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L’ORDRE DE MALTE DÉJOUE LE COMPLOT ORCHESTRÉ PAR LE BACHA DE RHODES 📆 6 juin 1749

La Valette - Malte

Le 6 juin 1749, Malte est le théâtre d’une découverte qui bouleverse l’île et ses habitants. Ce jour-là, les autorités maltaises mettent au jour un complot d’une ampleur inédite, orchestré par Mustapha bacha de Rhodes, ancien gouverneur ottoman. Son objectif : renverser l’Ordre de Saint-Jean, assassiner le grand maître et libérer les esclaves musulmans pour s’emparer du pouvoir. Cette affaire, digne d’un roman d’aventures, révèle toute la tension et la complexité de la Méditerranée du XVIIIᵉ siècle.

Une arrivée inattendue à Malte

Tout commence par un événement aussi imprévu que spectaculaire. Mustapha bacha de Rhodes, né vers 1708 à Chios et issu d’une famille ottomane influente, gouverne l’île de Rhodes lorsqu’il entreprend un voyage en galère vers la Caramanie. Mais à bord, la situation dégénère : une mutinerie éclate, menée par son propre serviteur, Cara Mehemet, en quête de vengeance, et appuyée par des esclaves chrétiens et des Maltais. Les mutins prennent le contrôle du navire, éliminent l’équipage turc et, après de longues hésitations, mettent le cap sur Malte. À leur arrivée, le grand maître Pinto da Fonseca accueille Mustapha bacha avec les honneurs dus à son rang, ignorant encore le destin que ce prisonnier va réserver à l’île.

Un traitement de faveur qui ouvre la voie au complot

À Malte, Mustapha bacha bénéficie d’un traitement exceptionnel. Il effectue sa quarantaine sur l’île du lazaret avec cinq domestiques, puis s’installe au fort Saint-Elme, entouré de nombreux serviteurs turcs. Il jouit d’une grande liberté, pouvant se déplacer, recevoir des visiteurs et même profiter des jardins de La Valette. Cette liberté inhabituelle pour un prisonnier de son rang lui permet de tisser des liens avec la communauté des esclaves musulmans de Malte. Il s’installe même dans une maison à l’extérieur de la ville, où il accueille de nombreux esclaves, attisant chez eux le désir de liberté et les préparant à une révolte de grande envergure.

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Un plan audacieux et une organisation méticuleuse

Profitant de sa liberté et de son charisme, Mustapha bacha élabore un plan minutieux. Il prévoit de frapper le jour de la fête de Saint-Pierre et Saint-Paul, moment où la majorité de la population se rassemble à Mdina, laissant La Valette vulnérable. Le plan est précis : le chambrier du grand maître doit ouvrir la porte de ses appartements à un groupe de conjurés chargés de l’assassiner, tandis que d’autres esclaves s’emparent des postes de garde et des principaux forts. Mustapha bacha sollicite même le soutien des dirigeants d’Alger, Tunis, Tripoli et Constantinople, espérant une insurrection coordonnée et un renfort extérieur. Plus de 200 esclaves, dont certains proches du pouvoir, sont impliqués dans la conjuration.

Une dénonciation qui sauve Malte

Le complot est finalement découvert grâce à une série de dénonciations. Un maronite arménien alerte le capitaine des gardes, Paul-Antoine de Viguier, après avoir été approché pour rejoindre le complot. D’abord sceptique, Viguier transmet tout de même l’information au grand maître. Peu après, un autre témoignage, celui d’un Juif de Palestine, confirme l’existence du projet. Les autorités arrêtent alors les principaux suspects, qui avouent sous la torture et dénoncent de nombreux complices. L’enquête révèle l’ampleur du complot, impliquant la plupart des esclaves au service des chevaliers. Les arrestations se multiplient, et le Bacha lui-même est finalement arrêté et placé en résidence surveillée au fort Saint-Elme, autant pour l’enfermer que pour le protéger de la colère populaire.

Une répression brutale et des conséquences durables

La réaction des autorités maltaises est implacable. Plus de 200 esclaves sont reconnus coupables de participation au complot. Environ 60 d’entre eux sont exécutés, souvent dans des conditions particulièrement atroces : os brisés, chair arrachée au fer rouge, écartelés par les galères dans le port. Les mesures de sécurité sont renforcées : désormais, tous les esclaves non chrétiens doivent être enchaînés deux à deux pour se rendre au travail, et seuls les convertis au catholicisme gardent certains privilèges. L’affaire marque un tournant dans la gestion de l’esclavage à Malte et laisse une trace profonde dans la mémoire collective de l’île.

Le sort du Bacha et l’intervention diplomatique française

Le sort de Mustapha bacha se joue autant à Malte qu’à Paris et Constantinople. Face à la pression populaire, mais aussi à l’intervention du roi Louis XV, soucieux d’éviter des représailles contre les chrétiens dans l’Empire ottoman, les autorités maltaises renoncent à l’exécuter. Le Bacha est finalement renvoyé à Constantinople à bord d’une frégate française. À son retour, il est banni par le sultan et disparaît de la scène politique ottomane, finissant sa carrière en disgrâce, loin du pouvoir et du prestige qu’il avait connus.

Un triangle diplomatique sous tension

L’affaire du complot du Bacha met en lumière les relations complexes entre l’Empire ottoman, Malte et la France. L’Empire ottoman considère toujours Malte comme une place ennemie, mais la confrontation directe laisse place à une diplomatie prudente. La France, protectrice de l’Ordre de Malte et alliée de la Sublime Porte, joue un rôle d’arbitre central. Lors de la crise, elle intervient pour éviter une escalade, illustrant l’importance de ses intérêts en Méditerranée et sa capacité à influencer les décisions locales. Ce triangle diplomatique est marqué par la rivalité, la négociation et l’interdépendance, chaque acteur cherchant à préserver ses intérêts stratégiques.


Illustration: La Valette, Malte – Photo de Pho Tomass – Pexels