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LE CORBEAU DE TULLE NE NUIRA PLUS 📆 20 décembre 1922

Procès d'Angèle Laval le corbeau de Tulle

Le 20 décembre 1922, dans le tumulte du tribunal de Tulle, Angèle Laval entend le verdict qui met fin à l’une des affaires les plus sombres de l’entre-deux-guerres : un mois de prison avec sursis, une amende modeste et des indemnités. Cette condamnation clémente, prononcée après un procès houleux, scelle le sort de celle que la ville entière désigne comme le « corbeau », l’auteure des lettres anonymes qui empoisonnent Tulle depuis des années.

Une ombre plane sur la préfecture

À Tulle, en Corrèze, une série de lettres calomnieuses sème la discorde dès 1917. Angèle Laval, employée à la préfecture et éconduite par son supérieur Jean-Baptiste Moury, cible ses collègues, leurs familles et les notables locaux. Plus de deux cents personnes reçoivent ces missives vulgaires, signées parfois « L’Œil de tigre », accusant d’adultère, de vices et de secrets inavouables. Moury reçoit les premières, avertissant contre Angèle elle-même puis contre sa future épouse Marie-Antoinette Fioux. Le préfet, Félix Richeux, Auguste Gibert le greffier, et même des bourgeois comme les Vaur ou Vialle subissent les attaques. Angèle feint d’être victime pour se rapprocher de Moury, tandis que sa mère Louise en reçoit une injurieuse. Ces « clampes », lettres destinées à être lues par plusieurs, se déposent partout : trottoirs, églises, marchés, multipliant les rumeurs comme un feu de paille dans la petite ville provinciale.

Le poison ronge la ville

Ces lettres, déposées sur les trottoirs, à l’église ou au marché, provoquent une hystérie collective. Auguste Gibert sombre dans la folie et meurt d’une congestion cérébrale en décembre 1921. Louise Laval se noie dans un étang en mars 1922 après une tentative de suicide avec sa fille, qu’on secourt de justesse. Un secrétaire de mairie s’empoisonne, se prenant pour le corbeau. Les familles se terrent, rasant les murs, évitées par les commères ; la préfecture paralysée par la méfiance voit dépressions et internements. Le juge François Richard perd sa carrière dans la tourmente médiatique. La paranoïa gagne : portes fermées à clé, regards fuyants, une couverture nationale qui transforme Tulle en théâtre d’un drame shakespearien, où le venin des mots tue plus sûrement que les armes.

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Le piège se referme sur Angèle

Tout bascule par une maladresse : le frère d’Angèle, Jean, révèle au juge Richard un détail confidentiel d’une lettre, que seule l’auteure connaît. Le magistrat, flairant son amour jaloux pour Moury et son langage cru, oriente l’enquête. L’expert Edmond Locard impose une dictée : Angèle triche, écrit de la main gauche puis droite, mais son style la trahit – majuscules forcées, lapsus féminins. Une lettre inachevée trouvée chez elle et des témoignages de jalousie achèvent de la désigner. Le curé découvre le brouillon caché, des collègues rappellent ses rancunes envers Fioux ; chaque indice s’emboîte comme les pièces d’un puzzle macabre, piégeant la jeune femme dans sa propre toile de mensonges.

Le procès, un lynchage public

Dès le 4 décembre 1922, le tribunal déborde d’une foule hostile criant des insultes. Vêtue de noir pour sa mère, Angèle nie tout, même son amour pour Moury. Vingt-trois témoins défilent ; une fausse lettre d’aveu circule. L’avocat général tonne trois heures, la défense plaide deux. Le 20 décembre, la prescription limite les charges aux treize dernières lettres : la peine reste douce, influencée par son hystérie diagnostiquée. L’appel à Limoges confirme. La salle vibre d’émotions : huées, pleurs, flashes des photographes ; Me Hesse, avocat de la défense, lutte contre un mur de haine, tandis que la presse titre en une, faisant de Tulle le cœur battant d’un fait divers national.

Une fin discrète et tragique

Libre mais maudite, Angèle vit marginalisée à Tulle, ostracisée par tous, soutenue à peine par son frère et sa tante. Internée brièvement, elle refuse tout aveu. Son ombre s’efface jusqu’à sa mort en 1967, laissant l’expression « faire le corbeau » et inspirant le film de Clouzot en 1943. Tulle respire enfin, délivrée de son poison. Les rues reprennent vie, les familles pansent leurs plaies invisibles ; Angèle, fantôme solitaire, emporte son secret dans la tombe, symbole d’une jalousie destructrice.


Illustration: Une de l’Excelsior du 6 décembre 1922