Journal Le Matin - Mais qui a pu faire ça

MAIS QUI A BIEN PU FAIRE ÇA !? 📆 21 aoĂ»t 1911

Alors que Paris s’éveille le lendemain du 21 aoĂ»t 1911, comme Ă  son habitude, le peintre copiste Louis BĂ©roud se rend au Louvre. Ce dernier est un habituĂ© des galeries : il installe son chevalet, choisit une Ɠuvre, et la reproduit avec patience pour revendre le chefs-d’Ɠuvre en version miniature aux visiteurs. Mais en entrant dans le Salon CarrĂ©, il s’immobilise, stupĂ©fait.

L’espace oĂč trĂŽnait depuis des dĂ©cennies La Joconde de LĂ©onard de Vinci n’est plus qu’un rectangle vide, entourĂ© de traces de poussiĂšre et de clous arrachĂ©s. L’artiste croit d’abord Ă  une plaisanterie ou Ă  un dĂ©placement temporaire pour raison de conservation. Mais trĂšs vite, l’évidence s’impose : le tableau le plus cĂ©lĂšbre du musĂ©e a disparu. Cette absence, dĂ©risoire en apparence, va bouleverser le monde culturel et judiciaire, plongeant la France dans une affaire sans prĂ©cĂ©dent.

Une mobilisation policiĂšre exceptionnelle

L’alerte est immĂ©diatement donnĂ©e. Le Louvre, jusque-lĂ  perçu comme un sanctuaire imprenable, ferme ses portes dans la panique et le dĂ©sarroi. Des centaines de visiteurs sont Ă©vacuĂ©s, les salles verrouillĂ©es, les fenĂȘtres contrĂŽlĂ©es. La SĂ»retĂ© parisienne, Ă©quivalent de la police judiciaire, dĂ©pĂȘche sur place plus de soixante enquĂȘteurs. Le grand criminologue Alphonse Bertillon, connu pour avoir inventĂ© l’“anthropomĂ©trie judiciaire”, une mĂ©thode scientifique d’identification des suspects fondĂ©e sur les mensurations corporelles, est mobilisĂ©.

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Avec une minutie digne d’un naturaliste, Bertillon photographie la scĂšne, relĂšve les moindres indices, examine poignĂ©es et vitres Ă  la recherche d’empreintes digitales. Une piste fragile se dessine : certains tĂ©moins rapportent avoir vu un homme vĂȘtu d’une blouse blanche d’ouvrier, canotier sur la tĂȘte, transportant un paquet Ă©trange sous le bras. Un dĂ©tail anodin en apparence, car de nombreux employĂ©s circulent en blouse dans le musĂ©e, mais qui deviendra central dans l’enquĂȘte.

Une affaire judiciaire hors norme

L’affaire, dĂ©jĂ  perçue comme un drame national, est confiĂ©e au juge d’instruction Joseph-Marie Drioux, rĂ©putĂ© pour sa rigueur. Rapidement, le magistrat fait interroger des dizaines d’employĂ©s du Louvre, du personnel de nettoyage aux gardiens en passant par les restaurateurs. La suspicion plane comme une ombre sur chacun d’eux. Le Louvre, enfin perçu comme vulnĂ©rable, rĂ©vĂšle Ă  travers cette affaire de nombreuses failles organisationnelles et de graves nĂ©gligences en matiĂšre de sĂ©curitĂ©. L’impuissance de la justice, incapable de trouver un coupable malgrĂ© l’ampleur des moyens dĂ©ployĂ©s, choque l’opinion publique et nourrit un climat d’incomprĂ©hension et de mĂ©fiance.

Les réactions sans concession de la presse

TrĂšs vite, la presse s’empare du scandale avec gourmandise. Les journaux, friands de faits divers spectaculaires, transforment cette disparition en feuilleton quotidien. Les caricaturistes se dĂ©chaĂźnent, et les titres rivalisent de formules : certains parlent de la “plus grande humiliation de la France artistique”, d’autres ironisent en Ă©voquant une “mystification” ou une “opĂ©ration publicitaire”. Les rumeurs les plus extravagantes circulent : un geste symbolique d’un journaliste audacieux, un coup montĂ© par un collectionneur Ă©vincĂ©, voire un complot Ă©tranger destinĂ© Ă  humilier la France.

La direction du Louvre, elle, est accablĂ©e par les critiques publiques et politiques. Comment un musĂ©e rĂ©putĂ© pour la richesse de ses collections a-t-il pu ĂȘtre si nĂ©gligent quant Ă  la surveillance ? L’affaire prend une telle ampleur que le PrĂ©sident du Conseil, Joseph Caillaux, intervient personnellement. Le vol devient une affaire d’État, et le Louvre, jadis fiertĂ© nationale, est la cible d’une honte internationale.

L’enquĂȘte s’avĂšre complexe

MalgrĂ© l’énergie dĂ©ployĂ©e, les investigations stagnent. Chaque piste sĂ©rieuse s’évanouit, laissant place Ă  de nouvelles hypothĂšses qui, elles-mĂȘmes, s’effondrent aussitĂŽt. Pour relancer les recherches, des rĂ©compenses spectaculaires sont promises. La SociĂ©tĂ© des Amis du Louvre offre une prime de 25 000 francs, somme colossale pour l’époque.

Quelques jours plus tard, un mystĂ©rieux mĂ©cĂšne double cette mise, espĂ©rant attirer les dĂ©nonciations. Mais mĂȘme ce pactole ne suffit pas : le chef-d’Ɠuvre reste introuvable. Le vide laissĂ© par La Joconde au musĂ©e devient presque une mise en scĂšne dramatique, un rappel constant de l’échec policier et administratif. Plus le temps passe, plus l’affaire prend les allures d’un mystĂšre insoluble.

L’affaire prend une tournure rocambolesque

À mesure que les semaines s’écoulent sans rĂ©sultat tangible, l’affaire s’enrichit d’épisodes inattendus. Les autoritĂ©s, dĂ©sespĂ©rĂ©es, cherchent parmi les Ă©lites artistiques les plus en vue d’éventuelles complicitĂ©s.

Le 7 septembre 1911, le poĂšte Guillaume Apollinaire, connu pour ses Ă©crits subversifs et sa critique cinglante des musĂ©es, est arrĂȘtĂ© et briĂšvement incarcĂ©rĂ©. Son ami, le peintre espagnol Pablo Picasso, encore jeune mais dĂ©jĂ  reconnu, est convoquĂ© et interrogĂ© par la police. Leur tort ? Avoir jadis achetĂ© des statuettes ibĂ©riques volĂ©es au Louvre, ce qui suffira Ă  jeter l’ombre du soupçon sur eux.

Durant ces interrogatoires, Paris retient son souffle, partagĂ© entre fascination et scandale. La thĂšse d’un rĂ©seau international de trafiquants d’art, orchestrant un pillage clandestin des musĂ©es europĂ©ens, est avancĂ©e. Mais lĂ  encore, aucune preuve n’étaye ces accusations.

La Joconde reste malheureusement introuvable !

On en reparle d’ici quelques temps 😉


Illustration: Image générée par IA

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