Paysan dressé fiÚrement devant Monsieur le Comte

LA FIN DES PRIVILÈGES DE MONSIEUR LE COMTE 📆 11 aoĂ»t 1789

Dans son hĂŽtel particulier, Monsieur le Comte fait les cent pas lentement autour d’une grande table de chĂȘne sombre. Ses bottes usĂ©es craquent sur le parquet cirĂ©. Ses mains, jointes derriĂšre le dos, trahissent une nervositĂ© qu’il cache d’habitude sous un port altier. La porte s’ouvre doucement. Un domestique s’avance avec quelques hĂ©sitations : « Monsieur le Comte
 c’est officiel. L’AssemblĂ©e vient d’entĂ©riner les dĂ©crets. Les privilĂšges
 ne sont plus. ».

Paris, 11 août 1789, entre crépuscule et renouveau

Les toits de Paris s’assombrissent devant le ciel rougeoyant de fin de journĂ©e. Dehors, les sabots claquent sur les pavĂ©s humides, les voix des vendeurs s’éteignent peu Ă  peu, au loin rĂ©sonne l’écho sourd d’une foule agitĂ©e.

Dans son hĂŽtel particulier, Monsieur le Comte fait les cent pas lentement autour d’une grande table de chĂȘne sombre. Ses bottes usĂ©es craquent sur le parquet cirĂ©. Ses mains, jointes derriĂšre le dos, trahissent une nervositĂ© qu’il cache d’habitude sous un port altier.

La porte s’ouvre doucement. Un domestique s’avance avec quelques hĂ©sitations.

— Monsieur le Comte
 c’est officiel. L’AssemblĂ©e vient d’entĂ©riner les dĂ©crets. Les privilĂšges
 ne sont plus.

Un long silence s’abat. Le Comte se redresse, fixe l’homme, puis dĂ©tourne le regard vers la fenĂȘtre donnant sur la rue. La lumiĂšre vacille sur son visage, creusant ses traits un peu plus encore.

Souvenirs d’un ordre ancien

Alors qu’il reste immobile, les images de son passĂ© affluent. Il revoit les cĂ©rĂ©monies Ă  la cour, les bals somptueux, la rĂ©vĂ©rence de ses paysans au passage de sa voiture, les habits brodĂ©s, les armoiries fiĂšrement gravĂ©es sur la pierre. Un monde rĂ©glĂ©, hiĂ©rarchisĂ©, oĂč chacun connaissait sa place : ceux qui priaient, ceux qui combattaient, ceux qui travaillaient.

— DĂ©sormais plus rien ne sera comme avant
 heureusement, pĂšre et mĂšre ne verront pas ça.

Depuis des semaines, l’ordre ancien chancelle. Les nouvelles des campagnes sont sinistres : chĂąteaux incendiĂ©s, archives seigneuriales brĂ»lĂ©es dans la nuit, paysans armĂ©s s’avançant dans les bourgs. La Grande Peur gronde comme un orage lointain.

La nuit du 4 août qui balaye tout

Monsieur le Comte se revoit dans la salle de l’AssemblĂ©e lors de cette nuit “inoubliable”. L’air est saturĂ© de chaleur et de tension. Les chandeliers Ă©clairent des visages trahissant une Ă©motion profonde. Le vicomte de Noailles se lĂšve, puis le duc d’Aiguillon :

— Nous devons renoncer à nos privilùges, pour apaiser la nation ! clament-t-ils.

Un murmure parcourt l’AssemblĂ©e. Le Comte sent la sueur perler sur ses tempes. Des applaudissements fusent. La noblesse abandonne d’un geste de la main ce qui faisait la gloire de ses ancĂȘtres. Tout cela dans un mĂ©lange d’euphorie et de panique. La dĂ©cision devait ĂȘtre prise avant le lever du jour. Elle ne pouvait plus attendre, sous peine de consĂ©quences incalculables.

Les jours d’attente, entre colùre et calcul

Depuis le 4, les dĂ©bats peaufinent le texte. Ce soir, 11 aoĂ»t, tout est scellé : les corvĂ©es, les servitudes personnelles et la dĂźme sont effacĂ©es sans compensation. Les droits sur les terres, eux, pourront ĂȘtre rachetĂ©s
 encore une courte planche de salut pour ceux qui possĂšdent.

Monsieur le Comte ne peut ignorer les bruits de bottes dans l’escalier. Son cousin le marquis surgit, haletant :

— C’est fini, mon cher. Les corvĂ©es partent en fumĂ©e ! Mais
 les redevances sur les terres, elles, se rachĂšteront.

— Se rachĂšteront ? Et qui paiera encore, si la populace fait comme bon lui semble ? rĂ©plique le Comte avec amertume.

Il jette un regard Ă  travers la vitre : au loin, des rires fusent autour d’un marchand de vin, des artisans trinquent pour “l’égalitĂ© des Français”. Un Ă©cho ironique lui serre la gorge.

Louis XVI, une barriĂšre chancelante

Les salons bruissent de rumeurs. Il se dit que le roi hésite.

— Jamais il ne signera ces lois qui menacent la propriĂ©té  l’ordre doit ĂȘtre rĂ©tabli


Le Comte imagine Louis, penché sur le décret, la mine grave, la plume suspendue. Des mots prononcés à voix basse :

— Si je signe
 plus rien ne sera comme avant.

Mais la rue impose son tempo. Le peuple ne veut plus attendre. DĂ©but octobre, le roi cĂšde enfin, sous la pression des regards brĂ»lants, des cris qui montent vers Versailles, d’un peuple avide de changement.

Noblesse et église entre bravade et résignation

L’abbĂ©, rouge d’indignation, n’a pas assez de mots pour condamner les fauteurs de troubles. Dans le salon, parmi les amis de Monsieur le Comte, les rĂ©actions varient. Certains, bravaches, s’enorgueillissent :

— Qu’ils se rĂ©jouissent, de toute maniĂšre, comme nos pĂšres et les pĂšres de nos pĂšres nous resteront Ă  la tĂȘte du royaume ! Cela ne peut ĂȘtre autrement !

D’autres, plus lucides, murmurent prĂšs de la cheminĂ©e :

— Mieux vaut lñcher un pan de notre robe que de nous la faire arracher tout entiùre. Il me semble que la messe est dite.

Monsieur le Comte Ă©coute sans rĂ©pondre. Il contemple son blason accrochĂ© au mur : deux lions et une Ă©pĂ©e. La peinture craquelĂ©e semble indiquer que les symboles d’antan eux aussi se fragilisent avec le temps.

Un pas dans le nouveau monde

Plus tard dans la nuit, Monsieur le Comte sort prendre l’air. Les rues bruissent encore de multiples voix. Un vieil artisan croise son regard et, cette fois, ne s’incline pas. Sur le pont, au-dessus de la Seine miroitante, un groupe chante :

— Vive la Nation ! Plus de seigneurs, plus de chaünes !

Le Comte s’arrĂȘte, inspirant l’odeur de fumĂ©e et de pain chaud venu des boulangeries encore ouvertes. Le Paris de demain se dessine dĂ©jĂ  dans ces cris et ces chants.

En rentrant, il se regarde dans le grand miroir du vestibule. Son visage reste le mĂȘme bien que le monde ait changĂ©. D’une voix basse, presque un souffle, il prononce :

— Fais bonne figure mon ami, tu perds tes privilĂšges mais ta tĂȘte reste sur tes Ă©paules
 ça, ils ne peuvent pas nous le prendre.

Quelque part un grincement
 comme un rire de défi.


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