Maximien Ier le Thrace, de son nom complet Caius Julius Verus Maximinus, accède à la tête de l’empire romain le 18 mars 235.
Maximien le Thrace est un homme aux origines modestes qui bouleverse les codes de l’accession au pouvoir impérial. Né vers 173 dans une famille paysanne de Thrace, région située entre la mer Noire et la mer Égée, il se distingue dès son plus jeune âge par sa force physique exceptionnelle et sa taille impressionnante que certaines sources antiques, probablement exagérées, estiment à plus de deux mètres. D’abord berger dans sa jeunesse, il s’engage dans l’armée romaine sous le règne de Septime Sévère où il gravit rapidement les échelons grâce à ses prouesses au combat. Sa carrière militaire exemplaire le conduit jusqu’au rang de commandant de légion. Contrairement à tous ses prédécesseurs, il n’a jamais exercé de fonctions civiles ou administratives avant de devenir empereur, ce qui fait de lui le premier véritable soldat-empereur de l’histoire romaine. Rustique, peu cultivé mais doté d’un sens tactique aigu, il incarne une rupture avec la tradition des empereurs issus de l’aristocratie sénatoriale ou équestre.
Les légions romaines stationnées sur la frontière germanique vivent dans un climat de frustration croissante sous le règne de Sévère Alexandre. Ce jeune empereur de 26 ans, entièrement sous l’influence de sa mère Julia Mamaea, est perçu comme un chef militaire faible et indécis. Alors que les tribus germaniques menacent les frontières de l’empire, Sévère Alexandre privilégie systématiquement la négociation et les paiements de tributs plutôt que l’affrontement direct, stratégie que les soldats interprètent comme de la lâcheté. La présence constante de sa mère dans les affaires militaires et sa tendance à thésauriser l’argent destiné aux troupes exacerbent le mécontentement. Le 18 mars 235, alors que l’empereur séjourne dans son campement à Mogontiacum (l’actuelle Mayence), une mutinerie éclate parmi les légionnaires. Maximien, alors commandant respecté des troupes auxiliaires, est soit l’instigateur du complot, soit simplement le bénéficiaire opportuniste de la situation. Les soldats font irruption dans la tente impériale, assassinent Sévère Alexandre et sa mère, puis, dans un élan d’enthousiasme collectif, acclament Maximien comme nouvel empereur. Cette proclamation sur le champ de bataille, sans consultation préalable du Sénat, marque un tournant décisif dans l’histoire romaine où l’armée s’impose désormais comme le véritable faiseur d’empereurs.
Maximin instaure un style de gouvernement radicalement nouveau, rompant avec des siècles de tradition romaine. Fait sans précédent, il ne met jamais les pieds à Rome pendant son règne de trois ans, préférant diriger l’empire directement depuis les zones frontalières où il mène d’incessantes campagnes militaires. Son gouvernement devient itinérant, suivant ses déplacements le long du Rhin et du Danube où il remporte d’importantes victoires contre les Germains et les Sarmates. Pour administrer ce vaste empire à distance, il s’appuie sur un réseau de fonctionnaires loyaux qui exécutent ses directives dans la capitale et les provinces. Sa priorité absolue étant la défense des frontières, il néglige délibérément les relations avec le Sénat et l’aristocratie romaine, qu’il considère avec méfiance et mépris. Pour financer ses opérations militaires coûteuses, Maximin met en place une politique fiscale draconienne : augmentation des impôts existants, création de nouvelles taxes, confiscation des biens des riches propriétaires terriens et même pillage des trésors des temples. Cette pression fiscale sans précédent, combinée à son absence de Rome et son dédain pour les élites traditionnelles, creuse un fossé profond entre l’empereur-soldat et les classes dirigeantes de l’empire, semant les graines de la révolte qui finira par causer sa perte.
La fin de Maximin est aussi violente que son accession au pouvoir. Au printemps 238, alors qu’il mène une campagne contre les Sarmates sur le Danube, une révolte éclate en Afrique du Nord où le gouverneur Gordien est proclamé empereur avec son fils. Bien que cette rébellion soit rapidement écrasée, le Sénat romain, qui déteste Maximin pour son mépris de l’aristocratie, saisit l’occasion pour le déclarer ennemi public et nommer deux sénateurs, Pupien et Balbin, comme co-empereurs. Furieux, Maximin marche sur l’Italie avec ses légions pour mater la rébellion. Mais lorsqu’il atteint Aquilée, ville fortifiée du nord de l’Italie, il se heurte à une résistance acharnée des habitants qui refusent de lui ouvrir les portes. Le siège s’éternise, les approvisionnements se raréfient, et le moral des troupes s’effondre. Les soldats de la IIe légion Parthique, épuisés par les privations et craignant les représailles du Sénat, décident d’assassiner celui qu’ils avaient eux-mêmes porté au pouvoir trois ans plus tôt. En avril 238, ils font irruption dans la tente impériale où Maximin se repose avec son fils et les massacrent tous deux. Leurs têtes sont coupées et envoyées à Rome comme trophées. Ironie du sort, celui qui n’a jamais visité Rome y entre finalement sous forme de tête décapitée, exposée à la vindicte populaire. Son corps est abandonné aux chiens et aux oiseaux, ultime humiliation pour cet empereur qui avait défié les traditions romaines.
L’accession au pouvoir et le règne de Maximin marquent le début d’une période tumultueuse connue sous le nom de « crise du troisième siècle » ou « anarchie militaire », qui ébranle l’Empire romain de 235 à 284. Cette crise profonde et multiforme se caractérise d’abord par une instabilité politique sans précédent : pas moins de vingt-six empereurs légitimes se succèdent en l’espace de cinquante ans, la plupart ne régnant que quelques mois avant d’être assassinés par leurs propres troupes. L’armée devient le véritable arbitre du pouvoir, proclamant et destituant les empereurs au gré de ses intérêts. Sur le plan militaire, l’empire subit des pressions extérieures croissantes : à l’est, le nouvel empire perse des Sassanides menace la Syrie et capture même l’empereur Valérien en 260 ; au nord, les tribus germaniques franchissent régulièrement le Rhin et le Danube, ravageant les provinces frontalières. Cette insécurité généralisée provoque un effondrement économique : l’inflation galopante, la dévaluation monétaire et la perturbation des réseaux commerciaux appauvrissent toutes les couches de la société. L’empire connaît même une fragmentation territoriale avec l’émergence de deux états sécessionnistes : l’Empire des Gaules (260-274) à l’ouest et l’Empire de Palmyre (260-273) à l’est. Cette période chaotique, inaugurée par le règne de Maximin, ne prend fin qu’avec l’avènement de Dioclétien en 284, qui réforme en profondeur les institutions impériales pour restaurer l’unité et la stabilité de l’empire.
Photo: Portrait de Maximin le Thrace. Marbre, œuvre romaine, 235-238 ap. J.-C. – Wikipédia