Paquebot français Georges Philippar en feu

NAUFRAGE MYSTÉRIEUX DU GEORGES PHILIPPAR, UN PAQUEBOT FLAMBANT NEUF 📆 16 mai 1932

Dans la nuit du 15 au 16 mai 1932, le paquebot Georges Philippar, joyau des Messageries Maritimes, vogue vers Marseille après un voyage inaugural en Extrême-Orient. À son bord, 750 personnes – passagers en quête d’exotisme, équipage confiant, et un journaliste légendaire. Mais en quelques heures, le rêve se mue en tragédie.

Nuit d’horreur dans le golfe d’Aden

Le Georges Philippar est un géant des mers flambant neuf, symbole de la technologie des années 1930. Lancé en 1930, il arbore des cabines climatisées, des salons luxueux et un système électrique dernier cri. Pourtant, malgré ces innovations, les incendies restent un fléau courant sur les paquebots de l’époque. Les matériaux de construction – bois laqué, tissus inflammables –, associés à des circuits électriques encore instables, transforment les navires en pièges potentiels. Les normes de sécurité, laxistes, négligent les exercices d’évacuation et l’étanchéité des cloisons.

À 1h30 du matin, une étincelle jaillit dans une cabine de première classe. En quelques minutes, les flammes dévorent les coursives, attisées par le système de ventilation resté actif. La chaleur étouffante du golfe d’Aden a poussé les passagers à laisser portes et hublots ouverts, créant un « tunnel de vent » idéal pour le feu. L’équipage, désorganisé, tarde à couper l’électricité et à alerter les passagers. Les sirènes, à peine audibles, laissent des familles entières dormir jusqu’à l’ultime moment.

Les scènes sont apocalyptiques : des femmes en robe de soirée tentent de fuir par les escaliers enfumés, des hommes brisent des hublots pour sauter dans une mer obscure. Les canots de sauvetage, coincés par les flammes ou mal arrimés, ne peuvent être largués. Au petit matin, lorsque les secours arrivent, le navire n’est plus qu’une épave noircie. 49 à 67 personnes périssent, asphyxiées ou carbonisées.

Albert Londres, un reporter qui dérange

Parmi les disparus, un nom fascine : Albert Londres, 47 ans, star du journalisme d’investigation. Connu pour ses enquêtes sur les bagnes de Guyane ou la traite des Blanches, il rentre d’Asie avec un reportage « explosif » sur Shanghai. La ville, alors en proie à la guerre sino-japonaise, est un nid d’espions, de trafiquants d’opium et de diplomates corrompus. Londres y a découvert des liens troubles entre triades chinoises, mafia marseillaise et intérêts coloniaux français.

Ses carnets, remplis de noms et de preuves, disparaissent dans l’incendie. Mais le mystère s’épaissit avec le destin tragique de ses amis, le couple Lang-Willar. Rescapés du naufrage, ils embarquent quelques jours plus tard dans un avion pour Paris – censé transporter les dernières notes de Londres. L’appareil s’écrase en Méditerranée, sans survivants. Double coïncidence ? Pour beaucoup, ces morts suspectes suggèrent un complot pour étouffer l’enquête.

Aujourd’hui encore, les questions persistent : l’incendie était-il vraiment accidentel ? Pourquoi les installations électriques, pourtant neuves, ont-elles si mal fonctionné ? Et que contenait le fameux reportage de Londres, assez brûlant pour justifier un assassinat ?


Qui est Albert Londres

Né en 1884 à Vichy, Albert Londres ne se destine pas d’emblée à la presse : il commence sa vie professionnelle comme comptable et publie des recueils de poèmes avant de se tourner vers le journalisme. Dès 1906, il devient correspondant parlementaire à Paris pour Le Matin, puis s’impose rapidement comme un reporter de guerre hors pair lors de la Première Guerre mondiale. Il couvre les combats en France, en Belgique, puis dans les Balkans, livrant des récits poignants et précis qui marquent les esprits.

Londres se distingue par sa plume acérée, son goût du terrain et son refus de toute compromission. Il incarne le journalisme engagé, celui qui « porte la plume dans la plaie », selon sa célèbre devise. Il s’attaque sans relâche aux injustices et aux tabous de son époque : il dénonce les horreurs du bagne de Cayenne, les conditions inhumaines dans les asiles psychiatriques, la traite des femmes, l’exploitation des travailleurs africains, ou encore les souffrances sous le régime bolchevik en Russie. Son talent, son courage et son indépendance d’esprit lui valent une notoriété grandissante, mais aussi l’hostilité de nombreux pouvoirs.

Ses reportages, publiés dans les plus grands journaux – Le Petit Journal, Excelsior, Le Petit Parisien –, provoquent des débats publics et parfois des réformes concrètes, comme l’abolition du bagne en 1938, à laquelle ses enquêtes contribuent directement. Il n’hésite pas à s’exposer, à voyager dans les zones les plus dangereuses, à rencontrer les exclus, les opprimés, les oubliés. Son style, mêlant faits bruts, descriptions vivantes et ironie, inspire des générations de journalistes et fait de lui une légende de la profession. Aujourd’hui encore, le prix Albert Londres, créé en 1933, récompense chaque année les meilleurs grands reporters francophones, perpétuant l’exigence de vérité et l’engagement de cet homme qui n’a jamais cessé de questionner le monde.


Illustration: Le paquebot français Georges Philippar en feu. Rue des Archives. – Le Républicain lorrain

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