Poster du film Gorge profonde

GORGE PROFONDE : QUAND UN FILM X DEVIENT UN PHÉNOMÈNE DE SOCIÉTÉ 📆 12 juin 1972

Le 12 juin 1972, une date qui marque un avant et un après dans l’histoire du cinéma américain. Ce jour-là, Gorge profonde (Deep Throat) sort en avant-première à Times Square, New York. Ce film, réalisé par Gerard Damiano, ne ressemble à rien de ce que le public a pu voir jusque-là : il s’affiche ouvertement dans les salles de cinéma, alors que la pornographie reste jusque-là confinée à la clandestinité.

Rapidement, des files d’attente se forment devant les cinémas, des célébrités comme Jackie Onassis ou Sammy Davis Jr. viennent le voir, et le film devient un phénomène de société. Mais derrière le scandale et le succès commercial, une réalité bien plus sombre se cache, faite d’exploitation, de violence et d’emprise.

Du cinéma clandestin à l’ère du « porno chic »

Au début des années 1970, le cinéma pornographique vit une révolution. Jusque-là, les films X sont produits dans la clandestinité, sous le contrôle de la mafia, avec des budgets dérisoires et une diffusion confidentielle dans des peep-shows ou des réseaux secrets. Les tournages sont rapides, les acteurs utilisent des pseudonymes, et la société condamne fermement ce type de production.

Mais la révolution sexuelle, la fin du Code Hays à Hollywood et l’évolution des mentalités ouvrent la voie à une légalisation progressive. Gorge profonde symbolise ce basculement : il s’agit du premier long métrage pornographique à bénéficier d’un scénario, de personnages de fiction et d’une sortie officielle dans les salles traditionnelles.

Le film raconte de façon farfelue l’histoire d’une femme frustrée sexuellement du fait qu’elle ne parvient jamais à atteindre l’orgasme. Elle consulte alors un médecin qui lui annonce que son clitoris se trouve au fond de sa gorge. Il l’engage dans son cabinet comme thérapeute ; s’enchaînent alors diverses scènes sexuelles en parodiant les codes du cinéma classique.

Son humour, sa provocation et son succès commercial contribuent à la destruction de nombreux tabous et lancent la mode du « porno chic ». La pornographie sort du ghetto, attire un public plus large, et devient un sujet de débat national sur la censure, la sexualité et la place des femmes dans la société.

Linda Lovelace, l’icône brisée du X

Au centre de ce séisme culturel, Linda Lovelace, de son vrai nom Linda Susan Boreman, incarne la première grande star du cinéma pornographique. À l’écran, elle affiche un sourire pétillant et une aisance qui fascine le public. Pourtant, son histoire personnelle est tragique. Issue d’une famille stricte, Linda tombe sous la coupe de Chuck Traynor, un homme violent qui devient son mari et manager. Traynor la manipule, la bat, la viole, la prostitue et la force à tourner dans des films pornographiques, dont Gorge profonde, parfois sous la menace d’une arme. Linda ne perçoit aucun bénéfice du succès colossal du film ; tout l’argent est confisqué par Traynor, tandis qu’elle accumule les blessures physiques et psychologiques.

Des années plus tard, Linda Lovelace trouve la force de raconter son calvaire dans son autobiographie Ordeal (Supplice). Elle y décrit avec précision les violences, les menaces et la terreur qui rythment son quotidien. Elle affirme que les spectateurs de Gorge profonde assistent en réalité à son viol filmé, soulignant l’absence totale de consentement et la brutalité subie. Son témoignage bouleverse l’Amérique et fait d’elle une figure majeure du mouvement féministe anti-pornographie, dénonçant l’exploitation et la manipulation des femmes dans l’industrie du X.

« The Deuce » : la série HBO proche de la réalité

Des décennies plus tard, la série HBO The Deuce plonge les spectateurs au cœur de cette époque charnière. Créée par David Simon et George Pelecanos, la série s’appuie sur une documentation rigoureuse pour recréer l’ambiance de Times Square au début des années 1970, alors zone de débauche, de criminalité et de prostitution. Les décors, les costumes et les dialogues restituent fidèlement la réalité sociale et culturelle de l’époque.

The Deuce met en scène la montée en puissance de l’industrie pornographique, la violence, la précarité, l’emprise de la mafia, mais aussi les débuts d’une organisation professionnelle du secteur. La série aborde frontalement les conditions de travail difficiles, l’exploitation, la drogue, la corruption policière, tout en mettant en lumière l’émancipation de certaines femmes du milieu, à l’image du personnage de Candy, inspiré de figures réelles. Le regard féminin, omniprésent dans la narration et la réalisation, évite la glorification facile et rend hommage à celles qui, comme Linda Lovelace, ont payé le prix fort de la révolution sexuelle.

Un héritage contrasté

Cinquante ans après, Gorge profonde reste un symbole ambivalent. D’un côté, il incarne une forme de libération sexuelle et la fin de nombreux tabous. De l’autre, il révèle la face sombre de l’industrie du X : exploitation, violence, absence de consentement et souffrance des actrices. Linda Lovelace, longtemps réduite à son rôle d’icône du porno, impose aujourd’hui sa voix de survivante. Son témoignage, glaçant et courageux, rappelle que derrière le mythe du « porno chic », se cachent des histoires de domination et de lutte pour la dignité. L’histoire de Gorge profonde et de Linda Lovelace continue d’interroger notre rapport à la sexualité, à la liberté, et à la protection des plus vulnérables dans l’industrie du spectacle.


Illustration: Affiche américaine du film. – Wikipédia

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