Le 30 aoĂ»t 2017, Sumiteru Taniguchi sâĂ©teint, emportant avec lui une part essentielle de la mĂ©moire vivante des bombardements atomiques du Japon. Sa disparition marque la fin dâune vie marquĂ©e par la souffrance extrĂȘme, mais aussi par un engagement inlassable pour la paix.
Taniguchi laisse derriĂšre lui un hĂ©ritage prĂ©cieux, celui dâun homme qui a transformĂ© le traumatisme en militantisme et qui a portĂ© la voix des survivants jusquâaux plus hautes instances internationales.
Sommaire
Le calvaire de Taniguchi
Le matin du 9 aoĂ»t 1945, alors ĂągĂ© de seulement 16 ans, Sumiteru Taniguchi est facteur Ă Nagasaki. En pleine distribution de courrier, il est frappĂ© par lâexplosion atomique Ă 1,8 kilomĂštre de lâĂ©picentre. Le souffle le projette violemment au sol. Son corps subit des brĂ»lures terribles : sa peau est arrachĂ©e sur une grande partie de son dos, ainsi que sur son Ă©paule et son bras gauche. Cette blessure horrible va marquer sa vie Ă jamais.
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Quelques mois aprĂšs, alors quâil est encore alitĂ©, un photographe amĂ©ricain, Joe O’Donnell, prend une photo iconique de son dos ensanglantĂ© et dĂ©chiquetĂ©. Cette image, bouleversante et crue, devient un symbole international des horreurs engendrĂ©es par la bombe nuclĂ©aire.
Le calvaire physique de Taniguchi est long et douloureux : il subit de nombreuses opĂ©rations, une cinquantaine, et endure les souffrances atroces de plaies qui ne guĂ©rissent pas. Pendant une dizaine dâannĂ©es, il reste allongĂ© sur le dos pour ne pas aggraver ses blessures, ce qui ajoute Ă sa douleur. Il est aussi, bien Ă©videmment, confrontĂ© Ă une profonde souffrance psychologique, hantĂ© par les visions effroyables des corps carbonisĂ©s et des cris des blessĂ©s qui lâentourent.
Taniguchi, un hibakusha parmi dâautres
Au Japon, les hibakusha occupent une place particuliĂšre. Ce terme dĂ©signe les personnes qui ont survĂ©cu aux bombardements atomiques dâHiroshima et Nagasaki, mais aussi celles qui ont Ă©tĂ© exposĂ©es aux radiations dans les jours qui suivirent, les bĂ©bĂ©s nĂ©s de mĂšres irradiĂ©es, et mĂȘme parfois leurs descendants. Ces survivants portent sur leur corps et dans leur vie les sĂ©quelles profondes de lâexplosion nuclĂ©aire â blessures physiques, maladies liĂ©es aux radiations, ainsi que discriminations sociales persistantes.
Pendant des dĂ©cennies, ils souffrent de marginalisation dans leur propre pays, victimes dâignorance et de prĂ©jugĂ©s. Pourtant, ils deviennent des passeurs de mĂ©moire essentiels, tĂ©moignant sans relĂąche des consĂ©quences dĂ©vastatrices des bombes A et H. Les hibakusha militent pour la reconnaissance des victimes, la rĂ©paration, et surtout pour que ne soit jamais oubliĂ© le danger intrinsĂšque des armes nuclĂ©aires. Leur parole est aujourdâhui un pilier de la sensibilisation internationale Ă la cause de la paix.




Le combat dâune vie
AprĂšs cette pĂ©riode de reconstruction douloureuse, Sumiteru Taniguchi choisit de donner un sens Ă sa souffrance. Il sâengage pleinement dans le combat pour la paix et la mĂ©moire de lâhorreur atomique. Il rejoint Hedankyo, lâassociation des victimes des bombes atomiques, Ă partir de 1956, pour dĂ©fendre les droits et la reconnaissance des hibakusha, ces survivants des bombardements nuclĂ©aires.
Taniguchi devient une figure symbolique du mouvement anti-nuclĂ©aire au Japon et dans le monde, utilisant la photo emblĂ©matique de son dos brĂ»lĂ© comme un puissant tĂ©moignage. Il partage inlassablement son histoire, expliquant au public la rĂ©alitĂ© brute de la catastrophe. Son rĂŽle active le dialogue international pour lâabolition des armes nuclĂ©aires. Il prĂ©side le Conseil des survivants de Nagasaki et devient coprĂ©sident de la ConfĂ©dĂ©ration japonaise des victimes des bombes atomiques, positions Ă partir desquelles il plaide aux Nations unies pour un monde sans armes atomiques.
Il dĂ©nonce aussi les stratĂ©gies militaires qui justifient la possession dâarmes nuclĂ©aires, notamment la protection illusoire promise par le parapluie nuclĂ©aire amĂ©ricain.

Joe OâDonnell
Joe O’Donnell, le photographe qui capture lâimage mĂ©morable du dos brĂ»lĂ© de Sumiteru Taniguchi, joue un rĂŽle majeur dans la transmission de cette mĂ©moire. Ancien sergent des Marines amĂ©ricains, il arrive au Japon peu aprĂšs le bombardement de Nagasaki pour documenter les consĂ©quences humaines et matĂ©rielles de lâattaque atomique.
Par son objectif, il immortalise les blessures visibles et invisibles des survivants, apportant au monde occidental une image crue de ce que les bombes ont infligĂ© Ă des centaines de milliers de personnes. Sa photo de Taniguchi devient emblĂ©matique, reflĂ©tant Ă la fois la douleur individuelle et lâampleur du dĂ©sastre collectif.
AprĂšs la guerre, O’Donnell ne se contente pas de photographier : il utilise ses images pour interpeller, instruire et militer contre les armes nuclĂ©aires. Son livre « Japan 1945 : a U.S.Marineâs photographs from Ground Zero » marque un tournant dans la conscience publique, donnant vie au rĂ©cit souvent occultĂ© des hibakusha.
Photographie du Japon en 1945 de Joe O’Donnell
Par leur travail, Joe O’Donnell et Sumiteru Taniguchi deviennent, chacun Ă leur maniĂšre, des tĂ©moins indispensables et des acteurs engagĂ©s pour que lâhorreur du passĂ© ne soit pas oubliĂ©e afin de ne jamais ĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©e.
Illustration: Sumiteru Taniguchi, en juin 2015 Ă Nagasaki. EUGENE HOSHIKO / AP
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