Derniers vestiges d'un empire

QUAND UN EMPIRE S’EFFACE DANS LA PLUS GRANDE INDIFFÉRENCE 📆 24 juin 474

Le 24 juin 474, dans une Italie dĂ©jĂ  exsangue, Flavius Julius Nepos ceint la pourpre impĂ©riale Ă  Ravenne. Ce couronnement, loin des fastes d’antan, se dĂ©roule dans un empire en ruine, rĂ©duit Ă  quelques lambeaux de territoire et Ă  une autoritĂ© vacillante.

Il n’y a plus de foules en liesse ni de cortĂšges triomphaux ; la cĂ©rĂ©monie se fait presque Ă  huis clos, dans l’ombre des murailles de Ravenne, capitale de substitution depuis que Rome elle-mĂȘme n’est plus qu’un souvenir. Pourtant, Ă  cet instant, Julius Nepos incarne encore l’espoir tĂ©nu d’un sursaut romain face Ă  la dĂ©bĂącle. On veut croire, malgrĂ© tout, que l’histoire peut encore s’inverser, que Rome peut renaĂźtre de ses cendres. Mais la lassitude perce dans les regards, et mĂȘme les plus fidĂšles sentent que le temps des miracles est passĂ©.

Peut-on encore parler d’empire ?

Lorsque Julius Nepos accĂšde au trĂŽne, l’Empire romain d’Occident n’est plus que l’ombre de lui-mĂȘme. L’Italie, la Dalmatie et quelques poches en Provence restent les seuls vestiges d’un empire qui, jadis, couvrait toute l’Europe occidentale, l’Afrique du Nord et une partie du Proche-Orient.

La Gaule, l’Hispanie et l’Afrique sont dĂ©sormais dominĂ©es par les royaumes barbares : Wisigoths, Vandales, Francs ou Burgondes. MĂȘme le « royaume de Soissons », ultime enclave romaine en Gaule, vit ses derniers jours. Les anciennes provinces, autrefois si fiĂšres de porter le nom de Rome, ne regardent plus vers l’Italie. Elles vivent sous de nouvelles lois, parlent d’autres langues, et l’idĂ©e mĂȘme d’un empire uni n’est plus qu’un souvenir lointain, entretenu par quelques lettrĂ©s nostalgiques.

L’empire s’est dissous, non dans le sang, mais dans l’oubli et la rĂ©signation.

Qui détient vraiment le pouvoir ?

À cette Ă©poque, le pouvoir impĂ©rial ne tient plus qu’à un fil. Les empereurs ne rĂšgnent que par la grĂące de l’armĂ©e d’Italie, composĂ©e en majoritĂ© de mercenaires barbares, et grĂące Ă  la reconnaissance de l’empereur d’Orient. L’autoritĂ© de Julius Nepos, comme celle de ses prĂ©dĂ©cesseurs, dĂ©pend donc autant du bon vouloir des gĂ©nĂ©raux que de l’aval de Constantinople.

Les dĂ©cisions se prennent moins Ă  Rome ou Ă  Ravenne qu’à la cour de l’empereur ZĂ©non, Ă  des centaines de kilomĂštres de lĂ . La lĂ©gitimitĂ© impĂ©riale n’est plus qu’un jeu d’équilibres prĂ©caires, oĂč la diplomatie remplace la force, et oĂč la moindre erreur peut coĂ»ter la couronne, voire la vie.

Les empereurs passent, les généraux complotent, et le peuple, lui, regarde ailleurs, préoccupé par sa survie quotidienne.

Que peut bien faire Julius Nepos ?

Durant son court rĂšgne, Julius Nepos tente de sauver ce qui peut l’ĂȘtre. Il nĂ©gocie avec les Wisigoths, cĂšde des territoires pour prĂ©server la paix, et tente de maintenir l’ordre en Italie. Mais il se heurte Ă  l’hostilitĂ© de ses propres gĂ©nĂ©raux et Ă  l’indiffĂ©rence d’une population lassĂ©e par les guerres et la misĂšre.

Les Ă©lites romaines ne voient en lui qu’un Ă©missaire de Byzance, un Ă©tranger venu imposer la volontĂ© de l’Orient. Les soldats, eux, rĂ©clament des terres et des soldes que l’État ne peut plus fournir. En aoĂ»t 475, Oreste, chef militaire ambitieux, se retourne contre lui, le force Ă  fuir en Dalmatie, et place son jeune fils Romulus Augustule sur le trĂŽne.

Julius Nepos, dernier empereur lĂ©gitime, s’efface sans bruit, emportant avec lui les derniers restes d’un pouvoir dĂ©jĂ  fantomatique.

Quelle légitimité donner à son successeur ?

Romulus Augustule ne rĂšgne que quelques mois. Le 4 septembre 476, Odoacre, chef des mercenaires germaniques, le dĂ©pose sans effusion de sang. Ce geste, presque anodin pour ses contemporains, marque pourtant la fin d’une histoire millĂ©naire. Il n’y a pas de rĂ©volte, pas de cris : Romulus est envoyĂ© dans une villa de Campanie avec une pension, et la vie continue.

Plus aucun empereur n’est proclamĂ© en Occident ; le titre impĂ©rial disparaĂźt, emportant avec lui l’idĂ©e mĂȘme de Rome. Les sĂ©nateurs, rĂ©signĂ©s, envoient les insignes impĂ©riaux Ă  Constantinople, comme on rend les clefs d’une maison que l’on ne peut plus entretenir.

L’Italie passe sous la coupe d’Odoacre, qui gouverne au nom du roi d’Orient, mais sans illusion : l’Empire, ce rĂȘve de domination universelle, n’est plus.

Pourquoi retenir la date du 4 septembre 476 ?

Cette date offre aux historiens un repĂšre clair, une rupture symbolique. La dĂ©position de Romulus Augustule consacre le passage du pouvoir aux chefs barbares et ouvre la voie au Moyen Âge.

Pourtant, la rĂ©alitĂ© est plus nuancĂ©e : Julius Nepos, rĂ©fugiĂ© en Dalmatie, continue Ă  se proclamer empereur jusqu’en 480, reconnu par l’Orient. Mais l’Occident, lui, ne croit plus Ă  Rome.

La date de 476 s’impose par sa simplicitĂ©, sa force narrative : elle cristallise la fin d’un monde, mĂȘme si ce monde s’est Ă©teint bien avant, dans les consciences et dans les faits.

L’histoire, avide de dates et de ruptures, choisit ce moment pour tourner la page, mĂȘme si la transition fut lente, inachevĂ©e, presque imperceptible.

Un monde qui s’efface dans l’indiffĂ©rence

Ainsi s’achĂšve l’Empire romain d’Occident, non dans un fracas apocalyptique, mais dans une lente agonie, presque indiffĂ©rente. Les hommes de ce temps ne voient pas la fin d’un monde, mais l’émergence d’un autre, incertain et barbare. Les paysans continuent de cultiver la terre, les marchands tentent de survivre, les Ă©vĂȘques prĂȘchent la rĂ©signation. Les grandes citĂ©s se vident, les routes se dĂ©gradent, la mĂ©moire de Rome s’efface doucement, remplacĂ©e par d’autres rĂȘves, d’autres peurs, d’autres espĂ©rances.

Aujourd’hui, nous contemplons cette date du 4 septembre 476 comme la fin de l’AntiquitĂ©, conscients que l’histoire ne se termine jamais vraiment, mais qu’elle sait, parfois, refermer ses portes sans bruit.


Illustration: image générée par IA

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