Chaque année, le 27 juin, certains amateurs d’histoire et de botanique célèbrent le jour de l’absinthe, une date singulière inscrite dans le calendrier républicain révolutionnaire français. Ce calendrier, né au cœur de la Révolution, bouleverse les repères traditionnels en remplaçant les saints du calendrier grégorien par des plantes, des animaux ou des outils agricoles. L’idée est de rendre hommage à la nature, à l’agriculture et à la vie quotidienne du peuple, tout en affirmant la rupture avec l’Ancien Régime et l’influence religieuse.
Sommaire
Une plante peu commune
L’absinthe, ou Artemisia absinthium, intrigue et séduit depuis des siècles par son apparence argentée, son parfum puissant et ses nombreux usages. Cette plante vivace, haute de 50 cm à 1 mètre, se distingue par ses tiges droites recouvertes d’un duvet blanchâtre, qui lui donne un aspect presque lunaire. Ses feuilles très découpées, d’un vert gris sur le dessus et presque blanches en dessous, dégagent une odeur amère et pénétrante dès qu’on les froisse entre les doigts. En été, l’absinthe se pare de petites fleurs jaunes, réunies en capitules globuleux, qui illuminent les talus et les friches où elle pousse naturellement.
Originaire d’Europe, d’Afrique du Nord et d’Asie, l’absinthe s’adapte aux sols secs et ensoleillés, et résiste bien à la sécheresse. On la retrouve souvent sur les terrains vagues, les bords de chemins ou les jardins de curieux. Elle porte aussi de nombreux surnoms évocateurs : grande absinthe, herbe aux vers, fée verte… Autant de noms qui témoignent de la place qu’elle occupe dans l’imaginaire collectif, entre remède ancestral et source d’inspiration pour les artistes et écrivains.
Usages traditionnels et médicinaux
Depuis l’Antiquité, l’absinthe joue un rôle central dans la pharmacopée populaire. Les générations se transmettent ses vertus : elle stimule l’appétit, soulage les digestions difficiles, chasse les ballonnements et les crampes, et aide à éliminer les vers intestinaux. On la prépare en infusion ou en décoction pour apaiser les coliques, lutter contre la fatigue ou encore réguler les règles. Les marins l’emportent parfois pour prévenir le mal de mer, tandis que les familles rurales l’utilisent comme tonique général lors de périodes de faiblesse ou d’anémie.
L’absinthe entre aussi dans la composition de boissons alcoolisées, comme le fameux vin d’absinthe, réputé pour ses effets médicinaux et sa capacité à « remettre d’aplomb ». En usage externe, on applique des décoctions sur les plaies pour favoriser la cicatrisation, ou des cataplasmes pour soulager les douleurs articulaires et musculaires. Certains la brûlent même en encens pour éloigner les insectes et purifier l’air des maisons.
Aujourd’hui, la recherche scientifique confirme de nombreuses propriétés de l’absinthe : elle possède des effets antibactériens, antifongiques, anti-inflammatoires, hépatoprotecteurs et même neuroprotecteurs. Cette richesse d’usages fait de l’absinthe une plante incontournable des remèdes naturels, mais aussi un symbole de la médecine populaire.
L’absinthe et les artistes
L’absinthe exerce sur les artistes une véritable fascination, qui dépasse largement le simple plaisir de la dégustation. À la Belle Époque, elle devient la boisson emblématique des cafés parisiens, fréquentés par des peintres, poètes et écrivains comme Verlaine, Rimbaud, Van Gogh, Degas ou encore Oscar Wilde. Surnommée la « Fée verte », l’absinthe incarne à la fois la muse et la tentatrice, source d’inspiration et symbole de rébellion.
Son effet légèrement enivrant et ses prétendues propriétés psychoactives participent à nourrir le mythe : elle offrirait une porte d’entrée vers l’imaginaire, l’oubli ou la transgression. Oscar Wilde résume cette expérience en affirmant que « le premier verre vous montre les choses comme vous voulez les voir, le second vous les montre comme elles ne sont pas ; après le troisième, vous les voyez comme elles sont vraiment ». L’absinthe devient alors un emblème de l’avant-garde, une boisson qui accompagne les nuits bohèmes, les débats littéraires et les expérimentations artistiques.
Sa couleur verte, sa préparation rituelle et son goût amer ajoutent à son aura mystérieuse. Elle s’impose dans la peinture, la littérature, la poésie, et même la musique, inspirant des œuvres majeures et des mouvements entiers. Pour beaucoup, l’absinthe symbolise la quête de l’inconnu, la volonté de briser les conventions et de s’aventurer hors des sentiers battus.

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La thuyone : fascinante et dangereuse
Si l’absinthe fascine, elle inquiète aussi. La raison : la thuyone, une molécule naturellement présente dans la plante, connue pour ses effets neurotoxiques. À forte dose, la thuyone agit sur le système nerveux central : elle peut provoquer des convulsions, des hallucinations, une désinhibition, voire des troubles cognitifs ou des atteintes au foie et aux reins. C’est à cause de cette substance que la boisson d’absinthe acquiert au XIXe siècle une réputation sulfureuse de « fée verte » dangereuse, accusée de rendre fou artistes et poètes.
Les excès de consommation, souvent liés à la forte teneur en alcool des liqueurs d’absinthe d’autrefois, entraînent des cas de dépendance et de troubles graves, poussant les autorités à interdire la boisson dans de nombreux pays au début du XXe siècle. Aujourd’hui, la législation encadre strictement la teneur en thuyone dans les boissons alcoolisées (35 mg/L en Europe), afin de protéger la santé des consommateurs. Il reste essentiel de consommer l’absinthe avec modération, que ce soit en tisane ou en alcool, pour profiter de ses bienfaits sans risquer d’effets indésirables.
L’absinthe traverse les siècles, oscillant entre remède, poison et source d’inspiration. Le 27 juin, jour de l’absinthe dans le calendrier républicain, rappelle combien cette plante occupe une place singulière dans notre patrimoine culturel et médicinal.
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