Je soutiens le projet

Enfants jouant avec des marrons

EN CE JOUR DU MARRON… ET DE LA CHÂTAIGNE… 📆 15 septembre

Le 15 septembre, le calendrier rĂ©publicain met le marron Ă  l’honneur – une belle opportunitĂ© pour redĂ©couvrir son histoire et son rĂŽle dans notre quotidien. Cette date symbolique, Ă  l’heure oĂč les bogues s’ouvrent dans les forĂȘts françaises, cĂ©lĂšbre aussi bien le fruit convoitĂ© du chĂątaignier que le marron d’Inde, le grand mĂ©connu. À travers ce rendez-vous automnal, c’est toute la richesse du patrimoine agroalimentaire et linguistique français qui s’illustre, entre traditions rurales, recettes gourmandes et drĂŽles d’expressions populaires.

Marron ou chĂątaigne ?

On croit souvent, dans les effluves chaudes des marchĂ©s d’automne, croquer un « marron » tout droit venu du marronnier. Pourtant, cette croyance relĂšve du malentendu. Au fil du temps, le terme « marron » dĂ©signe en cuisine une grosse chĂątaigne, sĂ©lectionnĂ©e spĂ©cialement pour n’avoir ni cloison ni amertume, parfaite pour les marrons grillĂ©s, les marrons glacĂ©s ou les crĂšmes onctueuses. Ce choix variĂ©tal donne des fruits d’une belle rondeur, brillants et moelleux, trĂšs recherchĂ©s des confiseurs et cuisiniers.

Le vĂ©ritable marron d’Inde, lui, vient du marronnier, un arbre importĂ© des Balkans au XVIIe siĂšcle et adoptĂ© comme ornement un peu partout en Europe. Il offre des fruits Ă  la coquille lisse, nichĂ©s dans une bogue hĂ©rissĂ©e de pics espacĂ©s : intrigants mais toxiques, ils amusent les enfants Ă  la rĂ©crĂ©ation, mais ne finissent jamais dans l’assiette. La confusion entre le « marron » comestible et le marron d’Inde persiste, pourtant le fruit de nos gourmandises reste bel et bien une chĂątaigne.

Tu apprécies mes contenus. Clique ici pour soutenir l'édition de cet almanach.

Distinguer une chĂątaigne d’un marron d’Inde peut s’avĂ©rer crucial pour Ă©viter toute intoxication. Plusieurs indices permettent de ne pas se tromper :

  • Bogue : la chĂątaigne se cache dans une bogue garnie de trĂšs nombreux et longs pics acĂ©rĂ©s, tandis que celle du marron d’Inde compte des pics plus rares, plus courts et espacĂ©s.
  • Nombre de fruits : la bogue de chĂątaignier renferme en gĂ©nĂ©ral plusieurs fruits (deux Ă  trois le plus souvent), alors que celle du marronnier d’Inde en contient gĂ©nĂ©ralement un seul.
  • Forme et aspect : la chĂątaigne possĂšde une petite pointe et une base plate, alors que le marron d’Inde est rond, lisse et sans la « touffe » caractĂ©ristique Ă  la base.
  • Comestibilité : la chĂątaigne, douce et comestible, reste une prĂ©cieuse ressource, tandis que le marron d’Inde, Ăącre et amer, se rĂ©vĂšle toxique pour l’humain.

Le chĂątaignier : notre arbre Ă  pain

Imaginer le centre et le sud de la France, c’est voir danser Ă  flanc de montagne les vastes chĂątaigneraies. Ces vergers façonnent les paysages d’ArdĂšche, de Corse, des CĂ©vennes ou de Haute-Loire. DĂšs le Moyen Âge, le chĂątaignier s’impose comme la base de l’alimentation paysanne. Qu’on le surnomme « l’arbre Ă  pain » prouve son importance vitale : moulinĂ©e en farine, bouillie en soupe, dĂ©gustĂ©e grillĂ©e, la chĂątaigne permet de traverser l’hiver, d’affronter famines et disettes, de nourrir hommes, femmes et bĂ©tail.

Au XIXe siĂšcle, ce fruit rustique demeure l’or noir des campagnes pauvres, mais son rĂŽle ne se limite pas Ă  la subsistance : il fait vivre artisans, boulangers, et façonne une Ă©conomie locale dynamique. Les marchĂ©s d’automne, les fĂȘtes villageoises et les secrets de grand-mĂšre pour conserver ou transformer la chĂątaigne font battre le cƓur des terroirs. Aujourd’hui encore, la filiĂšre retrouve couleur grĂące aux Appellations d’Origine ProtĂ©gĂ©e (AOP) qui consacrent la typicitĂ© ardĂ©choise et cĂ©venole.

Un marron d’Inde
 qui vient des Balkans

Parfois mĂ©prisĂ© pour sa toxicitĂ©, le fruit du marronnier d’Inde porte pourtant une histoire fascinante. Originaire des montagnes fraĂźches et boisĂ©es des Balkans – entre GrĂšce, Albanie, Bulgarie et MacĂ©doine – le marronnier d’Inde fait son entrĂ©e en France au grĂ© des Ă©changes ottomans, rapportĂ© de Constantinople Ă  Paris au dĂ©but du XVIIe siĂšcle. Il s’épanouit rapidement comme arbre d’ornement, choisi pour l’ampleur de sa ramure, son ombre fraĂźche et ses grappes de fleurs spectaculaires. Aujourd’hui, il rĂšgne sur les places et les boulevards, offrant Ă  chaque automne ses gros marrons lustrĂ©s, inutilisables en cuisine mais chargĂ©s de souvenirs d’enfance et de jeux.

L’appellation « marron d’Inde » provient d’une confusion historique : lors de son introduction en Europe occidentale, on croyait que cet arbre venait des Indes orientales, alors qu’il Ă©tait simplement transportĂ© depuis l’Empire ottoman via Constantinople. Cette erreur de gĂ©ographie, trĂšs rĂ©pandue au XVIIe et XVIIIe siĂšcles (beaucoup de denrĂ©es exotiques reçoivent alors le suffixe « d’Inde » de façon abusive), est reprise dans les dictionnaires du XIXe siĂšcle. Le marronnier d’Inde ne vient donc jamais de l’Inde, mais bien des Balkans, et ce nom contribue aujourd’hui encore Ă  entretenir la confusion.

Une bonne poĂȘlĂ©e de marrons

À l’automne, la nostalgie et la convivialitĂ© riment avec marrons grillĂ©s. Pourtant, seule la chĂątaigne comestible se prĂȘte Ă  la poĂȘlĂ©e traditionnelle, et jamais le marron d’Inde condamnĂ© Ă  la toxicitĂ©. La recette, transmise au fil des gĂ©nĂ©rations, commence par l’incision soignĂ©e des chĂątaignes. On les prĂ©cuit dans l’eau bouillante afin de retirer l’enveloppe. Puis la magie opĂšre dans la poĂȘle : un peu de beurre, des Ă©chalotes fondantes, parfois quelques champignons ou une touche de persil. On laisse les parfums d’automne envahir la cuisine, on sale, on poivre, et on peut mĂȘme oser une pointe de sucre pour une version sucrĂ©e-salĂ©e au cƓur de la saison.

Quelques minutes suffisent pour que les chĂątaignes rĂ©vĂšlent leur douceur. Elles accompagnent alors Ă  merveille les plats de gibier, de volailles ou mĂȘme un simple fromage de chĂšvre frais. Le plaisir d’un plat gĂ©nĂ©reux, parfait pour rĂ©chauffer corps et cƓur tandis que les feuilles tourbillonnent derriĂšre les carreaux.

D’oĂč vient « se prendre une chĂątaigne » ?

Dans la bouche des Français, « se prendre une chĂątaigne » – ou un marron – fait sourire, tant l’image est vivante. Jadis, dans le sud du pays, le mot « castagne » signifiait aussi bien un coup, une bagarre, qu’une belle chĂątaigne tombĂ©e en pleine figure ! L’expression quitte alors l’Occitanie pour envahir toute la France, prenant place dans le vocabulaire sportif, populaire, puis parmi les Ă©lectriciens pour dĂ©signer une dĂ©charge reçue par inadvertance sur un fil.

Ce glissement de sens, ancrĂ© dans la vie quotidienne, tĂ©moigne Ă  la fois de la rudesse de la vie rurale et de la vitalitĂ© de la langue française. Recevoir une chĂątaigne, c’est vivre l’automne jusque dans le verbe, quitte Ă  garder sur la joue la marque rougeoyante du fruit imaginaire ou du courant passĂ©.