Le 8 mai 1950, dans la tourbiĂšre de BjĂŠldskovdal, prĂšs de Silkeborg au Danemark, deux frĂšres font une dĂ©couverte qui bouleverse lâarchĂ©ologie. En creusant la tourbe, ils tombent sur un corps si bien conservĂ© quâils croient dâabord Ă une mort rĂ©cente. Pourtant, ce visage paisible appartient Ă un homme ayant vĂ©cu il y a plus de 2 400 ans : lâhomme de Tollund.
Sommaire
Une découverte bouleversante
Dans la paisible campagne du Jutland central, au Danemark, le 8 mai 1950, deux frĂšres, Viggo et Emil HĂžjgaard, extraient de la tourbe pour alimenter le poĂȘle familial. Soudain, leur pelle heurte quelque chose dâinhabituel : le visage dâun homme, remarquablement intact, Ă©merge du sol. Les traits sont si bien conservĂ©s que les frĂšres pensent dâabord avoir trouvĂ© une victime rĂ©cente dâun crime. Rapidement, la police locale et des archĂ©ologues sont appelĂ©s sur place. TrĂšs vite, les experts comprennent quâils sont face Ă une dĂ©couverte exceptionnelle : un corps vieux de plus de deux millĂ©naires, que la tourbe a littĂ©ralement figĂ© dans le temps. Cette trouvaille, baptisĂ©e « lâhomme de Tollund », va devenir lâun des plus cĂ©lĂšbres tĂ©moignages de lâĂąge du Fer europĂ©en.
Un voyage dans le temps
Aujourdâhui, contempler le visage de lâhomme de Tollund, câest comme regarder Ă travers une fenĂȘtre ouverte sur le passĂ©. Son expression paisible, ses yeux dĂ©licatement fermĂ©s et sa barbe soignĂ©e frappent les visiteurs par leur rĂ©alisme. Les scientifiques, tout comme le grand public, sont fascinĂ©s par la qualitĂ© de la conservation : la peau, les rides, les ongles, les cheveux, tout semble presque vivant. Ce corps nous offre un accĂšs direct Ă lâintimitĂ© dâun homme ayant vĂ©cu il y a plus de 2 400 ans. Il ne sâagit plus dâune simple relique archĂ©ologique, mais dâun vĂ©ritable tĂ©moin humain de son Ă©poque, capable de susciter lâempathie et la curiositĂ© de chacun.
Les causes de sa mort
Lâexamen mĂ©dico-lĂ©gal du corps rĂ©vĂšle rapidement la cause de la mort : une corde de cuir, toujours nouĂ©e autour du cou, indique que lâhomme de Tollund a Ă©tĂ© pendu. Cependant, les dĂ©tails sont intrigants. Aucune trace de lutte, aucune blessure dĂ©fensive, et les vertĂšbres cervicales sont intactes, ce qui suggĂšre une pendaison lente et contrĂŽlĂ©e, sans chute brutale. Les chercheurs excluent donc lâhypothĂšse dâune exĂ©cution criminelle ou dâun suicide. Ă lâĂąge du Fer, de nombreux indices archĂ©ologiques tĂ©moignent de sacrifices humains dans les tourbiĂšres, perçues comme des lieux sacrĂ©s. On pense que lâhomme de Tollund a Ă©tĂ© offert aux dieux dans le cadre dâun rituel visant Ă assurer la fertilitĂ© des terres ou la prospĂ©ritĂ© de la communautĂ©. Ce geste, aussi tragique soit-il, Ă©tait probablement empreint de solennitĂ© et de respect dans la sociĂ©tĂ© de lâĂ©poque.
Son dernier repas
Lâun des aspects les plus fascinants de lâĂ©tude de lâhomme de Tollund rĂ©side dans lâanalyse de son dernier repas. GrĂące Ă la prĂ©servation exceptionnelle de ses organes internes, les scientifiques prĂ©lĂšvent le contenu de son estomac et de ses intestins. Ils y retrouvent des grains dâorge, des graines de lin, des herbes sauvages et des traces de poisson, le tout cuisinĂ© sous forme de porridge dans un pot en argile. Les restes portent mĂȘme des marques de cuisson, lĂ©gĂšrement brĂ»lĂ©s au fond du rĂ©cipient. Ce repas, consommĂ© entre 12 et 24 heures avant sa mort, nâest pas anodin : il pourrait avoir Ă©tĂ© prĂ©parĂ© spĂ©cialement pour le rituel du sacrifice. Ainsi, lâhomme de Tollund nous livre un vĂ©ritable instantanĂ© de la vie quotidienne et des pratiques religieuses de son Ă©poque, rĂ©vĂ©lant des dĂ©tails sur lâalimentation, les techniques culinaires et les croyances de lâĂąge du Fer.
Ses secrets de conservation
La conservation extraordinaire du corps de lâhomme de Tollund sâexplique par les propriĂ©tĂ©s uniques de la tourbe. Dans ces marĂ©cages, lâeau est froide, trĂšs acide et pauvre en oxygĂšne. Ce milieu hostile inhibe le dĂ©veloppement des bactĂ©ries responsables de la dĂ©composition et agit comme un agent de tannage naturel sur la peau et les tissus mous. Tandis que les os se dissolvent lentement dans lâaciditĂ©, la chair, les cheveux, les ongles et mĂȘme les organes internes restent intacts pendant des millĂ©naires. Ce phĂ©nomĂšne, rare et spectaculaire, permet aux scientifiques dâĂ©tudier des aspects de la vie quotidienne, des maladies et des rituels funĂ©raires avec une prĂ©cision inĂ©galĂ©e. Lâhomme de Tollund devient ainsi un vĂ©ritable livre ouvert sur le passĂ©, dont chaque page est prĂ©servĂ©e par la magie de la nature.
Est-il seul ? Pas tout Ă fait
Si lâhomme de Tollund est lâun des exemples les plus cĂ©lĂšbres de « momies des tourbiĂšres », il nâest pas un cas isolĂ©. Depuis le XIXe siĂšcle, des centaines de corps similaires ont Ă©tĂ© dĂ©couverts dans les tourbiĂšres du nord-ouest de lâEurope : Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Irlande⊠Ces momies, souvent ĂągĂ©es de plusieurs milliers dâannĂ©es, prĂ©sentent des Ă©tats de conservation variables, mais beaucoup portent les traces de morts violentes, liĂ©es Ă des sacrifices ou Ă des rituels mystĂ©rieux. Au Danemark seulement, plus de 500 corps ont Ă©tĂ© exhumĂ©s. Pourtant, rares sont ceux dont le visage et lâhistoire suscitent autant dâĂ©motion et de fascination que lâhomme de Tollund, dont le regard paisible traverse les siĂšcles.
Aujourdâhui, lâhomme de Tollund repose au musĂ©e de Silkeborg, oĂč des milliers de visiteurs viennent chaque annĂ©e contempler son visage. Câest lâoccasion pour chacun de se demander en cette occasion ce quâil restera de nous dans 2 400 ans ?
Photo: TĂȘte du corps de tourbiĂšre de l’homme de Tollund. – WikipĂ©dia