Sous-marin sauvant des naufragés - Image IA

L’AFFAIRE DU LACONIA : L’HUMANITÉ EN PLEIN NAUFRAGE 📆 12 septembre 1942

Le 12 septembre 1942, au large de l’Atlantique Sud, la mer retient son souffle. Le Laconia, vieux paquebot britannique, vient d’être transformé en navire de transport de troupes par la Royal Navy. À son bord se presse une humanité hétéroclite : près de 1 800 prisonniers italiens, sous bonne garde polonaise et britannique, 80 civils dont des femmes et des enfants, un équipage disparate, et tout ce que la guerre fait de perdants, d’exilés, de soldats fatigués.

Loin des côtes, en route depuis Suez vers l’Angleterre, le navire perce la nuit sans se douter qu’un U-Boot croise sa route. Vers 22 heures, deux torpilles tirées par le sous-marin allemand U-156 percutent le flanc du paquebot. Le carnage est immédiat : une explosion fauche des centaines de vies, la terreur éclate, et l’Atlantique s’emplit de victimes, de cris et de sang.

Un geste d’humanité au cœur du chaos

À la surface de l’eau, la litanie du naufrage laisse place à la panique, à la confusion. Prisonniers italiens enfermés dans les cales, soldats polonais veillant sur les embarcations, équipages se disputant les rares chances de survie : beaucoup n’ont pas le temps de rejoindre les canots – certains sont repoussés à la baïonnette, beaucoup plongent, d’autres se noient, certains sont victimes de requins. En découvrant l’ampleur de la tragédie qu’il vient de causer, le commandant allemand Werner Hartenstein ne respecte ni les ordres ni la haine : il fait surface, hisse la Croix-Rouge, récupère les survivants, les entasse sur le pont de son submersible et déclenche un SOS adressé à toutes les nations, anglais ou alliés. Peu après, d’autres sous-marins allemands et des navires français de Dakar se joignent au sauvetage, transformant pour quelques heures la guerre en parenthèse humanitaire improbable.

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Le drame s’aggrave : la guerre n’a pas d’égards

L’opération de sauvetage est fébrile, suspendue à un fragile équilibre entre épuisement, espoir et méfiance. Tandis que le U-156 attend les navires français, désormais « neutres », un bombardier américain B-24 surgit du ciel. Malgré les signaux clairs de secours et le drapeau de la Croix-Rouge flottant sur le sous-marin, l’avion reçoit l’ordre d’attaquer la scène. Les bombes arrachent la vie à de nouveaux rescapés, forcent Hartenstein à abandonner les survivants en mer et à plonger pour sauver le submersible. Près de 1 100 vies seront secourues, mais plus de 1 600 trouvent la mort, avalées par les vagues ou tuées par les armes, polonaises, américaines, ou allemandes.

La fin d’un code d’honneur

Le choc de la tragédie du Laconia retentit durablement. Les équipages allemands, profondément marqués par l’attaque du bombardier contre une opération de secours légitime, reçoivent du grand-amiral Dönitz un ordre sans appel : « ordre Laconia ». Ce décret interdit, sous peine de sanction, tout acte de sauvetage, même minimal, après une attaque. Ainsi s’efface l’ultime vestige du code d’honneur qui liait jadis les marins – le devoir d’assistance aux naufragés – et la mer devient, jour après jour, plus impitoyable et silencieuse.

La guerre sous-marine bascule dans l’impitoyable

Dès lors, la guerre navale se déshumanise brutalement. La règle imposée par l’ordre Laconia s’étend à tout l’arsenal sous-marin allemand, puis, par effet de miroir, à d’autres marines du conflit, notamment américaine dans le Pacifique. Après 1942, aucun sous-marin n’est autorisé à sauver, nourrir, ni même aborder les naufragés. Le bilan humain enfle : plus de 20 000 navires, toutes nationalités confondues, sont engloutis. Les seuls U-Boote allemands coulent environ 2 742 navires alliés, tandis que 783 sous-marins du Reich, et sans doute plus de mille submersibles, gisent désormais dans les abysses du globe, preuves éternelles d’une guerre totale sans pitié.

Le sort du commandant Hartenstein

Werner Hartenstein, quant à lui, reste dans la mémoire maritime comme un officier à part, un homme passé outre la loi de la guerre pour servir, l’espace d’une nuit, celle de l’humanité. Mais ce sursis ne dure guère : en mars 1943, au large de la Barbade, l’U-156 qu’il commande à nouveau est repéré et détruit lors d’une attaque américaine. Le héros du Laconia coule avec tout son équipage, scellant le destin d’un des rares officiers qui, dans l’enfer de la Seconde Guerre mondiale, ont tenté de mettre la conscience au-dessus du conflit.


Illustration: Image générée par IA