En ce frais matin du 23 septembre 1459, la lande de Blore Heath semble paisible, mais elle ne tarde pas Ă sâembraser sous les cris et les heurts des Ă©pĂ©es. Les chefs yorkistes, menĂ©s par Richard Neville, nâont que quelques heures pour parer lâembuscade menĂ©e par Lord Audley, chef des Lancastre.
La guerre des Deux-Roses sâouvre vĂ©ritablement sur ce choc sanglant : Audley rassemble prĂšs de 10 000 hommes, le double des troupes adverses, et pourtant, ce sont les York qui triomphent. Les morts se comptent par milliers, et la victoire de Neville permet Ă ses troupes de rejoindre Ludlow. Ce premier Ă©pisode donne le ton : la noblesse anglaise entre dans une guerre oĂč les alliances glissent et oĂč la terre elle-mĂȘme ne se souviendra que du sang versĂ©. Le peuple anglais assiste mĂ©dusĂ© Ă ce dĂ©ferlement de passions et de violences, conscient que la vie ne sera plus la mĂȘme aprĂšs cela.
La guerre des Deux-Roses, loin dâĂȘtre un simple affrontement militaire, exprime la crise de la succession dâĂdouard III et lâextinction de la branche principale des PlantagenĂȘt. Les York revendiquent le trĂŽne au nom dâEdmond de Langley, mais aussi grĂące Ă Anne Mortimer, dont les droits concurrencent ceux des Lancastre, hĂ©ritiers de Jean de Gand. Mais il est difficile de dĂ©signer un âbon cĂŽtĂ©â : les York, la rose blanche, et les Lancastre, la rose rouge, partagent une mĂȘme ascendance et revendiquent la lĂ©gitimitĂ© royale. Le peuple observe lâirruption de la guerre civile dans les rues, les campagnes et les maisons nobles, inquiet de ce que le chaos va produire.
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Les premiers grands Ă©vĂ©nements dessinent un tableau de revers et de triomphes brutaux. La premiĂšre bataille de Saint-Albans (1455) offre aux York la capture du roi Henri VI, amorçant une sĂ©rie de bouleversements. Mais la perte de Richard dâYork lors de la bataille de Wakefield (1460) donne aux Lancastre une lueur dâespoir, vite Ă©teinte par la montĂ©e en puissance de son fils Ădouard. La deuxiĂšme bataille de Saint-Albans (1461) libĂšre Henri VI, la reine Marguerite dâAnjou orchestre une vengeance impitoyable, et Londres ferme ses portes de peur dâĂȘtre pillĂ©e par les soldats du Nord. La noblesse, exĂ©cutĂ©e aprĂšs la bataille, se fragilise, les survivants sâenfuient ou changent de camp.
Mais la guerre atteint son apogĂ©e lors de la bataille de Towton (29 mars 1461), oĂč prĂšs de 80 000 hommes sâaffrontent. Le massacre est immense â plus de 20 000 morts dans la journĂ©e. Ădouard IV sâimpose, les tĂȘtes des Lancastre vaincus remplacent celles des York sur les murailles de York, et le pouvoir change de mains en un clin dâĆil. Les Lancastre sont traquĂ©s au nord par Jasper Tudor, qui ravive la rĂ©sistance galloise avant dâĂȘtre lui-mĂȘme vaincu. Harlech, dernier bastion de rĂ©sistance lancastrienne, capitule en 1468, scellant une premiĂšre victoire durable pour les York.
LâĂ©quilibre reste provisoire. Clarence, frĂšre dâĂdouard, retourne sa veste Ă plusieurs reprises. Warwick, le « faiseur de rois », meurt en 1471 Ă Barnet dans la confusion du brouillard oĂč ses propres troupes sâentre-tuent par erreur. Marguerite dâAnjou tente une ultime reconquĂȘte avec son fils Ădouard, mais la bataille de Tewkesbury (1471) sâavĂšre fatale : le jeune prince meurt, Henri VI trouve la mort en prison, et les Lancastre perdent la couronne et lâhĂ©ritier direct. Les York paraissent invincibles, mais le destin se joue sur des retournements de fidĂ©litĂ© et la rumeur des meurtres politiques.
AprĂšs la disparition mystĂ©rieuse des âPrinces de la Tourâ en 1483, attribuĂ©e Ă Richard III, la mĂ©fiance sâenracine dans le pays. Le dernier choc se produit Ă Bosworth (22 aoĂ»t 1485) : Richard III, dernier roi PlantagenĂȘt, tombe face Ă lâarmĂ©e lancastrienne menĂ©e par Henri Tudor (đ€ Mais d’oĂč sort-il celui-lĂ !). Ce dernier Ă©pouse Ălisabeth dâYork, rĂ©unit la rose rouge et la blanche sous la banniĂšre des Tudor et impose une paix fragile aprĂšs trente ans de carnage.
Qui peut prĂ©tendre comprendre quelque chose Ă ce chaos, Ă cette mosaĂŻque de victoires Ă©phĂ©mĂšres et de dĂ©faites cruelles, oĂč la couronne dâAngleterre change de main au grĂ© du sang versĂ© et des alliances dĂ©chirĂ©es ?
Ce conflit interne qui Ă©puise la noblesse et le trĂ©sor anglais a des rĂ©percussions majeures bien au-delĂ du royaume. La guerre des Deux-Roses survient en effet sur les ruines de la guerre de Cent Ans : lâAngleterre, profondĂ©ment divisĂ©e, ne peut plus dĂ©fendre ses possessions continentales et perd dĂ©finitivement la quasi-totalitĂ© de ses territoires en France, Ă lâexception de Calais. Tandis que la dynastie des Valois consolide sa victoire face aux Anglais, la couronne dâAngleterre se referme sur elle-mĂȘme, affaiblie et ruinĂ©e, laissant la France sâaffirmer comme grande puissance europĂ©enne. Ainsi, le chaos de la guerre des Deux-Roses scelle la fin des ambitions anglaises sur le continent et ferme la parenthĂšse plantagenĂȘt ouverte par Henri II trois siĂšcles plus tĂŽt, tournant la page de la fĂ©odalitĂ© anglo-normando-angevine et amorçant la naissance de nouveaux Ă©quilibres en Europe.
Face Ă cette Europe qui se ferme, il ne reste alors Ă lâAngleterre quâĂ inventer une nouvelle aventure. DĂšs la victoire des Tudors, le royaume tourne ses forces vers les ocĂ©ans. Henri VII puis Henri VIII investissent dans le dĂ©veloppement dâune flotte de guerre et dans lâexploration des mers, amorçant la grande expansion maritime britannique. LâĂźle, hier obsĂ©dĂ©e par le continent, ne rĂȘve plus que de cales sĂšches et de voiles blanches : elle expĂ©die John Cabot vers lâAmĂ©rique du Nord et lance la Royal Navy sur les routes du monde. DĂ©sormais, la mer devient lâhorizon de son destin, et lâempire colonial commence Ă sâesquisser dans le sillage des guerres perdues sur la terre.
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Illustration: guerre des Deux-Roses entre York et Lancastre. Image générée par IA.