As-tu déjà observé combien le monde semble imparfait ? Les hommes et les femmes naissent marqués de différences, les chemins du destin s’entrelacent en labyrinthes imprévisibles, et les réponses des dieux laissent souvent place au doute. Derrière chaque défaut, chaque détour, chaque mystère, il n’est pas rare de deviner la présence subtile d’Eshu, ce dieu farceur qui aime brouiller les pistes et rappeler que la vie n’est jamais simple ni linéaire.
Écoutez, enfants de la Terre, l’histoire de la création du monde selon les anciens Yorubas, là où les dieux marchaient encore parmi les hommes.

« Au commencement, il n’y avait que le ciel infini et Olodumare, le dieu suprême. Olodumare décida qu’il était temps de créer la Terre. Il confia cette mission à Obatala, l’orisha de la sagesse et de la pureté, et lui remit une corne remplie de sable, une poule et un caméléon. Mais avant de descendre, Obatala croisa Eshu, le dieu malicieux, gardien des carrefours et maître des surprises.
Eshu, curieux et joueur, offrit à Obatala du vin de palme, une boisson douce mais traîtresse. Obatala, assoiffé et confiant, but sans méfiance. Le vin monta à sa tête, rendant ses pensées troubles et ses pas incertains. Sous l’effet de l’ivresse, Obatala oublia les instructions d’Olodumare et s’égara dans le vide primordial, incapable de mener à bien sa tâche.
C’est alors que son frère cadet, Oduduwa, voyant l’échec d’Obatala, descendit à son tour. Il prit la corne de sable, la dispersa sur les eaux, et la poule, en grattant le sable, fit surgir la première terre ferme. Ainsi naquirent les collines, les vallées et les forêts du monde.
Quand Obatala retrouva ses esprits, il fut rempli de honte et de regret. Olodumare, dans sa sagesse, lui confia alors une nouvelle mission : façonner les êtres humains à partir de la terre. Mais parfois, encore troublé par le vin, Obatala modela des corps imparfaits. C’est pourquoi, dit-on, certains hommes naissent différents : ils portent la marque de l’erreur du créateur, mais aussi la bénédiction de sa tendresse.
Depuis ce jour, Obatala jura de ne plus jamais boire et devint le symbole de la pureté, vêtu de blanc, protecteur des vulnérables et des justes. Quant à Eshu, il continue de veiller sur les carrefours du destin, rappelant à tous que la vie est faite de surprises, de choix et d’incertitudes.
Ainsi furent créés la Terre et les hommes par Obatala, qui échoua à cause du vin offert par Eshu, le dieu farceur. »
Aujourd’hui Eshu lance une pierre qui tue l’oiseau hier.
Poème Yoruba
Dans la nuit africaine, au coin du feu, les anciens racontent encore les récits des dieux. Parmi eux, Eshu fascine et intrigue, car il n’est jamais là où on l’attend. Chez les Yorubas, Eshu n’est pas un simple esprit : il est le maître du destin et de l’incertitude, le gardien des carrefours, le messager entre les hommes et les dieux, les orishas.
Eshu aime surprendre. Il surgit là où deux chemins se croisent, là où la vie hésite. Il porte le rouge et le noir, couleurs de la passion et du mystère. Il sourit, parfois moqueur, parfois bienveillant, car il sait que la vie n’est jamais simple. Pour les Yorubas, rien ne peut commencer sans lui : toute offrande, toute prière, tout projet doit d’abord lui être présenté, sinon rien n’aboutit. Eshu ouvre et ferme les portes du monde, il relie les hommes aux dieux, mais il peut aussi brouiller les pistes, semer la confusion, tester la sagesse de chacun.
On raconte qu’Obatala, dieu de la pureté, reçoit un jour de la main d’Eshu un calebasse de vin de palme. Obatala boit, s’enivre, oublie sa mission : créer la Terre. Eshu, farceur, observe la scène. Par sa ruse, il rappelle que même les plus purs peuvent faillir, que l’ordre du monde se construit aussi sur l’erreur et l’imprévu. C’est ainsi qu’Obatala, pris de remords, façonne les hommes avec tendresse, mais parfois avec maladresse. Les différences humaines portent la trace de cette histoire, et la compassion d’Obatala.
Eshu n’est jamais tout à fait bon, jamais tout à fait mauvais. Il incarne la complexité de l’existence, la nécessité de composer avec l’incertitude. Il veille sur les voyageurs, les commerçants, les conteurs et tous ceux qui osent s’aventurer hors des sentiers battus. Il rappelle que chaque choix ouvre un nouveau chemin, et que chaque carrefour est un mystère à déchiffrer.
Aujourd’hui encore, dans les villes et les villages yorubas, on dépose une offrande à Eshu avant de prendre une décision importante. On lui parle comme à un vieil ami, un frère malicieux, un guide invisible. Car Eshu, plus que tout autre, sait que la vie est une aventure pleine de surprises, et que seuls ceux qui respectent l’incertitude avancent sans crainte vers leur destin.
D’un bien Eshu fait un mal, d’un mal Eshu fait un bien.
Poème Yoruba
Un jour, Eshu s’introduit dans le jardin d’Obatala et vole quelques-unes de ses ignames. Il ressort ensuite en laissant derrière lui des empreintes de pas en utilisant les pantoufles d’Obatala.
Lorsque Obatala découvre le vol, il interroge Eshu tout naturellement au sujet des ignames disparues. Eshu désigne les empreintes de pantoufles et affirme qu’Obatala a dû voler ses propres légumes, car ce sont ses traces qu’il voit là.
Agacé par la ruse et la fourberie d’Eshu, Obatala puni le dieu en lui ordonnant de retourner au ciel chaque soir pour rapporter aux oriṣas (aux dieux) ce qui s’est passé sur terre ce jour-là.
Illustration: Figure en bois noir sculpté agenouillée sur une base circulaire, représentant le dieu Eshu avec des seins saillants et une énorme coiffe cornue recourbée vers l’arrière, peuple Yoruba, Nigéria, 1880-1920. Dans la tradition yoruba, Eshu est décrit comme un personnage de ruse et de surprise. Fait inhabituel, ses seins proéminents le représentent sous une forme féminine. Comme d’autres représentations, il porte une coiffe de courges (fruits évidés).
Science Museum Group. Wooden figure representing the god Eshu, Nigeria, 1880-1920. A160553 Science Museum Group Collection Online.