Mazamet ville morte pour la sécurité routière

HÉCATOMBE À MAZAMET : 16 545 VICTIMES 📆 17 mai 1973

Le 17 mai 1973, Mazamet, petite ville du Tarn, entre dans l’histoire de la sécurité routière. Ce jour-là, ses habitants acceptent de participer à une opération hors du commun : « Mazamet, ville morte ». L’idée est simple, mais puissante. À 14h30, au signal des sirènes, toute la population s’allonge dans les rues, les places et les jardins publics, incarnant le nombre dramatique de morts sur les routes françaises en 1972 : 16 545, soit l’équivalent de la population de la ville. Cette scène glaçante, filmée par l’ORTF, marque durablement les esprits et provoque un électrochoc national.

Une idée née d’un choc statistique

Tout commence par une statistique terrifiante : en 1972, la France déplore 16 545 morts sur ses routes, un record dramatique qui suscite l’effroi. Pour Michel Tauriac, journaliste à l’ORTF, ce chiffre ne peut rester une abstraction. Il imagine alors une opération symbolique, capable de donner un visage à cette tragédie collective. Tauriac propose à Mazamet de « disparaître » le temps d’une journée, incarnant physiquement ces vies perdues. La démarche est audacieuse et suscite d’abord des doutes : le maire, inquiet pour l’image de sa ville déjà fragilisée par la crise industrielle, hésite. Mais Tauriac ne se décourage pas. Il multiplie les rencontres, convainc les enseignants, les chefs d’entreprise, les associations, et même les religieuses. Peu à peu, la ville entière se mobilise, acceptant de jouer le jeu pour une cause qui les dépasse. Les rues sont nettoyées à l’avance pour rassurer les plus réticents. Mazamet se prépare à vivre un moment unique, où chacun, par son geste, va donner du sens à une statistique jusque-là invisible.

Le grand silence

Le 17 mai 1973, à 14h30, le signal des sirènes retentit dans toute la ville. D’un coup, Mazamet s’arrête. Hommes, femmes, enfants, commerçants, ouvriers, écoliers, tous s’allongent en silence sur l’asphalte, les trottoirs, dans les parcs et les jardins publics. L’image est saisissante : une ville entière, figée dans une immobilité totale, incarne le drame de la mortalité routière. Certains habitants laissent leur voiture en travers de la route, portes et coffres ouverts, accentuant la sensation d’abandon. Un feu de voiture est même allumé pour renforcer l’effet dramatique. Pendant dix longues minutes, Mazamet devient le théâtre d’un recueillement collectif inédit. Des caméras filment la scène au sol, capturant les visages graves et les corps immobiles, tandis qu’un hélicoptère survole la ville, offrant une vue d’ensemble bouleversante. Le silence, seulement troublé par le vent, donne à l’événement une dimension presque irréelle, gravant dans les mémoires l’ampleur de la tragédie routière.

Un électrochoc national

Quelques jours plus tard, le 1er juin 1973, les images de Mazamet sont diffusées à la télévision dans l’émission « 24 heures sur la Une ». La France entière découvre alors cette ville silencieuse, « rayée de la carte » le temps d’un après-midi. L’effet est immédiat et puissant : l’opération frappe les esprits par sa force symbolique et son humanité. Pour la première fois, les statistiques prennent un visage, une réalité palpable. Les réactions affluent : médias, citoyens, responsables politiques saluent unanimement l’initiative. Les témoignages évoquent une émotion profonde, une prise de conscience générale. On parle d’un « moment marquant dans l’histoire de la sécurité routière », d’un « électrochoc psychologique » qui touche toutes les générations. La France ne peut plus détourner le regard de la tragédie qui se joue chaque année sur ses routes.

Un tournant pour la sécurité routière

Sous la pression de l’opinion publique et face à l’impact de l’opération, le gouvernement réagit rapidement. Les mesures de sécurité routière, longtemps discutées, sont enfin adoptées. Les limitations de vitesse deviennent la règle sur tous les réseaux, le port de la ceinture de sécurité à l’avant s’impose, le casque devient obligatoire pour les motocyclistes hors agglomération. L’année 1973 marque, pour la première fois, une baisse significative de la mortalité routière en France. Mazamet, par son courage et sa solidarité, devient le symbole d’un changement profond dans la lutte contre l’insécurité routière. L’opération sert de catalyseur, accélérant la mise en œuvre de politiques publiques qui sauveront, au fil des décennies, des dizaines de milliers de vies.

Aujourd’hui, l’opération « Mazamet, ville morte » reste un exemple unique de mobilisation citoyenne et de communication de santé publique. Elle rappelle que derrière chaque chiffre, il y a des vies, des familles, des histoires brisées. Ce geste collectif, simple mais bouleversant, a marqué un tournant décisif dans la perception du danger routier en France. Mazamet, le temps d’un après-midi, a su réveiller la France.


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https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/mazamet-ville-morte-guy-seligmann-1973-securite-routiere-campagne-d-information


Photos: Images Wikimédia

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