S1MA, la soufflerie ONERA

LA SOUFFLERIE S1MA, MOTEUR DE LA RENAISSANCE AÉRONAUTIQUE FRANÇAISE 📆 22 septembre 1945

En septembre 1945, la France obtient une autorisation exceptionnelle : le ministère de l’Air donne son feu vert pour transférer depuis l’Autriche la soufflerie S1MA en territoire français. Au cours des décennies qui suivent, la S1MA devient le centre névralgique d’un site de recherche et d’innovation unique.

Ce projet prend naissance sur le site d’Ötztal, conçu par des ingénieurs allemands pour le perfectionnement des technologies de l’axe durant la Seconde Guerre mondiale. En cette fin d’année 1945, alors que l’armement allemand vient d’être démantelé, les experts français du Groupement français de recherche en aéronautique (GRA) découvrent une installation gigantesque, encore en montage, propulsée par des turbines hydrauliques alimentées par une chute d’eau de plus de 650 mètres. Le 22 septembre 1945, le ministère de l’Air donne son accord : la soufflerie S1MA doit être démontée puis acheminée vers la Savoie, marquant une rare victoire logistique et scientifique française sur le terrain de la récupération technologique.

La S1MA arrive à Modane-Avrieux au terme de tractations internationales et d’une ingénieuse organisation logistique. Les composants principaux, éparpillés entre la zone anglaise (Essen) et la zone américaine (Stuttgart) sont récupérés grâce à l’intervention décisive de Theodore von Kármán et d’une diplomatie efficace. Le chantier de transfert occupe plus de 2 400 tonnes de matériel convoyé par voie ferrée, dont la fameuse roue Pelton, machine hydraulique de plusieurs dizaines de tonnes. En Savoie, le site d’Avrieux, déjà destiné à abriter une centrale électrique, accueille la soufflerie et son infrastructure, avec la construction d’une nouvelle voie ferrée et d’un pont de 60 mètres sur l’Arc pour acheminer le matériel jusqu’à Modane. Le professeur Heinrich Peters, concepteur initial, suit le projet, garantissant la qualité du montage et facilitant l’adaptation de l’ensemble aux besoins français.

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Au cœur de l’après-guerre, la soufflerie S1MA s’impose rapidement comme le pivot de la relance aéronautique française. Dès 1952, elle entre en service et permet aux ingénieurs de l’ONERA d’effectuer des essais sur des maquettes à grande échelle jusqu’à des vitesses de Mach 1. Les plus grands programmes militaires et civils nationaux passent par ses installations : les Mirage, Alizé, Transall y voient tester leurs formes et leurs structures dans des conditions extrêmes. Les capacités de S1MA garantissent la fiabilité et l’innovation, propulsant la France parmi les leaders mondiaux en aéronautique et en ingénierie fondamentale.

L’originalité énergétique de la soufflerie S1MA réside dans ses turbines hydrauliques, alimentées par l’eau des barrages de Savoie. Cette solution, conçue pour pallier l’absence de capacités électriques locales à la sortie de guerre, combine puissance, précision et écologie bien avant l’heure : jusqu’à 10 tonnes d’air circulent par seconde, dans une veine de mesure de huit mètres de diamètre, contrôlée avec une régulation fine sur la vitesse de rotation et la synchronisation des hélices. Cette infrastructure devient la plus grande soufflerie sonique jamais construite, permettant aux équipes françaises de rivaliser — et souvent de surpasser — les installations américaines et soviétiques du moment.

Le transfert de la soufflerie S1MA s’inscrit dans un contexte international marqué par une récupération massive des savoir-faire allemands par toutes les puissances alliées. Comme le font les États-Unis avec Paperclip et les Soviétiques avec Osoaviakhim, la France rapatrie, elle aussi, de nombreux équipements scientifiques majeurs, démantèle des laboratoires et recrute des ingénieurs venus du Reich. L’installation de Modane-Avrieux symbolise cette politique d’acquisition technologique, accélérant la renaissance industrielle et la prise de pouvoir scientifique hexagonale sur la scène mondiale dans les années 1950. Cette stratégie, conjuguée à la mobilisation d’ingénieurs et de chercheurs de haut niveau, confère à la France une avance précieuse en aéronautique et en aérospatiale.

Au fil des décennies, la S1MA devient le centre névralgique d’un site de recherche et d’innovation unique, étoffé de nouveaux tunnels et équipements d’essai. Son légendaire volume, ses performances et sa robustesse font d’elle le pilier de la plupart des grands succès français en aviation et fusée, du Mirage IV à la Caravelle, en passant par Concorde, le Transall et divers programmes spatiaux. Encore aujourd’hui, plus de 70 ans après son montage, elle reste la référence absolue pour l’expérimentation, la validation et la certification des technologies du vol en France.


Illustration:
– Le site exceptionnel de Modane en Savoie.
caia.net – La soufflerie S1MA (Soufflerie 1 Modane-Avrieux) ou Soufflerie Paul Dumanois. – Wikipédia
– La grande soufflerie S1MA de Modane a été construite en 1947. Elle demeure le plus grand équipement de recherche de ce type au monde. © ONERA
– La soufflerie S1MA, la plus grande au monde, peut simuler un vol à mach 1. – caia.net