Le 4 juin 1629, le Batavia, un majestueux navire de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, fait naufrage sur les redoutables récifs des Houtman Abrolhos. Ce qui devait être un simple accident de navigation se transforme en l’un des épisodes les plus sombres et fascinants de la mer, mêlant survie, folie meurtrière et héroïsme.
Sommaire
Erreur et chaos
Le naufrage du Batavia survient dans la nuit, alors que le navire, mal positionné et poussé par une bonne brise, s’échoue violemment sur un récif corallien. L’équipage, croyant être loin des côtes, ne réagit pas à temps malgré les signaux de la vigie qui aperçoit les vagues brisant sur les rochers. Le capitaine sous-estime le danger, pensant voir le reflet de la lune, et maintient le cap. Rapidement, la coque du Batavia se brise sous la violence des vagues. Les passagers et l’équipage, pris de panique, tentent de rejoindre les îlots voisins, souvent à la nage ou à bord de petites embarcations. Beaucoup se noient dans cette tentative désespérée, mais près de 300 rescapés parviennent à s’entasser sur des terres arides, sans eau ni vivres suffisants, au cœur d’un environnement hostile.
Un sauvetage désespéré
Dans l’urgence, le sauvetage des passagers s’organise tant bien que mal. Les chaloupes du navire servent à transporter les survivants vers les îlots, mais la mer démontée en emporte plusieurs et rend les allers-retours dangereux. Les plus faibles, notamment les femmes, les enfants et les malades, meurent rapidement de soif ou d’épuisement. Les survivants doivent improviser pour trouver de l’eau et de la nourriture, pêchant des oiseaux de mer ou chassant des otaries. Face à l’ampleur du désastre, le commandant François Pelsaert décide de partir en chaloupe avec quelques officiers pour chercher du secours à Batavia (Jakarta), laissant la majorité des naufragés livrés à eux-mêmes sur des îlots inhospitaliers.
Jeronimus Cornelisz
C’est alors que Jeronimus Cornelisz, apothicaire ruiné et manipulateur, prend le pouvoir parmi les naufragés restés sur l’îlot principal. Profitant de l’absence de toute autorité, il impose un véritable règne de terreur. Il élimine systématiquement femmes, enfants et opposants, cherchant à préserver les vivres et à asseoir son autorité. En trois mois, Cornelisz et ses complices assassinent près de 125 personnes, commettant également des violences sexuelles et des actes de cruauté extrême. Son ambition ne se limite pas à la survie : il rêve de s’emparer du navire de secours pour se lancer dans la piraterie. Sa folie meurtrière plonge les survivants dans l’angoisse et la suspicion permanente.
La résistance de Hayes
Face à cette barbarie, la résistance s’organise autour de Wiebbe Hayes, un simple soldat que Cornelisz a tenté d’éloigner en l’envoyant chercher de l’eau sur un îlot isolé. Hayes et ses compagnons découvrent une source d’eau potable, survivent grâce à la chasse et à la pêche, et comprennent rapidement le danger que représente Cornelisz. Ils construisent des fortifications rudimentaires avec les moyens du bord, fabriquent des armes improvisées et forment une véritable milice. Leur groupe grossit à mesure que d’autres naufragés les rejoignent. Hayes et ses hommes repoussent plusieurs attaques des mutins, capturent Cornelisz lors d’une tentative de négociation, et parviennent à prévenir Pelsaert à l’arrivée du navire de secours. Leur courage et leur organisation transforment leur isolement forcé en bastion de résistance contre la barbarie.

Un châtiment exemplaire
À l’arrivée du navire de secours, la justice s’abat sur les meurtriers. Un tribunal improvisé juge Cornelisz et ses principaux complices. On leur coupe les mains avant de les pendre sur l’île même, marquant ainsi les esprits par la sévérité du châtiment. D’autres mutins, jugés moins coupables, sont abandonnés sur la côte australienne, où ils disparaissent à jamais. Seize autres sont ramenés à Batavia pour y être jugés : certains sont pendus, d’autres subissent des peines corporelles ou le supplice de la cale. Ces châtiments exemplaires visent à rétablir l’autorité de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales et à dissuader toute future mutinerie.
La renaissance du Batavia
L’histoire du Batavia ne s’arrête pas avec la fin du drame. Au XXe siècle, des archéologues retrouvent l’épave et de nombreux objets, aujourd’hui exposés au Western Australian Museum de Fremantle. Ces découvertes permettent de mieux comprendre les conditions de vie à bord et les événements tragiques qui ont suivi le naufrage. Aux Pays-Bas, un projet ambitieux de reconstitution voit le jour à Lelystad : entre 1985 et 1995, des charpentiers construisent une réplique fidèle du Batavia, utilisant les techniques et matériaux du XVIIe siècle. Ce navire reconstitué, ouvert au public, fait revivre la légende du Batavia et témoigne du savoir-faire maritime néerlandais. Il perpétue la mémoire d’un naufrage qui, par sa brutalité et sa complexité humaine, continue de fasciner et d’émouvoir.

Illustrations:
– Gravure illustrant le drame – 1647. – Wikipédia
– Fort de Hayes.
– Reconstitution du Batavia.