Le 17 juillet 1917, la monarchie britannique connaît l’un de ses plus grands bouleversements symboliques. Alors que la Première Guerre mondiale bat son plein, le roi George V annonce officiellement que la famille royale abandonne le nom « Saxe-Cobourg-Gotha », d’origine allemande, pour adopter « Windsor ».
Ce geste ne relève pas seulement de l’administration, il est pleinement politique et émotionnel. Conscients de l’intense méfiance envers l’Allemagne qui parcourt alors la société britannique – mariée à la peur et aux souffrances de la guerre – le roi et ses conseillers veulent montrer que la Couronne est d’abord et avant tout au service du peuple britannique. À travers ce changement, la monarchie fait preuve d’une volonté claire : s’afficher comme garante de l’unité et incarner l’esprit national dans une époque troublée.
Sommaire
Des racines bien ancrées en Allemagne
Beaucoup l’ignorent, mais la famille royale britannique est en réalité héritière de profondes lignées allemandes. Au début du XVIIIᵉ siècle, après l’extinction de la famille Stuart sur le trône d’Angleterre, le Parlement britannique cherche un souverain protestant pour éviter un retour du catholicisme. Il fait donc appel à Georges Ier, issu de la Maison de Hanovre, en Allemagne du Nord. Bien qu’il ne parle pas anglais, Georges Ier est désigné roi en 1714, devenant ainsi le premier d’une longue succession de monarques aux racines allemandes. Ce choix s’inscrit dans une logique politique : mieux vaut un roi protestant et lointain qu’un catholique de proximité. Dès lors, la monarchie britannique s’arrime discrètement mais solidement à des origines germaniques.
Plus tard, au XIXᵉ siècle, ces liens se renforcent encore : la reine Victoria, souveraine iconique, épouse en 1840 le prince Albert, membre de la maison princière allemande de Saxe-Cobourg-Gotha. À partir de leur union, les descendants de Victoria portent officiellement le nom de « Saxe-Cobourg-Gotha », achevant de sceller l’héritage allemand au cœur de la monarchie britannique. Victoria elle-même orchestre de nombreux mariages de ses enfants au sein de familles princières européennes, en majorité allemandes, ce qui lui vaut le surnom de « grand-mère de l’Europe ».
Le poids de la guerre et de la germanophobie
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, la pression populaire et politique contre tout ce qui évoque l’Allemagne devient extrêmement forte en Grande-Bretagne. De nombreuses rues changent de nom, des commerces allemands subissent des attaques, et la presse se montre très virulente à l’égard de tout symbole germanique.
La famille royale n’y échappe pas : son nom « Saxe-Cobourg-Gotha » suscite malaise et même scandale. Pire, les avions Gotha – responsables de bombardements meurtriers sur Londres – rendent l’association de ce nom avec l’ennemi encore plus insupportable pour le public. Pour beaucoup, le maintien de ce patronyme menace l’unité du Royaume et la légitimité de la monarchie. Le changement de nom s’impose alors comme une nécessité vitale : la monarchie doit apparaître comme purement britannique.
La réaction du peuple au choix de Windsor
Ce n’est pas un hasard si George V choisit « Windsor » : ce nom évoque immédiatement le fameux château de Windsor, résidence des souverains britanniques depuis le XIᵉ siècle, symbole intemporel de la monarchie et de l’histoire nationale. L’annonce du changement est d’emblée accueillie avec enthousiasme et soulagement par la population : les éditoriaux s’en félicitent, la rue l’acclame.
À travers Windsor, la famille royale affiche son enracinement dans la tradition britannique et son partage des souffrances et des peurs du peuple en temps de guerre. Ce geste renforce la popularité de la dynastie et son utilité publique, là où tant d’autres monarchies européennes s’effondrent.
Une véritable rupture avec le passé allemand
Le roi George V ne se contente pas de modifier le nom de la maison. Dans un souci de cohérence, tous les membres de la famille royale et de la haute aristocratie apparentée anglicisent également leurs patronymes et abandonnent leurs titres germaniques. Les Battenberg se transforment en Mountbatten, les princes de Teck deviennent les Cambridge, tous les titres liés à la noblesse de Saxe ou de Wurtemberg disparaissent officiellement.
Ce vaste mouvement d’anglicisation efface presque toute trace évidente de l’héritage allemand. Dans un même mouvement, la cour royale privilégie désormais les unions matrimoniales avec d’autres familles britanniques, et non plus majoritairement allemandes. L’objectif est de solidifier l’image d’une royauté tournée vers la nation qu’elle sert, plus que vers de vieilles alliances continentales.

Une monarchie britannique… très européenne
Finalement, peu de familles royales ont su s’adapter aussi habilement à leur époque. La dynastie Windsor incarne désormais, dans l’imaginaire collectif, la tradition, la stabilité et l’identité britannique. Mais derrière ce vernis anglais, il ne faut pas oublier que les racines de la famille s’étendent très largement à l’Europe, en particulier à l’Allemagne. D’un point de vue historique, la famille royale britannique est un condensé de croisements de lignées, un symbole vivant de la complexité des histoires européennes partagées… et bien plus allemande qu’on ne le suppose souvent !
Illustration: « Bon débarras » : George V balaye les titres allemands détenus par sa famille. Caricature réalisée après que le roi a décidé de supprimer les titres allemands et de renommer sa maison de Saxe-Cobourg-Gotha en Windsor.