeur enfle : le roi veut en finir avec les rĂ©formes, et la rĂ©pression semble imminente. Ce matin-lĂ , la confiance dĂ©jĂ fragile entre le peuple et la cour se brise dĂ©finitivement.
Sommaire
Une ville Ă bout de nerfs
La crise Ă©conomique frappe Paris de plein fouet. Depuis des mois, la misĂšre sâaccroĂźt Ă mesure que le prix du pain, denrĂ©e essentielle, sâenvole. La miche atteint dĂ©sormais 14 sous, alors que le salaire journalier dâun ouvrier ne dĂ©passe pas 20 sous. Les familles sâentassent devant les boulangeries, patientant des heures dans lâespoir dâobtenir quelques morceaux de pain. La faim ronge les ventres, aiguise les rancĆurs et transforme chaque file dâattente en foyer de tension. Les Ă©meutes se multiplient : des entrepĂŽts et des couvents, soupçonnĂ©s de stocker des grains, sont pillĂ©s par une foule dĂ©sespĂ©rĂ©e. La peur de la famine, omniprĂ©sente, fait vaciller la cohĂ©sion sociale et alimente une colĂšre sourde contre les autoritĂ©s jugĂ©es incapables ou complices.
Dans ce climat dâangoisse, les rumeurs se propagent Ă la vitesse de lâĂ©clair et attisent la panique. On murmure que le roi, entourĂ© de troupes Ă©trangĂšres stationnĂ©es aux portes de Paris, sâapprĂȘte Ă Ă©craser la ville dans le sang. Les rĂ©giments suisses et allemands, perçus comme des instruments de rĂ©pression, alimentent la peur dâun massacre. Dâautres rumeurs Ă©voquent un « complot aristocratique » visant Ă affamer le peuple, Ă dĂ©truire les stocks de grains ou Ă empĂȘcher leur distribution. On craint aussi pour la sĂ©curitĂ© des dĂ©putĂ©s du Tiers Ă©tat, menacĂ©s dâarrestation. Dans ce brouillard dâincertitudes, chaque bruit suspect, chaque cavalcade de soldats, chaque cri dans la rue fait sursauter la population, dĂ©jĂ Ă fleur de peau.
Camille Desmoulins en 1Ăšre ligne au Palais-Royal
Au cĆur de cette agitation, le Palais-Royal joue un rĂŽle central et devient le vĂ©ritable foyer de la contestation parisienne. Ce vaste ensemble architectural, situĂ© prĂšs du Louvre et appartenant au duc dâOrlĂ©ans, se transforme en 1789 en un « village dans la ville » oĂč cafĂ©s, boutiques, librairies, salles de jeux et théùtres attirent une foule bigarrĂ©e : bourgeois, artisans, intellectuels, journalistes, joueurs et prostituĂ©es sây cĂŽtoient. La police y exerce peu de contrĂŽle, ce qui favorise une libertĂ© de parole exceptionnelle. Les cafĂ©s, notamment le cĂ©lĂšbre cafĂ© Foy, deviennent des foyers de discussion politique oĂč circulent pamphlets et idĂ©es nouvelles.
Câest dans ce contexte dâeffervescence que Camille Desmoulins, jeune avocat passionnĂ© et figure montante de la RĂ©volution, sâillustre le 12 juillet. BouleversĂ© par le renvoi de Necker, il monte sur une table au Palais-Royal, un pistolet dans chaque main, et harangue la foule, appelant les Parisiens Ă prendre les armes pour dĂ©fendre la libertĂ© et prĂ©venir la rĂ©pression. MalgrĂ© son bĂ©gaiement remarquĂ©, sa voix porte loin :

M. Necker est renvoyĂ© ; ce renvoi est le tocsin d’une Saint-BarthĂ©lĂ©my des patriotes : ce soir, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous Ă©gorger. Il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaĂźtre.
Sous lâeffet de ses paroles vibrantes, la peur laisse place Ă la dĂ©termination et la colĂšre se transforme en action. Les cocarde prennent la couleur verte, symbole dâespĂ©rance et de ralliement. Le Palais-Royal devient ainsi le théùtre dâune mobilisation sans prĂ©cĂ©dent, oĂč la parole politique se mue en appel Ă lâinsurrection. La foule sâenflamme, la contestation sâorganise, et Paris bascule dans la mobilisation rĂ©volutionnaire sous lâimpulsion de Desmoulins et de tous ceux qui, autour de lui, refusent dĂ©sormais de plier devant lâinjustice.
La contestation s’enflamme dans tout Paris
La capitale bascule alors dans une insurrection ouverte, dont les signes se multiplient et deviennent impossibles Ă ignorer. Les barriĂšres dâoctroi, ces postes de contrĂŽle installĂ©s aux portes de Paris pour percevoir une taxe sur toutes les marchandises entrant dans la ville, deviennent la cible de la colĂšre populaire. Symboles dâune fiscalitĂ© jugĂ©e injuste et dâun pouvoir oppressif, ces petites constructions â vĂ©ritables guĂ©rites oĂč lâon taxe le vin, la farine, le bois ou la viande â sont incendiĂ©es dans la nuit du 13 au 14 juillet. Leur destruction marque le rejet brutal de tout ce qui entrave la vie quotidienne et renchĂ©rit le prix des denrĂ©es essentielles. Lâincendie des barriĂšres dâoctroi nâest pas un simple acte de vandalisme : il exprime la volontĂ© collective de briser les chaĂźnes de lâinjustice fiscale et dâaffirmer la souverainetĂ© du peuple sur sa propre subsistance.
Dans le mĂȘme Ă©lan, les foules sâemparent des armes entreposĂ©es aux Invalides, tandis quâune milice bourgeoise se constitue Ă lâHĂŽtel de Ville, rassemblant des milliers de citoyens dĂ©cidĂ©s Ă dĂ©fendre la ville contre lâarmĂ©e royale. Les Gardes Françaises, jusque-lĂ fidĂšles au roi, refusent dâobĂ©ir et rejoignent les insurgĂ©s, apportant leur expĂ©rience militaire Ă la cause populaire. Dans les rues, les barricades sâĂ©lĂšvent, les attroupements grossissent, et la solidaritĂ© entre artisans, ouvriers et bourgeois se renforce. Paris tout entier semble prĂȘt Ă se dresser contre lâautoritĂ© royale, animĂ© par une dĂ©termination nouvelle et irrĂ©versible. Lâinsurrection nâest plus une menace lointaine : elle est lĂ , palpable, portĂ©e par une ville qui refuse dĂ©sormais de plier sous la peur et lâinjustice.

Jamais la capitale nâa connu une telle tension. La peur, la faim, la colĂšre et lâespoir se mĂȘlent dans une atmosphĂšre Ă©lectrique oĂč chaque instant peut faire basculer le destin de la ville. Les Parisiens vivent dans lâattente fĂ©brile dâun Ă©vĂ©nement dĂ©cisif, conscients de participer Ă un moment historique. Lâannonce du renvoi de Necker agit comme lâĂ©tincelle qui met le feu aux poudres : lâinsurrection est imminente, prĂȘte Ă Ă©clater au cĆur de Paris. La RĂ©volution sâannonce, et avec elle, la promesse dâun monde nouveau, arrachĂ© Ă la peur et Ă lâinjustice.
Illustration: image générée par IA