L’Ătat Islamique en Irak (EII), ancĂȘtre de Daech, naĂźt officiellement le 13 octobre 2006, dans un contexte de chaos gĂ©nĂ©rĂ© par l’invasion amĂ©ricaine et la chute de Saddam Hussein. Ă cette date, des groupes djihadistes, principalement issus de la branche irakienne d’Al-QaĂŻda, se regroupent pour former une organisation terroriste dĂ©terminĂ©e Ă imposer sa vision totalitaire par la violence. Exploitant lâeffondrement des institutions et lâexclusion des sunnites du nouveau pouvoir, lâEII engage attentats et actions sanglantes pour Ă©tablir un rĂ©gime fondĂ© sur la terreur, lâoppression et la radicalisation. Lâorganisation grandit dans la clandestinitĂ© et la brutalitĂ©, avant de lancer son expansion territoriale et de proclamer le « califat » en 2014.
Sommaire
DĂ©composition de lâIrak
La chute de Saddam Hussein, en 2003, bouleverse tous les repĂšres de la sociĂ©tĂ© irakienne. LâarmĂ©e, pilier du pays, est dissoute dâun trait de plume par lâoccupant amĂ©ricain, et les anciennes Ă©lites baassistes sont chassĂ©es sans espoir de retour.
Dans ce pays oĂč lâĂ©quilibre communautaire Ă©tait dĂ©jĂ prĂ©caire, lâinvasion et la gestion amĂ©ricaine dĂ©chirent le tissu politique et social. Les populations sunnites, dĂ©chues, voient disparaitre dâun coup leur statut, leur pouvoir et leur sĂ©curitĂ©. TrĂšs vite, elles nâont dâautres recours que la colĂšre et la clandestinitĂ©, et certains de leurs membres rejoignent les rangs de groupes djihadistes, espĂ©rant, Ă travers la violence, retrouver un rĂŽle dans lâhistoire dâun pays livrĂ© Ă lâanarchie et aux rĂšglements de comptes sanglants.
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Emergence de lâĂtat Islamique en Irak
En octobre 2006, alors que la guerre civile fait rage et que les AmĂ©ricains concentrent leurs efforts sur Bagdad, naĂźt formellement lâĂtat Islamique en Irak (EII). Cette organisation, hĂ©ritiĂšre des rĂ©seaux dâAl-QaĂŻda, se distingue des autres groupes insurgĂ©s par une stratĂ©gie de terreur systĂ©matique, dâexĂ©cutions ciblĂ©es et dâattentats aveugles.


Elle tente dâimposer son pouvoir aux populations sunnites mais se heurte Ă la dĂ©fiance de nombreuses tribus ; elle affronte en mĂȘme temps lâarmĂ©e amĂ©ricaine et les autoritĂ©s chiites de Bagdad, ainsi que ses concurrents au sein de la guĂ©rilla. LâEII reste une force souterraine, sans vĂ©ritable territoire ni appareil administratif : il faut se figurer ses chefs comme des hommes traquĂ©s, qui survivent plus quâils ne gouvernent.
Mutation stratégique
De 2006 Ă 2011, lâĂtat Islamique traverse une pĂ©riode dâeffacement quasi-total. Les campagnes militaires amĂ©ricaines, doublĂ©es de la rĂ©volte des tribus sunnites (les milices Sahwa), brisent sa dynamique : de nombreux chefs sont tuĂ©s ou capturĂ©s, les rĂ©seaux locaux sâeffritent, et le groupe sombre dans la clandestinitĂ©.
Pourtant, si les structures visibles disparaissent, les survivants, endurcis par la nuit et la peur, se replient, sâadaptent et attendent leur heure. Cette patience, renforcĂ©e par une haine profonde du gouvernement chiite et du sentiment dâabandon du monde sunnite, est le ferment de leur retour.
Dans le chaos syrien
En 2011, la guerre civile syrienne Ă©clate, et la frontiĂšre sâefface pour les combattants djihadistes en quĂȘte de gloire ou de revanche. LâĂtat Islamique profite de ce nouvel espace dâanarchie pour sâĂ©tendre : il installe des bases en Syrie, recrute des milliers de combattants Ă©trangers, sâempare de stocks dâarmes et de ressources financiĂšres.
En 2013, lâorganisation change de nom pour devenir lâĂtat Islamique en Irak et au Levant (EIIL), et affirme son autonomie vis-Ă -vis dâAl-QaĂŻda. Elle se livre Ă des combats impitoyables, Ă©liminant tantĂŽt les groupes rebelles syriens, tantĂŽt ses anciens alliĂ©s djihadistes, pour asseoir son autoritĂ©. Cette dynamique est marquĂ©e par la violence extrĂȘme, les exĂ©cutions publiques et la terreur, avec lâobsession de dĂ©passer le simple statut de groupe terroriste pour devenir un proto-Ătat Ă cheval sur deux pays en dĂ©liquescence.
De lâombre au califat
Au fil des mois, lâEI mĂšne en Syrie des campagnes militaires brutales, sâempare de la ville de Raqqa qui devient le cĆur stratĂ©gique et symbolique de lâorganisation.
DĂ©but 2014, la ville irakienne de Falloujah tombe Ă son tour ; puis, en juin, câest le choc de Mossoul : une ville de prĂšs de deux millions dâhabitants sâeffondre face Ă la fulgurance des troupes de lâEI, qui profitent de la panique et du retrait des forces irakiennes. Ce succĂšs militaire permet une expansion territoriale sans prĂ©cĂ©dent : le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi proclame le califat islamique, se posant comme successeur des califes historiques, et lance un appel au ralliement mondial.
La propagande, les images de conquĂȘte, la dimension apocalyptique du discours frappent les esprits et fascinent autant quâelles Ă©pouvantent, dans une rĂ©gion et un monde incrĂ©dules devant la rĂ©surgence dâun prĂ©tendu Ătat aux frontiĂšres mouvantes, mais bien rĂ©elles.

Fascination et terreur
Sous lâĂ©tendard noir de lâEI, la population civile paie un prix terrible. Des milliers de familles sâenfuient, dĂ©sertent ou subissent la domination dâun pouvoir arbitraire qui proclame appliquer la loi divine mais pratique la torture, lâesclavage, lâexĂ©cution publique et le nettoyage ethnique.
Ă chaque conquĂȘte, lâorganisation met en place tribunaux, polices religieuses et systĂšmes Ă©conomiques de contrebande, tandis que la propagande numĂ©rique attire des combattants du monde entier, sĂ©duits par la promesse dâun ordre absolu ou par la soif de rupture radicale.
Lâexpansion de lâEI fait entrer la rĂ©gion (et lâOccident) dans une nouvelle Ăšre de peur et de surveillance constanteâ: attentats, enlĂšvements, purges deviennent la norme dans les zones sous son contrĂŽle, et lâon mesure chaque jour lâampleur du traumatisme laissĂ© sur les sociĂ©tĂ©s concernĂ©es.
« On vous lâavait bien dit »
Au tournant de la guerre, certains pays â la France en tĂȘte, rejointe par lâAllemagne et la Russie â avaient refusĂ© de cautionner lâintervention militaire amĂ©ricaine en 2003. Depuis la tribune de lâONU, leurs diplomates avaient mis en garde : ils avaient prĂ©dit un effet domino de chaos rĂ©gional, la radicalisation des populations sunnites, lâaffaiblissement de lâĂtat irakien et la montĂ©e mĂ©canique du terrorisme. Ils avaient rĂ©clamĂ© plus de preuves, souhaitĂ© un vĂ©ritable mandat onusien, prĂ©fĂ©rant la diplomatie et la surveillance au sabre. On les avait alors soupçonnĂ©s dâantiamĂ©ricanisme, on leur avait reprochĂ© de manquer de courage.
Mais lorsque lâIrak sâabĂźme dans la guerre civile, que des groupes extrĂ©mistes prennent racine sur les ruines dâun Ătat dĂ©faillant, leurs paroles rĂ©sonnent alors avec une cruelle luciditĂ© : la prĂ©cipitation guerriĂšre, vouĂ©e Ă transformer un dictateur en hydre sanglante, sâest rĂ©vĂ©lĂ©e un terreau fertile pour la naissance dâun monstre dont les Ă©chos de violence sidĂšrent encore le monde.
Illustration: Prise d’un village irakien par l’Etat Islamique dans un style abstrait – Image IA
