Le 1er septembre 1939, lâAllemagne nazie ordonne secrĂštement le lancement de lâAktion T4, un programme macabre visant Ă Ă©liminer les personnes jugĂ©es « indignes de vivre ».
DerriĂšre ce nom de code se cache une politique dâextermination mĂ©thodique des handicapĂ©s physiques et mentaux, perçus comme un « fardeau » pour la sociĂ©tĂ© aryenne. Cette dĂ©cision sâinscrit dans une idĂ©ologie dĂ©shumanisante nĂ©e de courants pseudoscientifiques appelĂ©s eugĂ©nisme et darwinisme social, qui justifient lâĂ©limination des « faibles » au nom dâune prĂ©tendue amĂ©lioration de la race humaine.
LâAktion T4 repose sur un systĂšme bureaucratique terrifiant. Pour choisir ses victimes, le rĂ©gime nazi envoie des questionnaires aux hĂŽpitaux et institutions psychiatriques, recueillant des informations sur la santĂ© et les capacitĂ©s des patients. Sans jamais rencontrer ces derniers, des mĂ©decins dĂ©signĂ©s dĂ©cident qui doit ĂȘtre tuĂ©. Les personnes ainsi sĂ©lectionnĂ©es sont transfĂ©rĂ©es dans des centres spĂ©ciaux oĂč elles sont gazĂ©es. Ce processus impersonnel et administratif cache la froideur du meurtre de masse sous un vernis mĂ©dical et lĂ©gal.
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LâeugĂ©nisme, Ă lâorigine de telles politiques, est une idĂ©ologie nĂ©e Ă la fin du 19e siĂšcle. Son fondateur, Sir Francis Galton, imagine quâil est possible dâamĂ©liorer la sociĂ©tĂ© humaine en favorisant la reproduction des individus aux « bonnes » caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques et en empĂȘchant celle des soi-disant « indĂ©sirables ». Cette quĂȘte dâune « perfection gĂ©nĂ©tique » se traduit souvent par des pratiques discriminatoires, telles que la stĂ©rilisation forcĂ©e et lâexclusion, jusquâĂ lâĂ©limination physique des personnes jugĂ©es « infĂ©rieures ». Chez les nazis, cette idĂ©ologie rejoint un racisme extrĂȘme, justifiant les violences les plus cruelles.
Le darwinisme social accompagne cette pensĂ©e en appliquant Ă la sociĂ©tĂ© la thĂ©orie de la sĂ©lection naturelle de Darwin. Cette philosophie prĂ©tend que la compĂ©tition entre individus et groupes conduit Ă la survie des plus aptes, tandis que les faibles doivent disparaĂźtre naturellement. Refuser dâaider ces derniers devient alors une « vertu », et la lutte sociale se justifie comme un moteur du progrĂšs. Ce mĂ©lange toxique dâeugĂ©nisme et de darwinisme social lĂ©gitime les politiques raciales, coloniales et gĂ©nocidaires du 20e siĂšcle.
Avant la Seconde Guerre mondiale, lâeugĂ©nisme ne se limite pas Ă lâAllemagne. En France, bien que lâimpact soit moindre, des intellectuels et mĂ©decins dĂ©fendent cette idĂ©e. Le pays connaĂźt des dĂ©bats, avec la crĂ©ation de la SociĂ©tĂ© française dâeugĂ©nique en 1913, mais les politiques coercitives restent limitĂ©es. Sous Vichy, certaines mesures comme les visites mĂ©dicales prĂ©nuptiales apparaissent, mais câest surtout la dĂ©tĂ©rioration des conditions dans les asiles psychiatriques qui rĂ©vĂšle une dimension eugĂ©niste indirecte, avec des milliers de morts.
Aux Ătats-Unis, lâeugĂ©nisme trouve un terrain fertile et sâapplique de maniĂšre plus extensive. DĂšs le dĂ©but du 20e siĂšcle, de nombreux Ătats adoptent des lois autorisant la stĂ©rilisation forcĂ©e de personnes souffrant de troubles mentaux ou issues de groupes jugĂ©s infĂ©rieurs. Plus de 60 000 stĂ©rilisations sont rĂ©alisĂ©es, souvent sans consentement. La lĂ©gislation inclut aussi des interdictions matrimoniales et des restrictions Ă lâimmigration ciblant certaines populations. Une dĂ©cision emblĂ©matique, lâaffaire Buck v. Bell en 1927, lĂ©galise la stĂ©rilisation forcĂ©e en affirmant que la sociĂ©tĂ© peut empĂȘcher la reproduction des personnes jugĂ©es « faibles », une dĂ©cision tragiquement symbolisĂ©e par la phrase « Trois gĂ©nĂ©rations dâimbĂ©ciles suffisent ».
Ainsi, de la France aux Ătats-Unis, jusquâen Allemagne nazie, lâeugĂ©nisme sâimpose comme une idĂ©ologie dont les applications rĂ©vĂšlent ce que la science dĂ©tournĂ©e par des idĂ©es racistes et Ă©litistes peut donner de plus fou. LâAktion T4 en est lâun des exemples les plus terribles, une page sombre oĂč lâhumanitĂ© vacille pour sombrer dans la barbarie systĂ©matique.
Illustration: La permission d’Hitler d’accorder l’euthanasie aux patients incurablement malades. Photo prise au musĂ©e du centre de documentation du musĂ©e ReichsparteitagsgelĂ€nde. Le libellĂ© de l’Ă©dit en français: « Le Reichsleiter Bouhler et le docteur en mĂ©decine Brandt sont chargĂ©s, sous leur responsabilitĂ©, d’Ă©tendre nominativement les attributions de certains mĂ©decins ; ceux-ci pourront accorder une mort misĂ©ricordieuse aux malades qui auront Ă©tĂ© jugĂ©s incurables selon une apprĂ©ciation aussi humaine que possible. — A. Hitler » Le commentaire traduit: « m’a Ă©tĂ© donnĂ©e par le Bouhler 27/08/1940 – Dr. GĂŒrtner » Franz GĂŒrtner Ă©tait Reichsjustizminister de 1932 jusqu’Ă sa mort en 1941. Philipp Bouhler Ă©tait SS-ObergruppenfĂŒhrer et chef de la Chancellerie du Hitler (Kanzlei des FĂŒhrers; KDF). – WikipĂ©dia