Au matin du 4 octobre 1830, les rues de Bruxelles s’éveillent dans une atmosphère fébrile. Après des semaines de combats et de revendications, une nouvelle retentit, porteur d’espoir : le gouvernement provisoire proclame l’indépendance de la Belgique.
À l’Hôtel de Ville, sur la Grand Place, patriotes et simples citoyens se rassemblent et perçoivent que leur vie bascule. Loin d’un geste anodin, cette proclamation matérialise la volonté d’un peuple de rompre avec l’autorité néerlandaise et de prendre enfin son destin en main. L’acte s’inscrit comme un événement marquant, salué par une population encore bouleversée par les émeutes récentes et la débandade néerlandaise.
Sommaire
Un peuple opprimé prêt à en découdre
Depuis 1815, la population belge vit sous la domination des Pays-Bas. Le roi Guillaume Ier impose une centralisation qui marginalise les Belges dans l’administration, favorise la langue néerlandaise et désavantage économiquement les provinces du sud. Les tensions religieuses s’ajoutent : la majorité catholique vit mal la politique protestante menée par La Haye.
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Année après année, la colère grandit, alimentée par la crise économique de la fin des années 1820, qui voit augmenter la pauvreté, le chômage, et les frustrations sociales. Partout, dans les cafés bruxellois, dans les ateliers ouvriers ou les salons bourgeois, la discussion tourne à la contestation. Au fil des mois, la société se crispe, s’échauffe. Au bout, il suffit d’un rien pour que tout explose.
L’opéra qui met le feu aux poudres
Le déclic se produit le 25 août 1830 au Théâtre de la Monnaie, lors de la représentation de « La Muette de Portici ». L’histoire d’une révolte napolitaine contre un occupant étranger fait vibrer le public, déjà fier et sensible aux chants patriotiques du premier acte. Lors de l’air « Amour sacré de la patrie », la salle frémit, puis s’embrase : spectateurs émus montent sur scène, d’autres quittent leur siège pour réunir la foule à l’extérieur.
Les rues de Bruxelles voient alors naître des cortèges, des manifestants qui s’attaquent aux édifices administratifs et aux symboles du pouvoir hollandais. L’opéra, prévu comme une distraction et toléré malgré la censure, devient en un instant le signal d’un soulèvement général, amplifié par la misère et le sentiment d’injustice.
La résistance populaire triomphe
Très vite, Bruxelles se transforme en un vaste champ de bataille. Les Néerlandais, pris de court, peinent à juguler la révolte. Le roi Guillaume Ier envoie 6 000 hommes sous le commandement du prince héritier, espérant rétablir l’ordre. Mais la population, disposant de l’appui de volontaires issus des provinces et galvanisée par les succès initiaux, multiplie les barricades et repousse chaque offensive.
Entre le 23 et le 27 septembre, les combats font rage dans la capitale, autour du Parc Royal et de la rue de la Loi. Bientôt, l’armée néerlandaise se replie, franchissant la frontière sous la pression des insurgés et abandonnant presque tout le territoire, ne maintenant sa présence que dans les citadelles d’Anvers et de Maastricht. Ailleurs, partout, les Belges acclament leur victoire, conscients d’avoir inversé le cours de l’histoire par le courage et l’union populaire.

Région de Bruxelles-Capitale – Inventaire du patrimoine mobilier
La naissance d’un État belge
Immédiatement après la victoire, les chefs de la révolution mettent en place un gouvernement provisoire. Ce comité, composé de figures de la bourgeoisie libérale et catholique, proclame le 4 octobre l’indépendance de la Belgique. Les représentants annoncent la convocation d’un Congrès national, élu au suffrage censitaire, dont la mission sera de doter la future Belgique d’une Constitution fondatrice.
Les jours suivants, dans une Europe inquiète, les grandes puissances ouvrent à Londres une conférence diplomatique pour fixer le sort du nouvel État et éviter la contagion révolutionnaire. Les diplomates britanniques, français, autrichiens, prussiens et russes s’accordent sans intervenir militairement, soucieux de ne pas déclencher une guerre générale. Dès janvier 1831, ils reconnaissent la neutralité et l’indépendance de la Belgique, amorçant la reconnaissance internationale du nouvel État.
Léopold Ier, un roi au service de la liberté
Après mille atermoiements et la crainte d’un rapprochement avec la France, le Congrès belge choisit finalement de confier la couronne à Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha. Cet aristocrate allemand, veuf de la princesse Charlotte d’Angleterre, bénéficie d’une solide expérience diplomatique et rassure les chancelleries européennes. Le 4 juin 1831, il est élu ; le 21 juillet, il prête serment sur la Constitution sur la place Royale de Bruxelles, devant une foule enthousiaste.
Sa neutralité politique, son image de conciliateur et son engagement pour une monarchie constitutionnelle l’inscrivent comme le garant du nouvel État et des libertés belges. La Belgique, en se dotant d’un roi étranger et indépendant, évite ainsi d’entrer sous influence d’une puissance voisine et affirme sa singularité diplomatique.
L’Europe des années 1830 en pleine ébullition
La révolution belge ne survient pas dans le vide : elle s’inscrit dans un vaste mouvement qui agite l’Europe des années 1830. Partout, l’ordre issu du Congrès de Vienne, qui prétend effacer l’héritage napoléonien et restaurer la légitimité monarchique, se fissure. Paris donne le la lors des Trois Glorieuses de juillet 1830, chassant Charles X.
Les Polonais, les Italiens, les Allemands, à leur tour, se soulèvent contre les injustices et les monarchies restaurées. Idéaux libéraux, nationalisme et rêves d’émancipation traversent les sociétés et poussent les peuples à réclamer leur part de souveraineté. Si bien d’autres révolutions échouent, la Belgique, elle, parvient à s’extraire du carcan des grandes puissances et à imposer son indépendance, devenant le symbole d’une Europe qui s’émancipe par la volonté populaire et le courage civique.
Illustration: Le départ des volontaires liégeois pour Bruxelles, par Charles Soubre, toile de 1878. – Wikipédia