Raid barbaresque sur Baltimore

NUIT DE TERREUR À BALTIMORE 📆 20 juin 1631

Dans la nuit du 20 juin 1631, le paisible village de Baltimore, niché sur la côte sud de l’Irlande, bascule dans l’horreur. Des pirates barbaresques venus d’Afrique du Nord surgissent sur les rivages endormis et enlèvent plus d’une centaine de ses habitants. Ce raid, resté dans la mémoire collective comme le « sac de Baltimore », incarne l’une des attaques les plus marquantes et les plus tragiques de la piraterie barbaresque contre l’Europe de l’Ouest.

Les pirates barbaresques

À cette époque, les pirates barbaresques dominent la Méditerranée et s’aventurent jusqu’aux côtes atlantiques. Originaires principalement d’Alger, Tunis, Tripoli et Salé, ils forment une mosaïque de Maghrébins, de Turcs ottomans, de Morisques expulsés d’Espagne et même d’Européens convertis à l’islam. Leur organisation est redoutable : ils opèrent sous la protection de puissances locales comme la Régence d’Alger ou la République de Salé, qui tirent profit de leurs activités. Les corsaires barbaresques vivent de la piraterie, de la traite des esclaves et de la perception de tributs auprès des nations européennes. Leur réputation s’étend bien au-delà de la Méditerranée : ils sèment la terreur sur les côtes d’Italie, d’Espagne, de France, d’Angleterre et jusqu’en Irlande.

Mourad Raïs le Jeune

À la tête du raid sur Baltimore se trouve Mourad Raïs le Jeune, un personnage fascinant. Né Jan Janszoon aux Pays-Bas, il est capturé par les barbaresques, puis converti à l’islam, et devient l’un des corsaires les plus redoutés de son temps. Il ne se contente pas de la Méditerranée : il mène des expéditions jusqu’en Islande et sur les côtes atlantiques, repoussant toujours plus loin les frontières de la piraterie. Son équipage cosmopolite, composé de renégats européens, de Maghrébins et de Turcs, fait preuve d’une audace et d’une efficacité redoutables. Mourad Raïs s’impose comme le symbole de la capacité d’adaptation et de l’ingéniosité des pirates barbaresques.

Le sac de Baltimore

Dans la nuit du 19 au 20 juin 1631, Mourad Raïs et ses hommes approchent discrètement du village de Baltimore, guidés par John Hackett, un pêcheur irlandais capturé plus tôt et contraint de leur indiquer la route en échange de sa liberté. Les pirates débarquent silencieusement dans la partie basse du village, appelée « the Cove », et se répartissent devant les maisons. Au signal, ils forcent les portes, incendient les toits de chaume et arrachent hommes, femmes et enfants à leur sommeil. La panique s’empare du village : quelques habitants tentent de résister, d’autres s’enfuient ou se réfugient dans le château. En moins de deux heures, plus de cent personnes sont capturées, enchaînées et emmenées vers les navires barbaresques. Le village, traumatisé, ne s’en remettra jamais vraiment : la plupart des survivants fuient vers l’intérieur des terres, et Baltimore tombe dans l’oubli.

La destinée des captifs

Le sort des captifs est tragique. Dès leur arrivée en Afrique du Nord, ils sont vendus sur les marchés aux esclaves d’Alger ou de Salé. Les hommes sont souvent envoyés aux galères, où ils endurent des conditions de vie inhumaines, enchaînés et contraints de ramer pour les flottes barbaresques. D’autres deviennent ouvriers ou domestiques. Les femmes et les enfants sont destinés à la servitude domestique ou, pour certaines, au harem de riches notables. Quelques captifs tentent d’améliorer leur sort en se convertissant à l’islam, mais la plupart ne revoient jamais leur terre natale. Seules trois femmes, selon les archives, parviennent à retrouver l’Irlande, parfois après plus d’une décennie de captivité. Pour la majorité, l’enlèvement marque le début d’une vie de souffrance et d’exil.

Les entités corsaires

La Régence d’Alger

La Régence d’Alger, fondée en 1516 par les frères Barberousse, s’impose rapidement comme une puissance maritime majeure du Maghreb. D’abord sultanat indépendant, elle devient une province ottomane semi-autonome, dirigée par des gouverneurs successivement appelés beylerbeys, pachas, aghas puis deys. Sa capitale, Alger, attire une population cosmopolite, enrichie par l’arrivée de Juifs et de Maures expulsés d’Espagne. L’État repose sur une organisation politique hiérarchisée, mais relativement décentralisée : trois beyliks (Constantine, Titteri, Oran) administrent le territoire, tandis qu’Alger et ses environs relèvent directement du souverain local. La Régence s’appuie sur les tribus « makhzen » pour lever l’impôt et assurer l’ordre, mais son autorité reste contestée dans certaines régions.

La force de la Régence d’Alger réside avant tout dans sa flotte corsaire. Les corsaires algériens, souvent d’anciens renégats européens, mènent une guerre de course contre les puissances chrétiennes, capturant navires et prisonniers, pillant les côtes méditerranéennes et atlantiques. L’économie locale prospère grâce à la vente des prises, au commerce des esclaves et aux rançons. Le pouvoir politique, dominé par les janissaires, s’organise autour d’un conseil d’État (diwân) où les capitaines corsaires exercent une influence considérable sur la politique étrangère et la stratégie militaire. Cette puissance corsaire fait d’Alger une cité redoutée et respectée, capable d’imposer des tributs à ses voisins et de tenir tête aux grandes puissances européennes.

La République de Salé

La République de Salé, ou République du Bouregreg, naît en 1627 à l’embouchure du fleuve Bouregreg, sur le territoire de l’actuel Maroc. Elle réunit Salé, Rabat et la Kasbah, formant une cité-État indépendante, gouvernée par un diwan (conseil) de notables et un gouverneur élu chaque année. Cette république corsaire se distingue par son organisation démocratique originale pour l’époque, où le pouvoir exécutif et judiciaire se partage entre les représentants des différentes communautés, principalement des Morisques andalous et des Hornacheros, musulmans expulsés d’Espagne.

La République de Salé prospère grâce à la piraterie et au commerce maritime. Protégée par les hauts-fonds du Bouregreg, elle devient le repaire des célèbres « Sallee Rovers », qui mènent des raids jusqu’en Cornouailles, en Islande ou en Irlande. Les prises sont partagées entre l’élite locale, les armateurs et les équipages cosmopolites, composés de Mauresques, de renégats européens et de spécialistes venus de toute l’Europe. Les activités corsaires assurent la prospérité de la cité, qui entretient des relations diplomatiques avec plusieurs puissances européennes. Malgré son dynamisme, la République de Salé reste fragile, minée par des luttes internes et la pression croissante des sultans marocains, qui finiront par réintégrer la région dans le giron chérifien à la fin du XVIIᵉ siècle.

La riposte européenne

Face à la menace constante des pirates barbaresques, les États européens réagissent d’abord par la diplomatie et le paiement de tributs, tentant d’acheter la paix et la sécurité pour leurs navires. Mais ces solutions restent temporaires : la piraterie persiste et s’intensifie. Progressivement, les puissances européennes optent pour la force : bombardements, blocus et opérations militaires se succèdent. Le véritable tournant intervient au XIXᵉ siècle : les États-Unis, puis les Anglais et les Français, imposent leur volonté par les armes. En 1830, la conquête française d’Alger met un terme définitif à la piraterie barbaresque en Méditerranée, mettant fin à des siècles de razzias, d’esclavage et de terreur sur les côtes européennes.


Annexe : Que devient Mourad Raïs ?

Après le sac de Baltimore, Mourad Raïs poursuit sa carrière de corsaire entre Alger et Salé. Il s’illustre par des expéditions audacieuses, notamment en Islande et contre les côtes méditerranéennes. À Salé, il occupe le poste de Grand Amiral et dirige la flotte corsaire, mais le climat politique devenant instable, il retourne à Alger où il continue ses activités maritimes et diplomatiques. En 1635, il est capturé par les chevaliers de Malte lors d’une attaque contre Tunis et passe cinq ans dans les cachots de l’île, subissant de mauvais traitements. Libéré en 1640 grâce à une intervention corsaire, il se retire au Maroc, où il est nommé gouverneur de la forteresse de Oualidia, près de Safi. Affaibli, il quitte la vie politique et la piraterie, recevant la visite de sa fille venue des Pays-Bas, avant de disparaître des sources historiques vers 1641.


Illustration: Image générée par IA (Sora)

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