Le 3 juin 713, lâempereur byzantin Philippicos est brutalement renversĂ© lors dâun coup dâĂtat militaire. Ce renversement marque lâaboutissement dâune pĂ©riode de grande instabilitĂ©, oĂč lâEmpire byzantin, affaibli sur tous les fronts, ne parvient plus Ă maintenir lâordre ni Ă dĂ©fendre ses frontiĂšres. LâĂ©viction de Philippicos sâinscrit dans une sĂ©rie de bouleversements politiques qui secouent Byzance au dĂ©but du VIIIe siĂšcle.
Sommaire
Un empire en crise
Philippicos, gĂ©nĂ©ral dâorigine armĂ©nienne connu sous le nom de BardanĂšs avant son accession au trĂŽne, sâimpose comme empereur en 711 aprĂšs avoir renversĂ© Justinien II. Son rĂšgne sâinscrit dans un contexte de fragilitĂ© extrĂȘmeâŻ: lâEmpire byzantin subit une succession rapide de souverains, ce qui dĂ©sorganise lâadministration et affaiblit lâautoritĂ© impĂ©riale. Sur le plan militaire, les dĂ©faites sâaccumulentâŻ: les Bulgares menacent directement Constantinople et les Arabes progressent en Asie Mineure, mettant Ă mal les dĂ©fenses impĂ©riales. Cette situation critique nourrit le mĂ©contentement de lâarmĂ©e et du peuple, qui voient en Philippicos un souverain incapable dâassurer la sĂ©curitĂ© et la stabilitĂ© de lâEmpire.
Des tensions religieuses
La crise religieuse vient sâajouter Ă la crise politique et militaire. Philippicos tente dâimposer le monothĂ©lisme, une doctrine rejetĂ©e par lâorthodoxie dominante et par Rome. Cette initiative provoque de vives tensions avec le clergĂ© et accentue les divisions internes. Lâempereur, en quĂȘte dâunitĂ© religieuse pour renforcer son pouvoir, se heurte Ă une forte opposition qui contribue Ă lâisolement du rĂ©gime. Ces conflits religieux fragilisent encore davantage lâEmpire, dĂ©jĂ minĂ© par les menaces extĂ©rieures et les dissensions internes.
Tu apprécies mes contenus. Clique ici pour soutenir l'édition de cet almanach.
La chute
Face Ă la dĂ©gradation de la situation, une rĂ©volte Ă©clate au sein de lâarmĂ©e, notamment parmi les troupes du thĂšme de lâOpsikion, stationnĂ©es prĂšs de la capitale. Profitant dâun moment de vulnĂ©rabilitĂ©, les mutins pĂ©nĂštrent dans Constantinople, surprennent Philippicos alors quâil se repose au palais, et lâemmĂšnent Ă lâhippodrome. LĂ , ils lui crĂšvent les yeux dans le vestiaire des Verts, une mutilation qui le rend dĂ©finitivement inapte Ă rĂ©gner. Dans lâEmpire byzantin, lâintĂ©gritĂ© physique est une condition essentielle pour accĂ©der ou conserver le trĂŽneâŻ: un empereur mutilĂ© ne peut plus prĂ©tendre au pouvoir, ce qui garantit lâĂ©viction durable de Philippicos.
Pas mieux avec Anastase II
DĂšs le lendemain du coup dâĂtat, ArtĂ©mios, secrĂ©taire impĂ©rial de Philippicos, est proclamĂ© empereur sous le nom dâAnastase II. Il tente de restaurer lâordre, de rĂ©organiser lâarmĂ©e et la flotte, et de rĂ©tablir de meilleures relations avec lâĂglise, rompues sous Philippicos. MalgrĂ© ces efforts, lâinstabilitĂ© demeureâŻ: Anastase II sera lui-mĂȘme renversĂ© en 715 par une nouvelle rĂ©volte militaire, illustrant la fragilitĂ© du pouvoir impĂ©rial Ă cette Ă©poque et la difficultĂ© de rĂ©tablir une autoritĂ© durable dans un contexte de crise permanente. Anastase est exĂ©cutĂ© tandis que ses partisans ont le nez tranchĂ©.
Le sort de Philippicos
AprĂšs sa destitution, Philippicos est exilĂ© dans le monastĂšre urbain des Dalmates Ă Constantinople. AveuglĂ©, il ne reprĂ©sente plus une menace pour ses successeurs et termine ses jours dans lâisolement du cloĂźtre, oĂč il meurt en 714 ou 715. Son sort, commun Ă de nombreux empereurs byzantins dĂ©chus, tĂ©moigne de la brutalitĂ© des luttes de pouvoir Ă Byzance.
Mutilation et perte du pouvoir
Dans lâEmpire byzantin, il existe plusieurs mĂ©thodes pour Ă©carter un souverain sans le mettre Ă mort. Lâaveuglement, comme dans le cas de Philippicos, est lâune des plus courantesâŻ: un empereur doit ĂȘtre physiquement intact pour rĂ©gner, et la perte de la vue le rend inapte au trĂŽne. Dâautres mutilations, comme la coupe du nez (rhinocopie), sont Ă©galement pratiquĂ©es pour marquer lâindignitĂ© et empĂȘcher tout retour au pouvoirâŻ: ce fut le cas de Justinien II, qui, aprĂšs avoir eu le nez tranchĂ©, parvient cependant Ă reprendre le trĂŽne quelques annĂ©es plus tard.
La coupe des cheveux, symbole de renoncement au pouvoir chez les souverains mĂ©rovingiens ou dans certaines traditions, ou encore lâexil dans un monastĂšre, sont dâautres moyens de neutraliser un ancien roi ou empereur sans recourir Ă lâexĂ©cution. Ces pratiques permettent dâĂ©viter le rĂ©gicide, souvent mal vu ou risquĂ© sur le plan religieux et politique, tout en assurant lâĂ©viction dĂ©finitive de lâancien souverain.
Illustration: Miniature du MaĂźtre de Boucicaut reprĂ©sentant la mutilation du nez de Justinien et l’aveuglement de Philippicos, Ă droite. Du cas des nobles hommes et femmes, vers 1413-1415, J. Paul Getty Museum. – WikipĂ©dia
