Le 18 juin 1983, la ville de Chiraz s’enfonce dans la nuit. Mona Mahmudnizhad, âgée de seulement 17 ans, et neuf autres femmes bahá’Ães se tiennent debout, menottées, la corde au cou. Elles vont être pendues pour avoir refusé de renier leur foi. Dans un geste d’une humanité bouleversante, Mona demande à être la dernière exécutée, afin de pouvoir soutenir chacune de ses amies jusqu’au bout par la prière.
Les bourreaux la pendent, comme les autres, sur la place Chowgan, à l’abri des regards. Les familles ne reçoivent jamais les corps ; les autorités enterrent les dépouilles en secret, effaçant jusqu’à la trace de leur existence. Cette scène, d’une cruauté inouïe, marque à jamais la mémoire de ceux qui en prennent connaissance, et fait de Mona un symbole universel du martyre.
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Mona Mahmudnizhad

Mona voit le jour le 10 septembre 1965 à Aden, au Yémen, dans une famille profondément attachée à la foi bahá’Ãe. Chassée du Yémen avec ses parents, elle grandit en Iran, où la famille s’installe à Chiraz. Dès l’enfance, Mona se distingue par sa curiosité, sa générosité et son engagement. Elle fréquente le lycée, s’investit dans l’éducation des enfants de la communauté bahá’Ãe et incarne, aux yeux de tous, la douceur et la bienveillance.
Mais le climat politique se durcit : en octobre 1982, la répression contre les bahá’Ãs s’intensifie. Mona et son père sont arrêtés, et la jeune fille se retrouve plongée dans l’univers carcéral du régime, aux côtés de femmes qui partagent sa foi et son courage.
La foi bahá’Ãe en Iran ?
La foi bahá’Ãe naît au XIXe siècle en Perse, aujourd’hui l’Iran, et proclame l’unité de Dieu, des religions et de l’humanité. Pourtant, dans le pays qui l’a vue naître, cette religion reste bannie. Le clergé chiite considère la foi bahá’Ãe comme une hérésie, car elle affirme que la révélation divine ne s’arrête pas à Mahomet, ce qui contredit le dogme fondamental de l’islam chiite.
Depuis la révolution islamique de 1979, la persécution s’intensifie : arrestations arbitraires, exclusions de l’université et de la fonction publique, confiscations de biens, destruction de cimetières, campagnes de haine orchestrées par l’État. Les bahá’Ãs deviennent les boucs émissaires d’un régime qui cherche à imposer une vision unique de la foi et de la société, les privant de droits fondamentaux et de toute reconnaissance officielle.
Arrestation, torture et procès
Lorsque Mona et les neuf autres femmes sont arrêtées, c’est toute une communauté qui est visée. Les autorités procèdent à des perquisitions ciblées, arrêtant les femmes chez elles ou lors d’activités communautaires. En prison, elles subissent l’isolement, la torture physique et psychologique : coups, menaces, simulacres d’exécution. Les interrogateurs cherchent à les briser, à leur arracher une renonciation à leur foi, mais toutes résistent.
Le procès, expéditif, se tient sans avocat ni possibilité de se défendre. Les accusations sont vagues, souvent liées à leur appartenance à la foi bahá’Ãe ou à leur implication dans l’éducation des enfants. On leur reproche aussi des liens supposés avec l’étranger, en raison du siège mondial de la foi à Haïfa, en Israël. La sentence tombe, implacable : la mort par pendaison. Les familles ne sont pas informées, et les femmes affrontent leur sort dans la dignité et la solidarité.
Mona : un autre symbole
Parmi les dix femmes exécutées ce soir-là , Mona attire particulièrement l’attention par sa jeunesse et son attitude héroïque. À 17 ans, elle incarne l’innocence sacrifiée et la force tranquille de celles qui refusent de plier devant l’injustice. Sa demande d’être la dernière exécutée, pour accompagner ses compagnes dans leurs derniers instants, bouleverse tous ceux qui entendent son histoire.
Après sa mort, Mona inspire des chansons, des pièces de théâtre, des documentaires. La Mona Foundation, créée en son honneur, œuvre pour l’éducation des filles à travers le monde. Son visage devient celui de la persécution religieuse, mais aussi de l’espérance : celui d’une jeunesse qui, face à la barbarie, choisit la dignité et la paix. Mona Mahmudnizhad n’est plus seulement une victime, elle devient le symbole universel de la résistance pacifique et de la liberté de conscience.
Les persécutions aujourd’hui
Quarante ans après l’exécution de Mona, la persécution des bahá’Ãs en Iran ne faiblit pas, bien au contraire. Les autorités iraniennes poursuivent une politique systématique de discrimination et de répression : arrestations arbitraires, détentions, confiscations de biens, interdiction d’accès à l’enseignement supérieur et à de nombreux emplois, destruction de cimetières et refus d’inhumation digne.
Les femmes bahá’Ães sont particulièrement visées : en 2024, des dizaines d’entre elles sont condamnées à de lourdes peines de prison, à des amendes, à la confiscation de leurs biens et à des interdictions de voyager. Les arrestations se multiplient, parfois en présence de jeunes enfants, et les conditions de détention sont souvent inhumaines, avec des privations de soins et des pressions psychologiques constantes.
La communauté internationale, notamment les Nations unies et des ONG comme Human Rights Watch et Amnesty International, continue de dénoncer ces violations massives des droits humains. En 2024, l’Assemblée générale de l’ONU renouvelle le mandat du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran, soulignant la gravité des abus commis contre les bahá’Ãs et la nécessité de poursuivre la documentation et la dénonciation de ces crimes.
Le combat de toutes les femmes en Iran
Le sort des femmes bahá’Ães s’inscrit dans un contexte plus large de répression contre toutes les femmes iraniennes. Depuis le soulèvement « Femme, Vie, Liberté » déclenché par la mort de Mahsa Amini en 2022, les Iraniennes bravent quotidiennement les lois discriminatoires, notamment sur le port obligatoire du voile, au prix d’arrestations, de peines de prison, de flagellations et parfois même de la mort. En 2024, une nouvelle loi draconienne aggrave encore la situation, prévoyant la peine de mort, la flagellation, l’emprisonnement et des amendes pour celles qui défient ces règles.
Les femmes bahá’Ães, déjà ciblées pour leur foi, subissent une double discrimination : elles sont à la fois victimes de la répression religieuse et de la politique sexiste du régime.
Illustration: Mona Mahmudnizhad (en haut à gauche) et ses compagnes martyres : Nusrat Yalda’i, 54 ans ; ‘Izzat Janami Ishraqi, 50 ans ; Roya Ishraqi, 23 ans et fille de ‘Izzat ; Tahirih Siyavushi, 32 ans ; Zarrin Muqimi, 28 ans ; Shirin Dalvand, 25 ans ; Akhtar Sabit, 19 ans ou 20 ans ; Simin Saberi, 24 ans ; Mahshid Nirumand, 28 ans.