Le 10 mai 1941, Rudolf Hess, le proche parmi les proches d’Hitler, s’envole vers l’Angleterre pour accomplir une mission aussi folle qu’inexplicable. Sans aucune concertation et surtout sans l’aval de son maître, il se fait fort de négocier un rapprochement totalement illusoire entre l’Allemagne et l’Angleterre.
Sommaire
Le dauphin d’Hitler
Rudolf Hess, figure emblématique du Troisième Reich, incarne la fidélité absolue à Adolf Hitler. Dès les débuts du parti nazi, il se distingue par son engagement sans faille et sa loyauté sans réserve. Il participe au putsch de Munich, partage la détention de Landsberg avec Hitler et l’aide à rédiger Mein Kampf, le manifeste idéologique du nazisme. À la sortie de prison, Hess gravit rapidement les échelons du parti : en 1933, Hitler le désigne publiquement comme son dauphin, le troisième homme du régime après Göring. Il est le seul à pouvoir signer au nom du Führer, vise tous les projets de loi et joue un rôle clé dans la rédaction des lois de Nuremberg. Pourtant, malgré son influence, Hess reste à l’écart des intrigues, se contentant de servir Hitler sans jamais chercher à s’imposer politiquement pour lui-même.

© Collection particulière. – Le Point

Un rêve de paix séparée
Au début des années 1940, alors que la guerre s’enlise, Hess nourrit une obsession : convaincre le Royaume-Uni de conclure une paix séparée avec l’Allemagne. Il admire les Britanniques, qu’il considère comme des « Aryens » au même titre que les Allemands, et rêve d’une alliance qui permettrait à Hitler de concentrer ses forces contre l’Union soviétique. Pour Hess, certains membres de l’aristocratie britannique, tels que le duc d’Hamilton, seraient prêts à négocier si Churchill était écarté. Plusieurs signaux, comme une rencontre organisée en Suisse entre des diplomates suisses et anglais, confortent Hess dans l’idée qu’un contact direct pourrait aboutir à un accord.
La folle mission qu’il se donne seul
Le 10 mai 1941, Rudolf Hess prend une décision aussi risquée qu’extraordinaire. Convaincu que la paix avec l’Angleterre est possible et que lui seul peut accomplir cette mission, il s’envole d’Augsbourg à bord d’un Messerschmitt Bf 110, prétextant un simple vol d’essai. Il franchit la mer du Nord, évite la chasse ennemie et saute en parachute près du domaine du duc d’Hamilton, en Écosse. Blessé à la cheville, il se présente comme un émissaire de paix, exigeant une entrevue avec Churchill et affirmant avoir une proposition capitale à transmettre. Hess croit fermement qu’il peut convaincre les Britanniques de laisser l’Allemagne agir à l’Est en échange de la préservation de l’Empire britannique. Mais il se trompe lourdement sur la volonté britannique et la réalité politique du moment.
L’incroyable erreur d’appréciation
L’initiative de Hess sidère les autorités britanniques, qui l’arrêtent aussitôt. Les services secrets et le duc d’Hamilton l’interrogent, mais ne prennent pas au sérieux ses propositions. La Grande-Bretagne, unie par les bombardements du Blitz, n’envisage aucune paix séparée avec Hitler. Churchill exploite même la situation pour semer la confusion chez les Allemands et les Soviétiques, laissant croire à la possibilité de négociations pour gagner du temps et préparer l’entrée en guerre des États-Unis. Hess, isolé, n’obtiendra jamais la moindre audience politique : il reste détenu jusqu’à la fin de la guerre, relégué au rang de prisonnier embarrassant.
La colère noire du maître
À Berlin, la nouvelle de la mission solitaire de Hess provoque une onde de choc. Hitler, profondément affecté, entre dans une colère noire en découvrant la lettre laissée par son ancien ami. Il considère ce geste comme une trahison et une « évasion plus grave que la désertion d’un corps d’armée ». Sur les conseils de Goebbels, Hitler fait passer Hess pour fou dans la propagande nazie, affirmant qu’il a agi seul et sans autorisation. Hess est ainsi discrédité publiquement et effacé du cercle du pouvoir, son nom banni des discours officiels.
Hess reste fidèle jusqu’au bout
Après la guerre, Rudolf Hess est jugé au procès de Nuremberg parmi les principaux dirigeants nazis. Il ne reconnaît aucune culpabilité, se dit fier d’avoir servi Hitler et tente de justifier sa mission en Écosse comme une tentative de paix. Il adopte une attitude distante, invoquant même des troubles de mémoire, mais les experts psychiatres concluent à sa responsabilité pénale. Hess est finalement reconnu coupable de complot et de crimes contre la paix, mais acquitté des crimes de guerre et contre l’humanité. Il est condamné à la prison à perpétuité, sans possibilité de libération anticipée.
Il meurt totalement isolé
Transféré à la prison de Spandau à Berlin-Ouest, Hess vit une captivité hors du commun. Dès 1966, il devient l’unique prisonnier d’une forteresse surveillée par les quatre puissances alliées. Il subit un isolement extrême : une seule visite familiale par mois, aucune communication avec la presse, ses écrits systématiquement détruits pour éviter tout culte posthume. Malgré son âge et sa santé déclinante, aucune clémence ne lui est accordée, notamment sous la pression de l’URSS. Les Alliés maintiennent un dispositif de sécurité disproportionné pour ce seul prisonnier, symbole de leur unité passée.
Hess meurt en prison le 17 août 1987, officiellement par suicide. Peu après, la prison de Spandau est rasée pour éviter qu’elle ne devienne un lieu de pèlerinage néonazi. L’histoire de Rudolf Hess, fidèle parmi les fidèles, se termine dans la solitude et l’oubli, marquée par un geste insensé et une captivité unique, qui demeurent aujourd’hui encore parmi les épisodes les plus fascinants et énigmatiques du Troisième Reich.
Illustration: Hess en détention à Nuremberg (novembre 1945). – Wikipédia