Le 18 juillet 64 après J.-C., Rome suffoque sous une chaleur accablante, tandis que la nuit enveloppe la ville d’une atmosphère lourde et électrique. Subitement, dans l’enceinte du Circus Maximus, d’où montent sans cesse l’agitation et les cris des foules, une lueur anormale perce les ténèbres : l’incendie vient de démarrer.
Alimenté par un vent du sud puissant, le feu se répand à une vitesse vertigineuse, gagnant les collines voisines et se frayant un chemin parmi les immeubles de bois, les toits de chaume et les ruelles étroites et tortueuses. La panique s’empare aussitôt de la population. Les Romains, surpris dans leur sommeil ou leurs activités nocturnes, fuient ce brasier qui grandit, abandonnant derrière eux tous leurs biens. Les tentatives de lutte contre les flammes restent vaines : faute d’un véritable service des pompiers, les habitants se retrouvent désemparés. Certains, selon Tacite, empêchent même l’extinction du feu, soit pour piller les maisons laissées à l’abandon, soit au nom d’obscurs ordres reçus.
Le feu s’étend sans relâche pendant six jours et sept nuits, faisant une pause de courte durée avant de reprendre. Après neuf journées apocalyptiques, Rome est méconnaissable.
Sommaire
La violence du sinistre n’épargne personne, mais frappe avant tout les plus vulnérables. Les quartiers populaires près du Circus Maximus sont parmi les premiers dévorés : leurs immeubles, les insulae, faits de bois et serrés les uns contre les autres, s’embrasent comme des torches. Les habitants, souvent pauvres, perdent tout : des familles entières sont tuées ou disséminées, et des milliers d’enfants, de vieilles femmes, d’artisans et de petites gens s’effacent du paysage urbain. Le bilan humain, bien que difficile à établir avec précision, s’élève au moins à plusieurs milliers de morts, tandis qu’environ 200 000 à 250 000 personnes se retrouvent soudain sans abri, errant au milieu des décombres.
Les classes aisées et les élites ne sont pas épargnées pour autant. Le feu consume aussi des domus luxueuses, les entrepôts de marchands, des temples séculaires et les monuments précieux qui font la fierté de la Ville éternelle. Sur quatorze quartiers de Rome, dix sont sévèrement touchés : trois sont totalement rasés, et seuls quatre sortent intacts de la catastrophe.
La cité, autrefois florissante et prospère, devient un spectacle de désolation. Les pleurs, la faim, l’angoisse et la désorganisation remplacent soudain l’effervescence traditionnelle de cette métropole antique.

Un empereur sous le feu des rumeurs
Au moment où l’incendie éclate, l’empereur Néron se tient à Antium, loin de la ville. Dès qu’il comprend l’ampleur du désastre, il retourne précipitamment à Rome et prend la direction des secours : il ouvre ses palais et ses jardins, notamment sur le site du Vatican actuel, pour accueillir les réfugiés ; il ordonne la distribution massive de vivres et fait baisser le prix du blé afin que tous puissent se nourrir.
Malgré ces initiatives et l’implication dans le déblaiement et l’organisation des interventions, la suspicion s’insinue dans la rumeur publique : certains l’accusent de négligence, d’autres suspectent une machination. Les élites, touchées dans leurs intérêts, murmurent que Néron aurait cherché à remodeler Rome à son image, profitant de la destruction pour lancer des travaux mégalomaniaques ; la rumeur – reprise par des auteurs tels que Suétone – le dépeint, lyre à la main, assistant au brasier tout en déclamant des vers sur la chute de Troie. Les sources de l’époque, toutefois, comme Tacite, restent prudentes, insistant sur le fait que la véritable origine du sinistre demeure mystérieuse.
En quête de bouc émissaire, Néron décide rapidement d’accuser la communauté chrétienne de la ville, alors discrète et mal vue. Cet acte va marquer l’histoire.
Reconstruire et réinventer la ville


Une fois les flammes maîtrisées, la priorité de Néron est de rebâtir. Il lance aussitôt un vaste programme de reconstruction et impose des mesures inédites pour l’époque. Dorénavant, les maisons doivent inclure des murs coupe-feu, employer la pierre réfractaire (issue des carrières de Gabies ou d’Albe) et respecter des distances entre bâtiments pour limiter la propagation d’éventuels futurs incendies. Les voies sont élargies, les immeubles ne peuvent plus excéder une certaine hauteur, et de grands portiques publics font leur apparition, offrant à Rome un nouveau visage. Les propriétaires, aidés par des subventions de l’État, doivent aussi assurer la sécurité et l’entretien contre le feu.
Parallèlement, Néron n’hésite pas à exploiter la catastrophe afin de laisser sa trace et flatter sa grandeur. Il fait ériger la Domus Aurea, un palais gigantesque agrémenté de jardins et d’un lac artificiel, qui s’étend sur une partie du centre sinistré. Cette demeure entraîne l’admiration mais aussi l’indignation : pour beaucoup, elle incarne avant tout la démesure, voire l’indifférence de l’empereur aux malheurs du peuple. Néanmoins, sous son impulsion, Rome gagne en sécurité, en rationalité et en modernité sur le plan urbain.
Qui profite de la catastrophe ?
L’incendie, s’il détruit la ville et bouleverse la société, sert aussi certains intérêts. Le premier à tirer profit de cette situation reste l’empereur Néron : il reconstruit une Rome à sa mesure, raffermit son pouvoir et façonne le destin urbain de la capitale en imprimant sa marque sur chaque quartier. Grâce à la centralisation des travaux et à la redistribution des espaces, il réduit l’influence de certaines grandes familles et des propriétaires traditionnels au profit de l’État impérial.
Les architectes, bâtisseurs et entrepreneurs profitent aussi de la demande soudaine en chantiers, tandis que quelques propriétaires habiles reconstruisent leur fortune sur des bases modernisées et valorisées. Enfin, dans le chaos, certains marginalisés spéculent ou pillent : Tacite évoque ces individus intriguants qui, pendant les jours de désordre, auraient activement empêché d’éteindre les flammes, parfois au nom d’obscures consignes, sans doute pour piller plus aisément.
Les véritables perdants, en revanche, demeurent les plus pauvres, qui perdent tout ou presque, et la minorité chrétienne, désignée comme bouc émissaire pour détourner la vindicte populaire.
Les conséquences pour les chrétiens de Rome
Pour les chrétiens, l’après-incendie est tragique et fondateur. Ciblés par Néron pour apaiser la colère du peuple, ils subissent la première grande persécution organisée par le pouvoir impérial. Soupçonnés de pratiquer des rites secrets, refusant de sacrifier aux dieux de Rome et jugés responsables de la colère divine – d’autant plus que leur religion reste mal comprise de la population –, ils deviennent la cible idéale pour détourner les soupçons.
Des centaines d’entre eux sont arrêtés, torturés et exécutés publiquement de manière atroce : livrés aux bêtes, crucifiés ou brûlés vifs pour servir d’éclairage nocturne lors de fêtes impériales. Ces souffrances donnent naissance à la mémoire du martyre chrétien, fondement spirituel et symbolique de la religion, et vont renforcer la cohésion et le développement de la communauté chrétienne dans la clandestinité. La légende associe même à cet épisode la mort des apôtres Pierre et Paul. Ce traumatisme ouvre la voie à deux siècles de persécutions sporadiques dans tout l’empire.
À propos de Néron
Néron, de son nom complet Nero Claudius Caesar Augustus Germanicus, naît le 15 décembre 37 à Antium. Il est le fils de Cnaeus Domitius Ahenobarbus et d’Agrippine la Jeune, sœur de Caligula. Grâce à la ténacité et à l’ambition de sa mère, il est adopté par l’empereur Claude, devenant ainsi son héritier au détriment du fils biologique de ce dernier, Britannicus. À dix-sept ans seulement, il est proclamé empereur, inaugurant un règne qui oscille continuellement entre promesses de renouveau et drames sanglants.
Dans les premières années de son pouvoir, Néron gouverne avec prudence, s’appuyant sur ses mentors Sénèque et Burrus. Il limite les procès pour crime de lèse-majesté, fait preuve de clémence, réduit certains impôts et cherche un compromis avec le Sénat. Cette période est aussi marquée par un élan de mécénat culturel à destination du peuple : jeux, spectacles, festivals et concours artistiques foisonnent, et l’empereur n’hésite pas à se produire lui-même sur scène. Ce goût prononcé pour les arts — poésie, musique, théâtre — choque l’aristocratie conservatrice qui attend d’un César la gravitas d’un chef de guerre et non l’assurance d’un comédien.
Peu à peu, cependant, le règne bascule dans la violence et l’autoritarisme. Pour s’assurer du trône, Néron fait assassiner son frère Britannicus, puis sa mère Agrippine, épouse Poppée Sabina après avoir répudié et fait mourir Octavie. Face aux complots et aux critiques, la répression s’abat sur les élites : sénateurs, chevaliers et même Sénèque tombent sous les coups de la terreur.
L’incendie de 64 et ses suites offrent à Néron l’occasion d’imposer sa vision d’une nouvelle Rome, mais accentuent aussi sa rupture avec une partie de la société. L’édification de la Domus Aurea, symbole de mégalomanie, et la persécution sanglante des chrétiens accroissent sa légende noire. Perdant peu à peu le soutien du peuple et de la garde prétorienne, il finit par être déclaré ennemi public par le Sénat et se suicide en 68.
Paradoxalement, Néron inspire chez le peuple une certaine nostalgie même après sa mort ; plusieurs imposteurs se réclameront ensuite de son nom. Resté dans l’histoire comme le modèle du tyran, son parcours reste, aujourd’hui encore, sujet à débats et réinterprétations.
Illustrations: si non précisé, image générée par IA