Le 20 octobre 1943, le Junkers Ju 390 s’élève pour la première fois dans le ciel depuis l’aérodrome de Merseburg, en Allemagne. Ce vol inaugural attire l’attention des ingénieurs, techniciens et hauts gradés de la Luftwaffe. Tous observent avec fascination cette machine d’une taille hors du commun. Le Ju 390 incarne l’ambition démesurée du Reich : traverser l’Atlantique, menacer l’Amérique et projeter l’ombre d’un conflit désormais sans frontières.
Sommaire
L’avion qui défie les distances
Dès qu’on le découvre, le Ju 390 impressionne par ses dimensions et ses performances technologiques : l’appareil mesure plus de 34 mètres de long, possède une envergure de plus de 50 mètres, et embarque six moteurs radiaux BMW 801 de 1 970 chevaux chacun. Son fuselage accueille jusqu’à 10 membres d’équipage et peut charger 10 000 kg de fret. Il atteint des vitesses maximales autour de 505 km/h, pour un rayon d’action proche de 10 000 km.
Avec de telles capacités, il fait naître chez ses concepteurs la conviction qu’il peut relier le territoire européen aux côtes américaines sans escale, puis revenir ; un exploit inimaginable quelques années plus tôt. Cette autonomie laisse aussi présager des missions de reconnaissance sur de très longues distances, de patrouilles maritimes ou de bombardements stratégiques d’ampleur inédite.
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Le projet « Amerika Bomber »
Cette prouesse technique du Ju 390 s’inscrit dans le contexte du projet « Amerika Bomber », lancé au printemps 1942 par la Luftwaffe. L’objectif est clair : concevoir un bombardier capable de frapper directement des cibles du continent nord-américain, et notamment New York, symbole du dynamisme industriel allié.
Plusieurs entreprises rivalisent d’ingéniosité : Messerschmitt travaille sur le Me 264, Focke-Wulf prépare le Ta 400 et Heinkel le He 277. Junkers décroche un rôle central avec le Ju 390. Mais tous les constructeurs se heurtent très vite à la difficulté de concilier portée, charge utile et fiabilité mécanique.
Autour du Ju 390, la rumeur enfle au fil des mois. Selon un mythe tenace, un vol d’essai aurait conduit l’appareil à moins de 20 kilomètres des côtes de New York en 1944, avant un retour sans interception alliée. Les passionnés d’aviation et les historiens s’interrogent sur la crédibilité de ce témoignage : aucun document officiel, journal de vol ou trace matérielle indiscutable ne vient confirmer cette odyssée. Pourtant, les témoignages et les récits oraux rapportent la tension de l’époque ; le simple fait que la capacité existe, même à l’état de projet, fait souffler un vent de panique aux États-Unis.
Le projet fou du Silbervogel
La soif d’innovation des ingénieurs nazis ne s’arrête pas à l’aviation classique. Eugen Sänger et Irene Bredt, deux cerveaux visionnaires, imaginent le projet Silbervogel (« Oiseau d’argent »). Leur appareil révolutionnaire, propulsé par fusée, doit quitter la terre à l’aide d’un rail de lancement, atteindre la stratosphère puis rebondir de l’Europe à l’Amérique sur une trajectoire suborbitale.
Silbervogel ne franchit jamais le cap des calculs et des essais de maquettes, les lois de la physique et les technologies du temps dépassant l’audace des concepteurs. Mais ses principes annoncent déjà les futures navettes spatiales : la frontière entre science-fiction et projet militaire s’efface, au service d’une ambition démesurée.

Le Projet Z des japonais
Ce désir d’atteindre le sol américain n’est pas l’apanage de l’Allemagne nazie : au même moment, l’Empire du Japon lance son propre « Projet Z ». L’enjeu est similaire : concevoir un bombardier intercontinental qui pourrait relier l’archipel aux villes américaines.
Plusieurs appareils sont imaginés, comme le Nakajima G10N, le Kawasaki Ki-91 ou le G5N. Mais la logistique, les défis techniques, le manque de moteurs puissants et l’évolution de la guerre condamnent le projet, qui ne dépassera jamais le stade du prototype ou de la soufflerie.
Défi relevé par les États-Unis
Face à ces défis stratégiques, l’industrie américaine réagit à la hauteur de ses moyens. Dès 1944, le B-29 Superfortress prend son envol : c’est le premier bombardier de très longue portée utilisé en opération, célèbre pour avoir largué les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Insatiable, l’industrie américaine lance le Convair B-36 Peacemaker : il peut voler plus de 16 000 km sans ravitaillement, transportant une charge destructrice jusqu’au cœur de l’Europe ou de l’Asie.

Contrairement aux espoirs allemands ou japonais, ces projets américains parviennent à maturité et redéfinissent la stratégie de dissuasion mondiale au début de la guerre froide.
Illustration: Bombardier allemand au-dessus de New York – Image IA