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Cinéma Jack Navet - image IA

LE NAVET CE MAL-AIMÉ 📆 14 octobre

Aujourd’hui, le 14 octobre, le calendrier rĂ©publicain français cĂ©lĂšbre le « jour du Navet », clin d’Ɠil Ă  cet humble lĂ©gume souvent mĂ©connu et parfois moquĂ©. Cette date rappelle que le navet occupe une place discrĂšte mais persistante dans le patrimoine agricole et culinaire de la France. Lors de la RĂ©volution, la RĂ©publique accorde une grande importance aux produits de la terre, et chaque journĂ©e du calendrier cĂ©lĂšbre une plante, un animal ou un outil. Le navet, associĂ© Ă  la simplicitĂ© paysanne et Ă  la subsistance, obtient ainsi son propre jour de fĂȘte, preuve de son ancrage dans la culture populaire.

Le navet s’offre d’abord comme une premiĂšre rencontre familiĂšre avec le potager. Il accompagne les saisons et les gestes du maraĂźcher, se prĂȘtant Ă  toutes les adaptations : en gratin, mijotĂ©, glacĂ©, avec la viande ou seul. CultivĂ© en Europe et en Asie depuis des millĂ©naires, il s’impose dĂšs l’AntiquitĂ© sur les tables grecques et romaines. Au Moyen Âge, il figure parmi les aliments quotidiens, surtout dans les campagnes, nourrissant des gĂ©nĂ©rations entiĂšres. La pomme de terre, plus facile Ă  produire et nourrissante, ne prendra sa place qu’au XVIIIĂšme siĂšcle. Pendant des siĂšcles, le navet reprĂ©sente la rusticitĂ©, la subsistance et, pour beaucoup, l’aliment du pauvre, ce qui explique en partie la connotation peu flatteuse dont il a hĂ©ritĂ©.

Physiquement, le navet se distingue par sa racine charnue, qui peut prendre des formes diverses : sphĂ©rique, plate ou conique, et revĂȘtir des teintes blanches, jaunes, mauves, parfois bicolores. En bouche, il offre une saveur douce, parfois relevĂ©e d’une note piquante selon la variĂ©tĂ© et le terroir d’origine. Sur le plan nutritionnel, il coche de nombreux atouts modernes : faible apport calorique, richesse en fibres, potassium, vitamine C, tout en restant bon marchĂ© et simple Ă  prĂ©parer. On redĂ©couvre aujourd’hui, dans les marchĂ©s ou les restaurants, la palette de variĂ©tĂ©s locales oubliĂ©es et le mariage heureux du navet avec la gastronomie contemporaine.

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Au-delĂ  de l’aliment, le navet est un mot chargĂ© de sous-entendus dans la langue française. Depuis le XIIIe siĂšcle, il fonctionne comme une mĂ©taphore pour tout ce qui paraĂźt insignifiant, mĂ©diocre, fade ou sans intĂ©rĂȘt. On explique ce glissement sĂ©mantique par la rĂ©putation du navet, lĂ©gume banal, nourrissant mais peu prisĂ©, qui n’éveille ni enthousiasme ni admiration. Des anecdotes rapportent qu’au XVIIIe siĂšcle, les Ă©tudiants en art surnomment la fameuse statue antique de l’Apollon du BelvĂ©dĂšre « le navet Ă©pluchĂ© », moquant sa pĂąleur et ses formes jugĂ©es trop fades. Ce sarcasme traverse les sphĂšres artistiques, et au XIXe siĂšcle, « navet » devient la formule consacrĂ©e pour Ă©pingler tableaux, piĂšces de théùtre et, bientĂŽt, films jugĂ©s ratĂ©s, ternes ou dĂ©pourvus d’inspiration. Le navet, dans son emploi figurĂ©, consacre donc une Ɠuvre fade, laborieuse, dont le principal dĂ©faut est de laisser le spectateur indiffĂ©rent ou déçu.

Pourtant, tous les films mĂ©diocres ne sont pas logĂ©s Ă  la mĂȘme enseigne, car un « navet » se distingue d’un « nanar » ! Un navet se contente d’ĂȘtre mauvais et ennuyeux. Il dĂ©sole par sa platitude, ne suscite ni plaisir ni moquerie, se limite Ă  l’échec. À l’inverse, le nanar, expression venue de l’argot du XIXe siĂšcle signifiant au dĂ©part « vieillerie » ou « objet sans valeur », a Ă©voluĂ© au fil du XXĂšme siĂšcle pour s’appliquer aux films tellement mauvais qu’ils en deviennent involontairement drĂŽles, absurdes ou joyeusement ratĂ©s. Un nanar est donc un mauvais film, mais dont l’accumulation de maladresses, d’exagĂ©rations ou de fautes de goĂ»t provoque le rire, la fascination, parfois mĂȘme l’attachement. Il n’est pas rare de voir des cinĂ©philes organiser des soirĂ©es nanar, regardant avec dĂ©lice ces Ɠuvres improbables, lĂ  oĂč un navet n’invite qu’au bĂąillement. La frontiĂšre ? Le plaisir involontaire, le ridicule assumĂ© ou non.

Curieusement, la longue histoire du navet croise aussi celle d’Halloween. Avant qu’on ne sculpte des citrouilles Ă  la Toussaint, c’est le navet que les Irlandais dĂ©coupaient pour en faire des lanternes terrifiantes. Cette tradition ancestrale s’appuie sur la lĂ©gende de Jack-o’-lantern : condamnĂ© Ă  errer sur terre, Jack enfonce une braise dans un navet creusĂ©, Ă©clairant sa route lors de la nuit des morts. En migrant en AmĂ©rique, les Irlandais troquent le navet, trop dur Ă  Ă©vider, contre la citrouille qui abonde sur leur nouveau continent, ce qui explique pourquoi aujourd’hui, la « pumpkin » a Ă©clipsĂ© le navet dans l’imaginaire collectif. Pourtant, dans certains villages du Royaume-Uni ou d’Irlande, on continue de sculpter des navets pour Halloween, en hommage aux lĂ©gendes d’antan.

Alors, le navet demeure-t-il un mal aimĂ© ? À la fois lĂ©gume modeste, insulte culinaire ou cinĂ©philique, symbole d’ingĂ©niositĂ© populaire et d’humour involontaire, il n’en finit pas de renaĂźtre de ses cendres. En ce jour du navet, on peut lui rendre hommage sans gĂȘne : dans l’assiette pour les papilles curieuses, sur l’écran pour l’indulgence, ou dans nos expressions pour se souvenir qu’un brin de dĂ©rision accompagne parfois les plus beaux hasards de la langue.

Il reste une question : et toi alors 😊 es-tu ceci (lĂ©gume) 👇 ?

ou cela (cinĂ©ma) 👇 ?

Le film complet en français

Illustration: film sur Jack-O-Lantern en navet tenant un navet. – Image IA

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