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Yoshiyasu Kuno - Kamikaze

CE VENT DIVIN QUI SOUFFLA DE SI NOMBREUSES VIES 📆 21 octobre 1944

Le 21 octobre 1944, Yoshiyasu Kuno, pilote japonais Ă  peine ĂągĂ© de 23 ans, s’inscrit dans l’histoire de la guerre. Il ne s’agit pas d’un acte isolĂ© de folie, mais d’une mission soigneusement envisagĂ©e portĂ©e par le sens du devoir et l’honneur du sacrifice. Il s’envole vers l’ennemi, repĂšre un navire amĂ©ricain, plonge en piquĂ©, mais l’avion, touchĂ© par la mitraille, s’Ă©crase en mer Ă  quelques mĂštres de la cible.

Au cƓur de la Seconde Guerre mondiale, le Japon traverse des mois d’incertitude et de tension extrĂȘme sur le front du Pacifique. Les pertes s’accumulent, le moral s’effrite, et l’issue du conflit paraĂźt de plus en plus dĂ©favorable Ă  l’Empire nippon. Face Ă  l’immense puissance de feu amĂ©ricaine, les espoirs de victoire s’amenuisent, mais l’idĂ©e du sacrifice, nourrie par des traditions anciennes et une propagande omniprĂ©sente, prend alors racine dans l’esprit de nombreux jeunes pilotes. Ainsi naĂźt une nouvelle forme d’attaque : la mission kamikaze, celle qui passe brusquement du symbole Ă  la terrible rĂ©alitĂ©.

La bataille du golfe de Leyte, qui embrase les eaux philippines entre le 23 et le 26 octobre 1944, s’impose comme l’une des plus vastes confrontations navales de tous les temps. L’enjeu stratĂ©gique est colossal : la reconquĂȘte des Philippines par le gĂ©nĂ©ral amĂ©ricain Douglas MacArthur doit couper le Japon de ses sources vitales de ravitaillement et prĂ©cipiter la fin de sa domination maritime. Les Japonais mettent alors en Ɠuvre une manƓuvre complexe, mobilisant des dizaines de navires et d’avions, tentant de tendre une embuscade Ă  la flotte alliĂ©e. Pourtant, la puissance tactique et technologique amĂ©ricaine inflige Ă  la marine impĂ©riale l’une de ses plus cuisantes dĂ©faites, dĂ©truisant la majoritĂ© de ses unitĂ©s de combat et ouvrant dĂ©finitivement l’archipel philippin Ă  la reconquĂȘte alliĂ©e.

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C’est dans l’ombre de cette bataille que les attaques kamikazes prennent soudain une ampleur inĂ©dite. Le 25 octobre 1944, au lendemain du raid de Kuno, une escadrille conduite par le lieutenant Yukio Seki s’élance avec cinq chasseurs ZĂ©ro chargĂ©s de bombes vers la flotte amĂ©ricaine. Cette fois-ci, la mission aboutit au drame : le porte-avions USS St. Lo reçoit en plein pont un avion suicide, la dĂ©flagration provoque des explosions en chaĂźne, Ă©ventre la coque et prĂ©cipite le navire au fond de la mer, tuant 126 marins. Ce moment inaugural, traumatisant pour les AlliĂ©s, inaugure une vague d’attaques suicides qui va s’étendre jusqu’à la fin du conflit. En seulement quelques mois, prĂšs de 4 000 jeunes Japonais donneront leur vie en lançant leur appareil contre les navires adverses. Cinquante navires alliĂ©s sont coulĂ©s, plus de 400 sĂ©vĂšrement endommagĂ©s, et 7 000 marins amĂ©ricains trouvent la mort. Pourtant, force est de constater que la majoritĂ© de ces missions Ă©chouent : moins de 15 % des pilotes parviennent rĂ©ellement Ă  toucher leur cible, mais le climat de peur instaurĂ© dans la flotte alliĂ©e demeure colossal, transformant chaque patrouille en un combat anxieux contre l’invisible.

Le terme « kamikaze », nĂ© des caractĂšres 焞鹚 — « vent divin » —, porte en lui un hĂ©ritage lĂ©gendaire. Il renvoie Ă  deux typhons salvateurs qui, en 1274 et 1281, auraient balayĂ© les envahisseurs mongols venus conquĂ©rir le Japon. À l’époque de la guerre, l’armĂ©e japonaise prĂ©fĂšre parler de tokubetsu kƍgeki-tai (« unitĂ©s d’attaque spĂ©ciale »), mais le mot kamikaze transcende rapidement les frontiĂšres militaires pour s’imposer dans l’imaginaire collectif japonais et, bientĂŽt, occidental. En Occident, le terme se charge de connotations trĂšs diffĂ©rentes : il devient le symbole de toute attaque-suicide, mĂȘme hors du contexte militaire, et s’applique par extension Ă  divers actes dĂ©sespĂ©rĂ©s ou tĂ©mĂ©raires, parfois loin du sens initial. Au Japon, bien qu’on lui prĂ©fĂšre souvent l’appellation authentique tokkotai, qui dĂ©signe plus spĂ©cifiquement les unitĂ©s d’attaque spĂ©ciale, il conserve une aura tragique et patriotique, associĂ© Ă  la mĂ©moire de jeunes pilotes sacrifiant leur vie pour la nation, un acte perçu, encore aujourd’hui, avec une solennitĂ© douloureuse et une retenue authentique.

À travers le destin de Yoshiyasu Kuno et de ses milliers de camarades, le souffle du « vent divin » porte autant de bravoure que de dĂ©sespoir. Ce sacrifice extrĂȘme, qui naĂźt des strates profondes de la culture japonaise autant que des circonstances tragiques de la guerre, questionne encore notre vision du courage, de la conscience collective et du prix indicible de la victoire.


Illustration:
– Yoshiyasu Kuno. – WikipĂ©dia
– Kanjis formant le mot shinpĆ« ou kamikaze. – WikipĂ©dia