Dans la nuit du 17 septembre 1849, Harriet Tubman, jeune femme noire esclave dans le Maryland, ose franchir la frontière du monde qui la tient captive. À cette date charnière, la décision n’est ni soudaine, ni facile : Tubman affronte la peur d’être vendue « plus au Sud », là où l’esclavage se fait encore plus féroce. Elle convainc ses frères Ben et Henry de la suivre et quitte la sécurité relative de son mari, homme libre qui préfère rester en arrière.
Louée sur la grande plantation Poplar Neck, Tubman prend le risque de la fuite alors qu’un avis de recherche promet une centaine de dollars pour la capture de chaque fugitif. Hélas, ses frères, bouleversés par les dangers, rebroussent chemin et Harriet doit rentrer.
À peine revenue, elle se lance à nouveau, cette fois sans retour, aidée par des sympathisants quakers et abolitionnistes : sur près de 145 kilomètres, elle traverse marais et bois en évitant les chasseurs d’esclaves, cachée de nuit dans des charrettes, pour atteindre enfin la Pennsylvanie et la liberté. Lorsqu’elle découvre qu’elle est libre, elle s’émerveille, se sent comme au paradis, témoigne-t-elle plus tard.
Tu apprécies mes contenus. Clique ici pour soutenir l'édition de cet almanach.
Sommaire
Une enfance difficile
Dès sa naissance vers 1822 sous le nom d’Araminta Ross, Harriet subit la brutalité de l’esclavage dans le Maryland. Sa famille est vulnérable : trois de ses sœurs sont vendues très jeunes, sa mère défie les maîtres pour empêcher qu’un autre de ses enfants soit arraché. Harriet grandit au gré des « locations », envoyée d’un maître à l’autre pour servir de domestique, surveiller des bébés, travailler aux champs. Elle endure coups, privations et humiliations.
À douze ans, au moment où elle cherche à défendre un camarade esclave, elle reçoit un coup violent à la tête qui lui causera toute sa vie des crises d’épilepsie et des visions. Mais loin de la briser, cette blessure nourrit une spiritualité, une force intérieure et une volonté de résistance.
L’itinéraire d’une passeuse de liberté
Le goût de la liberté ne quitte plus Harriet dès qu’elle rejoint la Pennsylvanie. Mais ce n’est jamais pour elle seule : dès qu’elle peut, elle prépare le retour sur les terres de l’oppression. Harriet s’improvise « conductrice » du chemin de fer clandestin – celui-là même qui l’a aidé à s’échapper -, réseau secret de relais et de cachettes qui, sous couvert d’église, de ferme, de maison amie, permet aux esclaves de remonter vers le Nord ou le Canada.
Elle organise entre treize et dix-neuf expéditions, traverse le Maryland la nuit, recrute et sauve des dizaines de proches ou inconnus qu’elle secourt au péril de sa vie. Jamais elle ne perd un « passager », et sa réputation de « Moïse du peuple noir » s’établit : ses paroles, son énergie et sa discrétion inspirent la peur chez les propriétaires et font naître l’espoir chez ceux qu’elle guide.
Elle s’engage aussi auprès d’abolitionnistes blancs et noirs, dont les quakers, pour structurer le réseau et assurer ses succès.
Meneuse pendant la guerre civile
Lorsque la guerre de Sécession éclate, Harriet consacre toute sa science de la fuite et du voyage clandestin à l’armée de l’Union. Elle devient infirmière, aide à soigner soldats et esclaves nouvellement émancipés, invente des remèdes naturels pour lutter contre la variole et la dysenterie.
Mais Harriet ne se contente pas de secourir. Elle forme un groupe d’éclaireurs et de cartographes, fournit des renseignements sur les marais de Caroline du Sud et les déplacements ennemis. Surtout, Harriet prépare et dirige, en juin 1863, le fameux raid de Combahee Ferry : embarquée sur l’USS John Adams, elle guide trois bateaux de soldats noirs qui détruisent plantations et infrastructures confédérées, mettent le feu aux récoltes, libèrent plus de 700 hommes, femmes et enfants.
Ce fait d’armes fait d’elle la première femme noire à commander une opération militaire aux États-Unis, et transforme la vie de centaines de familles qui rejoignent aussitôt l’armée nordiste.
Militante et suffragiste infatigable
Après la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage, Harriet Tubman refuse de se retirer ou de profiter de la tranquillité acquise. Elle redirige son énergie vers les combats pour la justice : elle multiplie les conférences et s’investit dans la défense des droits civiques des Afro-Américains et des femmes.
Tubman devient une figure emblématique du mouvement suffragiste et rencontre Susan B. Anthony, Emily Howland et bien d’autres militantes. Elle participe à de grands rassemblements, sillonne Boston, New York et Washington, partage sa propre histoire au service d’une argumentation radicale : le courage et le sacrifice des femmes, en particulier pendant les années de guerre, méritent une représentation politique.
Elle insiste sur l’exigence d’égalité et rappelle aux sceptiques, lors d’une célèbre intervention : « J’ai assez souffert pour le croire ». Son militantisme fait d’elle un symbole pour les générations suivantes. Persistant dans l’aide sociale, elle se mobilise aussi pour les plus défavorisés, ce qui aboutit à la création de l’hospice qui porte son nom.
Les années de combat laissent Harriet Tubman sans fortune. Pourtant, à Auburn dans l’État de New York, elle décide d’investir ses maigres économies pour acheter un terrain et fonder en 1908 le Harriet Tubman Home for the Aged : un hospice dédié aux afro-américains âgés, malades ou sans ressources. Elle gère le foyer avec l’aide de l’église méthodiste locale, veille à la nourriture, aux soins et à la dignité de chacun.
Lorsque l’âge et l’arthrite la rendent dépendante, elle devient elle-même pensionnaire du lieu qu’elle a fondé ; elle meurt en 1913 au milieu des siens, entourée d’admiration et de respect. Son enterrement donne lieu à des hommages militaires et fraternels.
Le “Harriet Tubman National Historical Park”
Aujourd’hui, le Harriet Tubman National Historical Park à Auburn et Fleming protège les sites liés à sa vie : la maison qu’elle achète en 1859, le foyer qu’elle fonde, l’église Thompson AME Zion qui accueille ses funérailles et perpétue sa mémoire. Le parc, classé Landmark national, attire visiteurs et scolaires et permet de plonger dans l’histoire de l’abolition, de la lutte féministe et de l’engagement social.
Son histoire inspire partout où la justice reste à conquérir. Le site encourage le dialogue intergénérationnel et la transmission de son héritage, devenu symbole du courage et de la salutation fraternelle.


Illustration: Harriet Tubman – Wikipédia