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LA 1ère CAMPAGNE DE VACCINATION DE MASSE CONTRE LA VARIOLE 📆 30 novembre 1803

Vaccination anti-variolique vers 1820

Le 30 novembre 1803, sous un ciel galicien chargé de promesses, la corvette María Pita largue les amarres du port de La Corogne, acclamée par une foule émue. À son bord, Francisco Javier Balmis, fidèle médecin de cour du roi Charles IV, commande une équipe hétéroclite : des soignants dévoués, l’intendante Isabel Zendal et une vingtaine d’orphelins âgés de 7 à 10 ans, recrutés dans les hospices locaux.

Ces enfants, innocents porteurs d’espoir, incarnent la méthode ingénieuse pour transporter le vaccin jennérien contre la variole – un fléau qui ravage encore l’Empire espagnol. L’expédition philanthropique royale s’élance ainsi pour un périple autour du monde, des Amériques aux Philippines, dans une course contre la mort.

L’équipe et la méthode ingénieuse

Francisco Javier Balmis, né en 1753 à Alicante, chirurgien militaire aguerri et botaniste passionné, pilote l’opération d’une main ferme. Forgé par les campagnes au Mexique où il dirigea l’hôpital militaire de Mexico, il maîtrise la vaccine depuis son introduction en Espagne en 1801, qu’il propage avec zèle en traduisant les écrits d’Edward Jenner. À ses côtés, José Salvany, jeune sous-directeur plein d’ardeur, et une poignée de praticiens. Isabel Zendal, veuve discrète de 29 ans et intendante de l’orphelinat de La Corogne, veille comme une mère sur les enfants vaccinifères : seule femme à bord, elle les nourrit, les console lors des inoculations répétées qui couvrent leurs bras de pustules fiévreuses, et préserve la chaîne vivante du virus, unique moyen de le garder actif sans réfrigération.

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Après une escale aux Canaries, l’expédition se scinde en deux bras puissants : Balmis fonce vers Veracruz au Mexique, puis Manila aux Philippines, tandis que Salvany remonte le fleuve Magdalena pour couvrir la Nouvelle-Grenade, le Pérou et la Bolivie. Ces gamins, promis à l’éducation et au retour en patrie, subissent en mer les affres de la vaccine – fièvres, douleurs lancinantes –, mais leur sacrifice maintient le fluide précieux. Isabel, pionnière méconnue de la santé publique, les cajole jour et nuit, transformant le navire en nurserie flottante au milieu des tempêtes.

Un succès retentissant malgré les drames

La campagne frappe fort : directement, elle vaccine 100 000 âmes ; indirectement, des centaines de milliers d’autres via des juntas de vacunación implantées dans chaque capitale vice-royale. Au Chili et à Porto Rico, la vaccine galope déjà avant l’arrivée des navires, propagée par des initiatives locales enthousiastes. Les autorités coloniales défilent les populations entières – parfois en déplaçant villages entiers – pour les inoculer, tandis que Balmis forme médecins, prêtres et notables, instaurant un réseau gratuit et interconnecté de commissions qui consignent rapports et expériences. Jenner lui-même s’émerveille de loin, et Humboldt loue cette machine préventive qui sauve des générations.

Pourtant, l’ombre plane sur ces triomphes : les enfants vaccinifères, héros anonymes, paient cher leur rôle. Malnutris par les rations maigres du bord, rongés par les pustules et les mers démontées, plusieurs succombent en traversée ou à l’arrivée. Balmis lui-même tonne contre les autorités coloniales qui les maltraitent, les abandonnent sans école ni foyer malgré les ordres royaux. La plupart végètent dans la misère des colonies – Mexique, Philippines –, livrés aux fièvres et à la faim, leur espérance de vie fauchée net. Ce prix humain, poignant, humanise l’épopée : derrière la gloire médicale, des corps d’orphelins « vils » sacrifiés au bien commun.

Une initiative unique dans l’histoire

Aucun rival impérial n’égale cette audace : les Britanniques sèment la vaccine via missionnaires en Inde dès 1802 ou en Australie, mais sans état-major royal ni flotte dédiée. La France napoléonienne l’impose à ses troupes et colonies par décrets secs, sans philanthropie transocéanique. La Russie de Catherine II expérimente la variolisation en 1787 via centres locaux, et le Portugal adapte la méthode au Brésil sans expédition globale. Balmis innove seule : financée par Charles IV, sa croisière du vaccin – près de dix ans d’errance organisée – pose les jalons des campagnes mondiales, jusqu’à l’éradication de la variole en 1980. Une Espagne des Lumières, en pleine décadence, illumine ainsi l’histoire sanitaire.


Illustration: Vaccination de bras à bras, tableau de Constant-Joseph Desbordes. – Wikipédia

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