Le 15 septembre 1918, la guerre gronde encore sur la Lorraine. Le jeune caporal amĂ©ricain Lee Duncan avance prudemment Ă travers les dĂ©combres dâun chenil allemand bombardĂ©, prĂšs du village de Flirey. Dans un hangar fracturĂ© par les obus, il dĂ©couvre une chienne terrifiĂ©e couvant cinq minuscules chiots, derniers rescapĂ©s dâun monde Ă feu et Ă sang. TouchĂ© par leur vulnĂ©rabilitĂ©, Duncan recueille les deux plus faibles. Il les baptise Rintintin et NĂ©nette, du nom des cĂ©lĂšbres poupĂ©es porte-bonheur que les enfants de la rĂ©gion remettent alors aux soldats pour leur porter chance.
Sommaire
Emigration aux Etats-Unis
Ă peine sevrĂ©s, Rintintin et sa sĆur NĂ©nette deviennent vite le centre dâattention des hommes du 135th Aero Squadron. Soupçonnant la chance quâils incarnent, Lee Duncan sâattache Ă eux et ne se rĂ©sout pas Ă les abandonner. Lorsque la guerre sâachĂšve, il entreprend lâimpossibleâŻ: faire passer clandestinement ses protĂ©gĂ©s Ă bord du bateau qui le ramĂšne en AmĂ©rique.

Mais la traversĂ©e est rudeâŻ: la petite NĂ©nette, sensible et fragile, succombe peu aprĂšs lâarrivĂ©e Ă New York. Rintintin, lui, survit, grandit et sâĂ©panouit sous le ciel de Californie, devenant un ami fidĂšle et un compagnon insĂ©parable pour vĂ©tĂ©ran dĂ©sireux de tourner la page sur lâhorreur du front.
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Sous les projecteurs dâHollywood
Lee Duncan dĂ©couvre rapidement le potentiel exceptionnel de son chienâŻ: Rintintin fait montre dâune intelligence rare, dâune vivacitĂ© hors du commun et dâune capacitĂ© dâapprentissage prodigieuse. Sa silhouette athlĂ©tique, sa loyautĂ© sans faille et son aura font sensation lors de concours dâagilitĂ© et de spectacles canins. Un rĂ©alisateur le remarque, sĂ©duit par la prestance du berger allemandâŻ: câest le dĂ©but dâune fabuleuse ascension.
En 1922, Rintintin fait ses dĂ©buts au cinĂ©ma dans «âŻThe Man from Hellâs RiverâŻÂ», puis enchaĂźne les rĂŽles principaux dans plus de trente films muets. Son triomphe, notamment dans «âŻWhere the North BeginsâŻÂ», contribue Ă sauver les studios Warner Bros de la faillite et dĂ©chaĂźne une vĂ©ritable «âŻRin Tin Tin maniaâŻÂ» Ă travers le pays. Des sacs entiers de courrier arrivent chaque semaine pour lâanimal-star, dĂ©sormais idole dâune AmĂ©rique marquĂ©e par la crise et avide de hĂ©rosâŻ.

Retour en terre française
Rintintin sâĂ©teint paisiblement en 1932, Ă lâĂąge de quatorze ans, dans la maison californienne de Lee Duncan. Mais leur histoire ne sâarrĂȘte pas lĂ âŻ: Duncan demande Ă ce que son fidĂšle compagnon soit inhumĂ© en France, la terre de ses origines, plus prĂ©cisĂ©ment au prestigieux CimetiĂšre des Chiens dâAsniĂšres-sur-Seine, vrai «âŻPĂšre-Lachaise des animauxâŻÂ» prĂšs de Paris. Aujourdâhui, sa sĂ©pulture attire toujours amateurs dâhistoire et amoureux des animaux, perpĂ©tuant le souvenir du plus cĂ©lĂšbre chien du cinĂ©ma mondialâŻ.
La descendance de Rintintin
Le nom de Rintintin ne tarde pas Ă renaĂźtre Ă lâĂ©cran grĂące Ă ses descendants. Rintintin Jr., Rintintin III, puis surtout Rintintin IV, assurent la relĂšve dans une sĂ©rie de productions amĂ©ricaines.
Le sommet de leur popularitĂ© se cristallise avec la mythique sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e «âŻThe Adventures of Rin Tin TinâŻÂ», diffusĂ©e entre 1954 et 1959, oĂč Rintintin IV partage lâaffiche avec le jeune Rusty, orphelin recueilli dans un fort de cavalerie du Far West.
La saga continue encore dans les adaptations et hommages, de Rintintin Junior dans les annĂ©es 1980 Ă Rantanplan dans Lucky Luke, clin dâĆil humoristique Ă cet illustre aĂŻeul.
Les poupées Nénette et Rintintin
NĂ©nette et Rintintin sont Ă lâorigine un couple de petites poupĂ©es de laine, créées en France avant la PremiĂšre Guerre mondiale par le dessinateur Francisque Poulbot. PensĂ©es pour concurrencer les jouets allemands qui envahissent alors les rayons, elles portent les surnoms intimes de Poulbot et de son Ă©pouseâŻ: Ă lâorigine, NĂ©nette est le garçon et Rintintin la fille, mais les genres sâinversent rapidement dans lâimaginaire collectif.
FabriquĂ©es Ă la main, reliĂ©es par un fil, elles sont glissĂ©es dans la poche ou suspendues Ă la boutonniĂšreâŻ: leur rĂŽle est simple et primordial au cĆur de la guerreâŻ: servir de porte-bonheur. Au printemps 1918, alors que les raids aĂ©riens allemands (les Gothas) terrorisent Paris, les poilus et les civils sâapproprient ces talismans censĂ©s les protĂ©ger contre les bombes et la malchance.
Les poupĂ©es sont Ă©changĂ©es entre soldats, amoureuses, enfants et marraines de guerre. NĂ©nette et Rintintin incarnent non seulement la superstition populaire mais aussi la tendresse et le lien humain au cĆur des pires tourments. Leur cĂ©lĂ©britĂ© dĂ©passe la guerreâŻ: chansons, cartes postales, revues, tout cĂ©lĂšbre leur symbolique rassurante. Lorsque Lee Duncan dĂ©couvre ses deux chiots, il puise dans ce folklore franco-lorrain pour leur attribuer ces prĂ©noms emblĂ©matiques, transmettant Ă travers eux lâesprit dâespoir nĂ© dans la tourmente.


Illustration: Lee Duncan et son chien Rintintin. – Photo IMDb