Le 21 juillet 987, un jeune homme d’environ vingt ans s’élève au rang de comte d’Anjou : Foulques Nerra, surnommé « le Noir », succède à son père Geoffroy Grisegonelle. Dès sa prise de pouvoir, il porte l’ambition d’un grand seigneur féodal : assoir l’autorité de sa lignée, agrandir l’Anjou et imposer son nom dans une époque où se mêlent guerre, foi et violence. Son accession marque le coup d’envoi d’un règne singulier, oscillant entre terreur et quête de salut.
Sommaire
Une vie de chef de guerre
Dès son avènement, Foulques Nerra se distingue par une énergie farouche et une brutalité redoutée. Il dirige ses armées dans de longues campagnes contre les comtes de Blois ou les ducs de Bretagne, semant la guerre et la désolation sur son passage. Sa stratégie repose aussi bien sur la violence que sur une organisation politique et militaire innovante : la construction de forteresses de pierre lui permet de contrôler militairement les territoires conquis et de fixer des frontières stables pour l’Anjou.
Au fil de ses conquêtes, Foulques n’hésite pas à recourir aux extrêmes, comme le montrent ses exploits lors de la bataille de Pontlevoy en 1016, où des milliers de morts jonchent les champs, ou lors de la prise de Saumur, assiégée et incendiée, témoignage de la férocité de ses méthodes. Ces actions, tout en consolidant son emprise, laissent derrière elles le souvenir d’un seigneur redoutable.

Les crimes de Foulques Nerra
Sa 1ère femme
Le nom de Foulques Nerra reste indissolublement lié à des actes de violence extrême, notamment envers sa propre famille. Parmi les crimes qui marquent le plus profondément sa mémoire et celle de l’Anjou figure le sort réservé à sa première épouse, Élisabeth de Vendôme. Les sources, bien que convergentes sur la cruauté des faits, présentent cependant des variantes notables sur le déroulement exact.
Selon de nombreuses chroniques médiévales relayées par les historiens, Foulques accuse sa femme d’adultère, un crime considéré avec une extrême gravité à l’époque. Il la fait brûler vive — une punition d’une cruauté exceptionnelle même selon les normes féodales. La mise à mort d’Élisabeth aurait eu lieu autour de l’an 1000, mais la procédure et la justification restent entachées d’incertitude: certains récits décrivent un procès sommaire, d’autres insistent sur la volonté de Foulques d’effacer la honte d’une épouse lui refusant un héritier.
Il existe également des variantes dans les chroniques ultérieures : certains auteurs postérieurs avancent que la mort d’Élisabeth serait survenue lors du grand incendie dévastateur d’Angers, alors qu’elle était enfermée dans une tour, tandis que d’autres insistent sur une exécution publique destinée à frapper les esprits.
Tous les autres
Foulques Nerra n’est pas uniquement coupable du meurtre de son épouse. Les chroniques rapportent d’autres crimes : il aurait laissé mourir son propre frère dans un cachot, se serait rendu coupable de massacres de population lors de ses campagnes et n’a pas hésité à profaner des lieux sacrés en pénétrant armé dans des abbayes, multipliant tant les violences contre l’Église que contre les familles adverses. Son nom reste ainsi associé à l’incendie de l’abbaye de Saint-Florent de Saumur et à des actes de pillage à répétition.
Une cruauté certaine
En l’absence de documentation contemporaine directe, il est préférable d’exprimer une prudence critique sur les détails de ces crime, même si la responsabilité de Foulques et sa cruauté ne font guère de doute. Ces morts, ces massacres de guerre, les exécutions de prisonniers, la destruction de monastères et certaines violence envers le clergé, le plongent dans une profonde spirale de remords et de culpabilité. Sa vie alterne alors entre disgrâce, peur de la damnation éternelle, et besoins de rémission.
Le grand bâtisseur
Face à la destruction, Foulques Nerra s’affirme par ailleurs comme un bâtisseur. Il laisse derrière lui plus d’une centaine de forteresses et de châteaux bâtis en pierre : Montrésor, Langeais, Loches, Montbazon… Ces réalisations ne se limitent pas à la défense militaire : elles organisent l’espace, fondent de nouveaux bourgs et fixent durablement les frontières du comté d’Anjou. Bâtisseur d’églises et de monastères, il contribue aussi à la refondation religieuse du territoire grâce à des fondations prestigieuses telles que l’abbaye du Ronceray.
La pierre remplace alors progressivement le bois, imposant une nouvelle ère architecturale et militaire dans le Val de Loire. Ce mouvement s’inscrit dans une politique cohérente de sécurisation et de contrôle du territoire.
Angers et sa forteresse, au centre du comté
À l’époque de Foulques Nerra, Angers présente le visage typique d’une ville féodale, compacte et resserrée autour de sa forteresse. Le château comtal domine la Maine, assis sur un promontoire, symbole du pouvoir des souverains angevins. Il subit d’importantes transformations sous Foulques, qui entend faire de la cité un bastion quasiment imprenable.
Le quartier cathédral, centré autour de la cathédrale Saint-Maurice, et le quartier ecclésial forment l’autre pôle d’Angers. La ville est alors constituée de rues étroites, de maisons en bois et, pour les plus riches, de bâtiments de pierre — vulnérables au feu et aux conflits qui secouent régulièrement la région. Plusieurs édifices religieux majeurs, comme l’abbaye du Ronceray fondée sous le règne de Foulques, participent à l’essor urbanistique et spirituel de la ville.
Le drame de l’incendie de 1032
Angers garde la mémoire du terrible incendie de 1032 : un feu d’une ampleur exceptionnelle ravage la cité, détruit la cathédrale Saint-Maurice, l’abbaye Saint-Aubin et des quartiers entiers. Les causes exactes du sinistre demeurent incertaines : aucun document contemporain ne permet d’en attribuer la responsabilité de façon sûre, même si certains récits postérieurs accusent Foulques de l’avoir provoqué lors des troubles de la période, soit par calcul militaire, soit par accident lors de ses guerres ou par propagation de l’incendie causé lors de l’exécution de sa femme.
Les historiens modernes invitent à la prudence, faute de sources certaines reliant explicitement Foulques à cet événement : l’hypothèse de l’accident domestique ou du sinistre de guerre demeure tout aussi plausible. Cependant, les conséquences pour la ville sont profondes : sur la ruine, un vaste chantier de reconstruction s’engage, changeant le visage d’Angers pour plusieurs siècles.
Crimes, remords et quête de pardon
Comme le relatent nombre de chroniqueurs, Foulques Nerra traverse aussi la vie comme un pécheur rongé par le remords. Sa légende s’étoffe d’histoires de cauchemars, d’apparitions nocturnes des victimes de ses crimes, et de l’angoisse d’une damnation méritée. Pour obtenir le pardon, il entreprend plusieurs pèlerinages en Terre sainte – au moins trois, certains avancent même quatre selon les époques : 1002, 1008, 1038/39. Ces voyages, exceptionnels, l’amènent à Jérusalem, où il se livre à des pénitences publiques spectaculaires : corde au cou, flagellé par ses serviteurs, confessant ses fautes à haute voix pour que nul n’ignore l’ampleur de sa culpabilité.
En fondant ou en dotant nombre d’abbayes, en multipliant les donations et les œuvres de charité, Foulques tente ainsi d’équilibrer la balance entre la violence de sa vie politique et la rédemption de son âme. Cette dualité entre cruauté extrême et besoin de salut fait de lui une figure profondément humaine, à la fois effrayante et, paradoxalement, exemplaire par sa quête de rachat.
Une empreinte durable sur l’Anjou
Foulques Nerra, tour à tour chef de guerre intraitable, bâtisseur infatigable et pénitent rongé de scrupules, demeure une figure centrale de l’histoire millénaire de l’Anjou. Il incarne la complexité médiévale : la brutalité du seigneur féodal, mais aussi la force de la foi, du doute, de l’effort pour se reconstruire, à l’image d’Angers, qui sortira de ses ruines grâce à l’élan impulsé, non sans ambiguïté, par celui que l’on surnomma le « Noir ».