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Ferdinand Lop

DÉCÈS DU SEUL CANDIDAT À LA PRÉSIDENTIELLE QUI PRÔNAIT DE RÉDUIRE LA GROSSESSE DES FEMMES DE 9 À 7 MOIS 📆 27 octobre 1974

Le 27 octobre 1974, Ferdinand Lop s’éteint à Saint-Sébastien-de-Morsent, dans l’Eure. Il a 83 ans. Ce jour-là, disparaît plus qu’un homme, c’est une façon de rire du monde qui s’éteint. Loin de la gloire, il vit ses dernières années dans une pauvreté discrète. Les journaux saluent sa disparition avec une émotion teintée de nostalgie : le Quartier latin perd un pitre sublime, un philosophe farceur qui a fait de l’absurde un art de vivre.

Un homme de mots et de fantaisie

Ferdinand Lop naît à Marseille le 10 octobre 1891. Fils de Jules Joseph Lop et de Benjamine Reine Montel, il grandit dans une famille cultivée avant de gagner Paris pour ses études. Très vite, il choisit de vivre non pas dans le confort, mais dans l’agitation spirituelle du Quartier latin. Reconnaissable à son long manteau noir, son nœud papillon et sa tignasse rousse, il arpente la Sorbonne, haranguant les passants sur les trottoirs et transformant le boulevard Saint-Michel en tribune populaire.

D’abord assistant parlementaire, puis journaliste au Cri du Jour, il découvre que la politique n’est pas tant une vocation qu’un formidable théâtre. Ses discours ludiques, ses calembours provocateurs et son humour corrosif séduisent une génération d’étudiants et d’intellectuels. À la Taverne du Panthéon, son quartier général, il devient une véritable légende vivante.

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Le candidat perpétuel

Inlassable, Ferdinand Lop se présente dix-huit fois à l’Académie française, entre 1936 et 1966. Ses candidatures, souvent ironiques, révèlent à la fois son goût de la langue et son mépris des honneurs. Il publie d’ailleurs Ce que j’aurais dit dans mon discours de réception à l’Académie française si j’avais été élu, un texte où il tourne en dérision la solennité de l’institution. Mais sa vraie gloire vient de ses multiples candidatures présidentielles.

Dès 1946, il se proclame « candidat perpétuel », et ne manque aucune occasion de rappeler à la République ses incohérences. Son nom réapparaît même au scrutin de 1953, face à René Coty. Lui, qui se veut pourtant « candidat de l’humour et de l’espérance », divise les foules : les jeunes le vénèrent, les plus sérieux s’en offusquent. Il inspire la création de petits mouvements joyeusement absurdes : les « Lopettes » ou « Lopistes » soutiennent sa fantaisie, tandis que les « Antilopes » s’y opposent ; entre eux gravitent les « Interlopes », simples spectateurs du théâtre lopien.

Son programme poétique pour la République

Le programme politique de Ferdinand Lop reste aujourd’hui encore une anthologie de l’absurde et de la lucidité. Il propose de « supprimer la misère après 22 heures », de « nationaliser les maisons closes pour accorder aux prostituées les droits de la fonction publique », de « prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer », ou d’« installer un toboggan place de la Sorbonne pour le délassement des étudiants ». Il réclame aussi « une pension à la femme du Soldat inconnu », « des trottoirs roulants pour faciliter la vie des péripatéticiennes », et surtout la « réduction de la grossesse de neuf à sept mois ».

Ces propositions farfelues dissimulent une critique mordante du sérieux politique et du conformisme social. Derrière la plaisanterie, il souligne l’hypocrisie du pouvoir et la vanité des promesses électorales. Sa « lopéothérapie », comme il nomme son programme, n’est pas seulement une moquerie, c’est une philosophie : guérir la société par le rire.

L’humoriste philosophe

Ferdinand Lop n’est pas qu’un amuseur public ; c’est aussi un moraliste déguisé en clown. Dans Pensées et aphorismes (1951) ou Nouvelles pensées et maximes (1970), il livre des fragments de sagesse où l’intelligence du verbe le dispute à l’humour. Il écrit : « Les partis politiques sont des champignonnières sur le dos du corps électoral » ou encore « Ce n’est pas une retraite, c’est une progression vers l’arrière pour raisons stratégiques ». Mais il sait aussi être grave : « La confiance ne se donne pas, elle se mérite », « Il faut savoir limiter son ambition à ses propres possibilités ».

Sous le rire se cache une bienveillance rare : Lop se moque de tout, mais jamais du peuple. Il parle à ceux qui peinent, qui doutent, qui aspirent à un monde plus simple et plus sincère. En lui, le burlesque se fait humanisme.

Le dernier des poètes du Quartier latin

Dans ses dernières années, on le retrouve assis dans les cafés, son large chapeau posé devant lui, essayant de vendre quelques exemplaires de ses livres. La jeunesse, désormais tournée vers d’autres combats, l’ignore souvent. Pourtant, lorsqu’il s’éteint le 27 octobre 1974, il reste fidèle à lui-même : pauvre, libre et rieur. Il est inhumé à Saint-Sébastien-de-Morsent, laissant pour héritage un sillage de sourires et une philosophie de la légèreté.

Ferdinand Lop n’a jamais remporté d’élection, mais il a conquis les consciences. Par l’humour, il a rendu la politique humaine. Par la dérision, il a rendu la bêtise supportable. Et par la poésie, il a su rappeler que le rêve n’est jamais un luxe : c’est une nécessité.


Illustration: photo de Ferdinand Lop


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