Le 31 mars 297, l’empereur Dioclétien publie à Alexandrie un rescrit qui proscrit la doctrine manichéenne. Cette condamnation s’inscrit dans une série de mesures répressives prises par l’empereur, incluant également l’interdiction de l’alchimie la même année.
Le manichéisme, fondé par Mani au IIIe siècle dans l’Empire perse, est une religion dualiste qui divise le monde en deux entités fondamentales : les Ténèbres, gouvernées par Satan, et la Lumière, gouvernée par Dieu. Cette vision radicale s’applique au monde des idées où un acte est soit bon, soit mauvais, sans nuance intermédiaire. La doctrine manichéenne divise également le temps en trois phases : le moment antérieur (séparation parfaite entre Lumière et Ténèbres), le moment médian (mélange instable des deux principes) et le moment postérieur (retour à l’état de séparation originel).
La communauté manichéenne est structurée en deux classes distinctes : les élus, qui pratiquent le célibat et le végétarisme, et les auditeurs, qui servent les élus et peuvent se marier. Cette hiérarchie religieuse est très élaborée, avec différents niveaux d’autorité allant du Guide unique aux simples laïcs. En 297, le manichéisme est déjà répandu dans l’Empire romain, notamment en Égypte et en Afrique romaine, malgré la mort de son fondateur en 276 ou 277.
Dioclétien interdit le manichéisme pour deux raisons principales : son caractère novateur, opposé au culte romain traditionnel, et son origine persane, provenant des ennemis de Rome. L’édit de Dioclétien contre les manichéens prévoit des sanctions particulièrement sévères, incluant la condamnation aux travaux forcés et la peine de mort pour les adeptes de cette religion.
Cette répression s’inscrit dans une période où l’empereur cherche à renforcer la cohésion de l’Empire autour des valeurs romaines traditionnelles. La même année, Dioclétien commence à exiger des fonctionnaires et des soldats qu’ils fassent des sacrifices aux dieux, préparant ainsi le terrain pour les mesures plus radicales qui seront prises quelques années plus tard.
La persécution du manichéisme par Dioclétien en 297 est suivie par la Grande Persécution contre les chrétiens, qui débute officiellement fin 302-début 303. Cette répression contre les chrétiens, considérée comme la plus vaste et la plus brutale de l’histoire romaine, se déroule en plusieurs phases avec la promulgation de quatre édits de plus en plus sévères.
Le premier édit, publié le 24 février 303, ordonne la destruction des églises et des livres saints, interdit les assemblées chrétiennes, et dégrade ou prive de liberté les chrétiens. Les édits suivants durcissent progressivement les mesures, jusqu’à l’édit de début 304 qui prescrit un sacrifice général dans tout l’Empire, sous peine de mort ou de condamnation aux travaux forcés.
Cette persécution est motivée par plusieurs facteurs, notamment la conviction des empereurs que le refus chrétien de reconnaître les dieux traditionnels menace la paix et la prospérité de l’Empire. Elle prend fin en 311 avec l’édit de tolérance de Galère, puis définitivement en 313 avec l’édit de Milan qui établit la liberté de culte dans l’Empire romain.
Aujourd’hui, le terme « manichéen » a évolué au-delà de son sens religieux originel. Dans le langage courant, est qualifiée de manichéenne une vision qui sépare, sans nuance, le bien et le mal. Ce qualificatif désigne une manière de voir ou de juger simplificatrice, qui présente une pensée ou une action sans nuances, voire simpliste.
Le terme est souvent employé de façon critique pour désigner une rhétorique dualiste qui ne reconnaît que deux possibilités opposées, une vision du monde où tout doit être catégorisé soit comme bon, soit comme mauvais. Les antonymes du terme manichéen sont notamment « pluraliste » et « nuancé », ce qui souligne bien que le reproche principal fait à la pensée manichéenne contemporaine est son refus de la complexité et des positions intermédiaires.
Cette évolution sémantique représente une simplification de la doctrine religieuse originelle, qui comportait en réalité une cosmologie et une philosophie beaucoup plus élaborées.
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