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Arnold Rothstein at the New York State Supreme Court

MORT IRONIQUE D’UN GANGSTER 📆 6 novembre 1928

Le 6 novembre 1928, Arnold Rothstein meurt dans un lit d’hôpital new-yorkais, victime d’une balle reçue lors d’un guet-apens dans un hôtel de Manhattan. Après avoir passé sa vie à truquer des paris, Rothstein succombe ironiquement à une blessure reçue après un poker marathon jugé truqué où il contracte une dette énorme qu’il refuse d’honorer. Ce refus lui coûte la vie, dans un milieu où l’honneur de la parole donnée aux jeux de hasard est aussi sacré que la loi du silence.

Arnold Rothstein grandit à Manhattan dans une famille juive aisée, loin des quartiers populaires et violents où s’exercent les premières formes de criminalité urbaine. Pourtant, dès l’adolescence, il délaisse l’école pour s’immerger dans l’univers des salles de billard et des paris clandestins. C’est par cette voie qu’il apprend la valeur des chiffres et se spécialise dans la gestion et la manipulation des jeux d’argent. Repéré par Monk Eastman, un chef de gang impitoyable, Rothstein entre dans le grand banditisme mais se distingue rapidement par son intelligence, son élégance et son sens des affaires. Il incarne un nouveau visage du crime, où la force brute cède la place à la stratégie, au réseautage politique et à la corruption.

Rothstein excelle dans le truquage des courses hippiques, un domaine très lucratif. Il exploite des méthodes finement orchestrées, notamment en soudoyant des jockeys pour qu’ils ralentissent volontairement ou fassent perdre certains chevaux, ce qui permet aux bookmakers et parieurs de son réseau de miser sur des résultats arrangés. Il corrompt aussi des entraîneurs et propriétaires, contrôlant ainsi une grande partie de la chaîne autour de la course. Le trucage est souvent préparé à l’avance, avec une manipulation minutieuse des paris pour maximiser les gains tout en minimisant les soupçons. La sophistication de ces pratiques renforce la réputation de Rothstein comme l’un des plus grands malins de la pègre new-yorkaise.

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Rothstein s’illustre également pour son rôle dans l’un des plus grands scandales sportifs américains, le trucage des World Series de baseball en 1919. Il organise la corruption de joueurs des Chicago White Sox, manipulant le résultat de la finale contre les Cincinnati Reds pour garantir d’énormes gains aux parieurs. Ce coup d’éclat lui vaut une notoriété durable et illustre son talent pour contrôler et exploiter des secteurs inattendus, mêlant crime et industrie sportive. Ce scandale, connu sous le nom de Black Sox, marque un tournant dans l’histoire du sport et dans la perception du crime organisé aux États-Unis.

Avec la Prohibition, Rothstein saisit l’opportunité offerte par l’interdiction de l’alcool pour construire un vaste réseau de contrebande. À la tête d’un empire de trafic, il coordonne ses affaires avec finesse, faisant appel à des policiers corrompus, des politiques complices et des partenaires issus de différentes communautés mafieuses. Grâce à cette organisation moderne et à son sens des finances, il accède à une richesse colossale, évaluée à plus de 10 millions de dollars à l’époque (l’équivalent de centaines de millions aujourd’hui).

Son influence dépasse le cadre du crime pur : il devient un véritable homme d’affaires, mentor de plusieurs grands mafieux qui lui doivent leur carrière :

  • Lucky Luciano : Considéré comme l’un des pères fondateurs de la mafia italienne aux États-Unis, Luciano a été inspiré par la gestion stratégique de Rothstein et a adopté son modèle d’entreprise structurée pour organiser la mafia italienne.
  • Meyer Lansky : Collaborateur étroit de Luciano et figure majeure de la mafia, Lansky a également appris de Rothstein en matière de gestion et de finance. Il a piloté avec lui une partie des activités de jeu et de trafic durant les années 1920.
  • Frank Costello : Un des patrons de la mafia new-yorkaise, il a bénéficié des réseaux et des méthodes instaurés par Rothstein pour développer ses propres opérations.
  • Bugsy Siegel : Bien qu’il soit plus associé à la mafia juive, il a été influencé par la stratégie et le réseau de Rothstein dans le trafic et le développement de casinos.

Malgré sa puissance, la fin de Rothstein est tragique. Après avoir perdu une somme colossale lors d’un poker marathon qu’il considère trafiqué, il refuse de payer sa dette. Cet affront lui coûte la vie : le 4 novembre 1928, il est abattu dans un couloir du Park Central Hotel. Fidèle à son code, il ne divulgue jamais l’identité de son assassin avant de succomber à ses blessures deux jours plus tard, refusant de rompre le silence qui régit son monde. Lorsqu’à son chevet la police tente de lui extorquer le nom de son agresseur, il répond par cette phrase devenue célèbre : « Vous vous en tenez à votre métier. Je m’en tiendrai au mien », refusant de trahir le code d’honneur du crime organisé. Il laisse derrière lui un empire criminel florissant et un héritage complexe, celui d’un gangster qui n’a jamais tué directement, mais qui a su transformer le crime en une affaire rigoureuse, sophistiquée.

Ce meurtre met un terme à une époque et symbolise la transition vers un crime plus structuré, moins violent en apparence mais d’autant plus redoutable.


Illustration: Arnold Rothstein at the New York State Supreme Court. – themobmuseum.org