Un dentiste effrayant au XIXème Siècle - Image IA

LE JOUR OÙ LES OPÉRATIONS CHIRURGICALES CESSÈRENT D’ÊTRE DES SÉANCES DE TORTURE 📆 30 septembre 1846

La médecine traverse une véritable révolution le 30 septembre 1846. Ce soir-là, à Boston, le docteur William Thomas Green Morton accueille Eben Frost, un marchand venu pour une extraction dentaire. Ce dernier s’amène à reculons chez le praticien mais la douleur est trop intense ; il n’a plus le choix. Mais la chance est avec lui ce jour-là.

Morton, chercheur passionné et humaniste, vient d’expérimenter sur lui-même l’éther sulfurique, un produit habituellement employé en pharmacie et pour certaines affections respiratoires. Lorsqu’il invite Frost à inspirer la vapeur anesthésique, il ne sait pas encore qu’il s’apprête à entrer dans l’histoire. Frost ne sent rien, la dent est extraite, et Morton, ému, publie le récit de ce succès le soir même dans la presse. Il vient, sans le savoir, d’ouvrir la porte à une nouvelle ère médicale, celle où la douleur n’est plus une fatalité.

Le chirurgien plus boucher que médecin

Avant cette révolution, la douleur est la compagne indissociable de toute intervention chirurgicale. On pénètre alors dans la salle d’opération comme on entre dans l’arène : avec terreur, résignation et la certitude de souffrir. Les malades sont souvent plus effrayés par la perspective de la douleur que par celle de la maladie elle-même. Plusieurs aides doivent retenir le patient, tandis que le chirurgien opère à vive allure, cherchant à écourter le supplice. Les cris retentissent ; nombreux sont ceux qui s’évanouissent ou qui, pris de panique, fuient jusqu’à abandonner tout espoir de guérison.

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Les praticiens recourent parfois à des breuvages alcoolisés, à l’opium, au laudanum, tentant d’engourdir faiblement la douleur. De rares éponges soporifiques ou décoctions d’herbes, utilisés selon des savoirs populaires et artisanaux, apportent peu de réconfort. Les chirurgiens développent l’art d’aller vite, préférant trancher dans la chair en quelques minutes pour éviter à leur patient l’effroi d’une agonie prolongée. Les interventions longues ou complexes restent rares et souvent fatales ; la douleur reste la maîtresse du jeu.

La révolution en marche

Morton n’est pas le premier à s’intéresser au potentiel anesthésiant de l’éther, mais il ose franchir une étape décisive. Après des mois d’essais sur lui-même, sur des animaux et grâce à la recommandation du chimiste Charles Jackson, il mise sur l’inhalation, inspiré en partie par les travaux de Faraday en 1818 sur les effets léthargiques de l’éther. Il perfectionne la pureté du produit, met au point un inhalateur en verre garantissant une bonne diffusion, et choisit la prudence, se documentant et testant longuement avant de proposer la pratique à ses patients.

Son premier succès, le 30 septembre, marque la naissance officielle de l’anesthésie moderne. L’événement, authentifié par des témoins, bouleverse vite la communauté médicale qui commence à envisager la chirurgie sans torture.

« Messieurs, ce n’est pas une supercherie »

Après la réussite dans le secret de son cabinet, Morton presse le professeur John Collins Warren, chirurgien éminent, d’accepter une expérience publique. Le 16 octobre 1846, dans le Dôme du Massachusetts General Hospital, devant une assemblée sceptique et tendue, il endort Edward Gilbert Abbott à l’éther. Le silence s’installe alors que, pour la première fois, le patient garde la paix et le calme tandis que le scalpel agit sur la tumeur.

« Messieurs, ce n’est pas une supercherie » proclame Warren lorsque, à l’issue de la procédure, le patient se réveille, indemne et ignorant la douleur ressentie habituellement. Émus, les médecins ne tardent pas à relayer cette prouesse, et le récit fait sensation à Boston comme à Londres ou Paris. Ce jour-là, la douleur sort de la salle d’opération.

Se lève alors une tempête éthique

Après sa démonstration, Morton dépose un brevet espérant protéger sa découverte et, peut-être, obtenir une reconnaissance financière. Pourtant, la médecine du XIXᵉ siècle refuse que l’acte de soulager la douleur devienne un bien marchand. Les sociétés médicales le désavouent : le bien du patient prime sur tout esprit de profit.

Morton, acculé, finit par déclarer publiquement sa découverte « propriété de la science », s’effaçant pour permettre la diffusion de la technique sans entrave dans les hôpitaux d’Europe et des États-Unis. L’anesthésie se mondialise en quelques mois, l’expérimentation franchit l’océan, et la douleur chirurgicale, grâce à cet élan collectif, commence enfin à reculer.

Anesthésier aujourd’hui

De nos jours, l’anesthésie n’est plus un pari risqué : les avancées de la science offrent un éventail de médicaments sûrs et adaptés. Les anesthésiques généraux modernes comme le propofol, le sévoflurane ou le protoxyde d’azote, associés à des agents locaux tels que la lidocaïne ou la bupivacaïne, assurent la sécurité et le confort du patient.

Les interventions se déroulent sous une surveillance stricte et sont améliorées grâce à la combinaison de techniques, autorisant des opérations ambitieuses, autrefois impensables. La médecine moderne considère la maîtrise de la douleur comme une priorité éthique, où chaque geste chirurgical s’accompagne d’un respect total du patient.

Mais et Crawford Long alors ?

Si Morton popularise l’anesthésie à l’éther en 1846, quelques années plus tôt, en 1842, le chirurgien américain Crawford Williamson Long réalise à Jefferson (Géorgie) la première opération chirurgicale sous éther, en retirant des tumeurs à un patient sans douleur. Long, convaincu du potentiel de l’éther pour supprimer la souffrance, utilise régulièrement cette méthode dans sa pratique – y compris pour des accouchements et des amputations.

Pourtant, son oubli dans l’histoire tient surtout à l’absence de publication : durant plusieurs années, Long ne documente pas ses résultats dans la presse scientifique, ce qui freine la diffusion de son geste révolutionnaire. Ce n’est qu’en 1849 qu’il publie finalement sa découverte dans le Southern Medical and Surgical Journal et reçoit le crédit d’avoir été le premier à utiliser l’éther comme anesthésique opératoire.

Les archives montrent que Long expérimente plusieurs années dans le secret de son cabinet, et qu’il se prive ainsi d’une reconnaissance mondiale immédiate. Son histoire, longtemps éclipsée par celle de Morton, rappelle l’importance de la communication scientifique et le rôle décisif de la démonstration publique. Aujourd’hui, bon nombre d’historiens considèrent Crawford Long comme le véritable pionnier de l’anesthésie chirurgicale, aux côtés de Morton, Wells et Jackson.


Illustration: Un dentiste plus tortionnaire que soignant au XIXème siècle – Image IA