Je soutiens le projet

Véronique et Félicette

DEUX FRANÇAISES DANS LES ÉTOILES 📆 18 octobre 1963

Le 18 octobre 1963, au cœur du désert saharien, la base d’Hammaguir résonne d’une effervescence intense. Ce matin, la France écrit une page inattendue de son aventure spatiale : la fusée Véronique AG1 s’élance dans le ciel, portant à son bord une passagère inhabituelle, Félicette, une chatte ramassée quelques mois plus tôt dans les rues de Paris.

Loin des regards, au sud-ouest de Béchar, ingénieurs, médecins et militaires retiennent leur souffle alors que la capsule s’arrache à la gravité terrestre. Ce lancement, très médiatisé dans la presse de l’époque, incarne à la fois le sérieux scientifique et l’audace d’un pays qui entend, malgré les secousses de l’Histoire, compter parmi les puissances spatiales majeures.

L’histoire d’un immense effort collectif

Derrière ce tir, c’est l’histoire d’un immense effort collectif et d’une stratégie nationale de reconstruction qui se dévoile. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’État français investit massivement dans la recherche et la modernisation de l’industrie, persuadé que progrès scientifique et autonomie militaire sont inséparables.

Tu apprécies mes contenus. Clique ici pour soutenir l'édition de cet almanach.

L’installation du Centre Interarmées d’Essais d’Engins Spéciaux (CIEES) à Hammaguir en 1947 répond à cette logique : le vaste plateau désertique, isolé, offre les garanties idéales pour expérimenter missiles et fusées, loin des centres urbains et des indiscrétions internationales. Le CNES, fondé en 1961, accélère encore le mouvement, en fédérant savoirs, financements publics et esprit d’innovation.

Dans ce contexte, la France développe toute une série de fusées-sondes (Véronique, Émeraude, Saphir, Diamant) qui préparent la voie blanche vers son premier satellite, Astérix, puis vers la conquête d’une autonomie spatiale inédite en Europe.

La fusée Véronique AGI, bien que modeste comparée aux lanceurs Ariane, représente une prouesse technologique pour son époque :

CaractéristiqueVéronique AGIAriane 1Ariane 6
Longueur7,3 mètres50 mètres63 mètres
Diamètre0,55 mètres3,8 mètres5,4 mètres
Masse1 342 kg210 tonnes860 tonnes
Poussée au décollage40 kN2 400 kN13 480 kN
Charge utile60 kg1,8 tonnes (orbite géostationnaire)21,6 tonnes (orbite basse)
CarburantAcide nitrique et essence de térébenthineUH 25 et N2O4Hydrogène liquide et oxygène liquide

Félicette, pionnière de l’espace

L’histoire de Félicette est celle d’une héroïne oubliée, modeste mais courageuse, sélectionnée parmi plusieurs chattes pour sa docilité et sa robustesse.

Son vol du 18 octobre 1963 vise à comprendre les réactions biologiques et neurologiques face à l’apesanteur, une inconnue majeure pour les chercheurs du Centre d’enseignement et de recherche de médecine aéronautique (CERMA). Pendant treize minutes, Félicette s’élève à 156 km d’altitude, expérimente cinq minutes d’apesanteur, alors que des électrodes enregistrent chaque impulsion de son cerveau. Le vol, parfaitement orchestré, se conclut par une récupération réussie de la capsule et une Félicette en pleine forme.

Pourtant, quelques semaines plus tard, les scientifiques décident de l’euthanasier afin d’analyser son système nerveux ; selon les scientifiques du programme, les conclusions s’avèrent finalement maigres, mais la prouesse technique demeure.

Le contexte politique d’Hammaguir

Le lancement de 1963 s’inscrit dans un contexte politique plus que délicat. Deux ans après l’indépendance algérienne, la France conserve encore, par accords bilatéraux, la maîtrise du site stratégique d’Hammaguir, tout en préparant son retrait programmé pour 1967.

La région connaît à cette époque les tensions extrêmes de la guerre des Sables, qui oppose l’Algérie au Maroc autour des frontières sahariennes et place le centre spatial sous surveillance militaire permanente. La présence de la Légion étrangère et le renforcement de la sécurité témoignent de l’importance géopolitique du lieu : la France doit à tout prix garantir la poursuite de ses recherches, tout en ménageant une transition diplomatique complexe avec le nouveau pouvoir algérien.

Avec la fin des années 1960, Hammaguir ferme progressivement ses portes aux expérimentations françaises. La restitution du site à l’Algérie le 1er juillet 1967 marque la fin d’une ère et l’ouverture d’un nouveau chapitre avec la création du Centre spatial guyanais à Kourou. Les installations, partiellement réutilisées de manière locale, s’effacent peu à peu sous le sable. Aujourd’hui, Hammaguir subsiste surtout comme mémorial de cette course effrénée vers l’espace.

Une reconnaissance tardive

Longtemps, la mémoire de Félicette reste marginale, éclipsée par celle d’animaux emblématiques comme Laïka ou Ham. Pourtant, la reconnaissance finit par arriver, lentement, portée par la mobilisation de passionnés, de scientifiques et d’artistes. En 2019, une statue la représentant trône désormais sur le campus de l’Université spatiale internationale à Strasbourg, rappelant les heures glorieuses de la conquête spatiale française qui n’auraient pu être possible sans Félicette et Véronique.


Illustration:
– Une Veronique AGI sur son pas de tir en 1962. – Wikipédia
– Carte en l’honneur de Félicette : « Thank you for your participation in my success of 18 October 1963”. – Wikipédia