Le duel, symbole dâhonneur et de bravoure, marque profondĂ©ment lâhistoire de la France, notamment au sein de la noblesse. Mais face Ă lâhĂ©catombe quâil provoque et au dĂ©fi quâil reprĂ©sente pour lâautoritĂ© royale, le pouvoir dĂ©cide dâagir. Le 2 juin 1626, sous lâimpulsion du cardinal de Richelieu, Louis XIII promulgue un Ă©dit royal qui entend mettre un terme Ă cette pratique dangereuse et anarchique.
Sommaire
LâĂ©dit royal de 1626
Au dĂ©but du XVIIe siĂšcle, les duels font des ravages parmi la noblesse française. Chaque annĂ©e, des dizaines de gentilshommes meurent ou sont gravement blessĂ©s pour une question dâhonneur, mettant en pĂ©ril la stabilitĂ© sociale et politique du royaume. Conscient de cette menace, le cardinal de Richelieu persuade Louis XIII dâagir fermement. LâĂ©dit royal du 2 juin 1626 assimile dĂ©sormais le duel Ă un crime de lĂšse-majestĂ©, câest-Ă -dire une atteinte directe Ă lâautoritĂ© du roi. Les peines prĂ©vues sont exemplaires : la peine de mort pour les rĂ©cidivistes, la perte de toute charge et de tout honneur pour les premiers contrevenants. Lâapplication stricte de lâĂ©dit est illustrĂ©e par lâexĂ©cution publique de François de Montmorency-Bouteville en 1627, un noble cĂ©lĂšbre qui avait bravĂ© lâinterdiction. Cet acte frappe les esprits et marque la volontĂ© du pouvoir royal de reprendre la main sur la violence privĂ©e de la noblesse.
Les rĂšgles du duel
Le duel nâest pas un affrontement sauvage, mais un rituel codifiĂ©, soumis Ă des rĂšgles prĂ©cises, souvent transmises oralement mais parfois consignĂ©es dans des traitĂ©s. Avant le combat, chaque adversaire choisit un ou plusieurs « seconds », tĂ©moins chargĂ©s de sâassurer que lâaffrontement se dĂ©roule dans les rĂšgles. Les armes sont sĂ©lectionnĂ©es Ă lâavance â Ă©pĂ©e, rapiĂšre, pistolet selon lâĂ©poque â et le terrain est choisi pour garantir lâĂ©quitĂ©. Un arbitre donne le signal du dĂ©but et peut interrompre le duel si lâhonneur est jugĂ© sauf ou si lâun des combattants est blessĂ©. Il est interdit de frapper un adversaire Ă terre ou de tricher en portant des protections cachĂ©es. Ces rĂšgles, quâelles soient Ă©crites ou issues de la tradition, visent Ă limiter la violence, Ă Ă©viter les abus et Ă prĂ©server la dignitĂ© des participants, tout en assurant que la notion dâhonneur soit respectĂ©e.
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Pourquoi autant de duels ?
LâextrĂȘme frĂ©quence des duels en France sâexplique avant tout par la place centrale de lâhonneur dans la sociĂ©tĂ© dâAncien RĂ©gime. Pour un noble, ĂȘtre accusĂ© de lĂąchetĂ© ou laisser une offense sans rĂ©ponse Ă©quivaut Ă une mort sociale : il risque lâexclusion de son milieu, la perte de son prestige et de ses alliances. Cette pression sociale est exacerbĂ©e par la tradition militaire de la noblesse, oĂč la bravoure et le courage sont des valeurs cardinales. Le duel devient alors un passage obligĂ© pour dĂ©fendre sa rĂ©putation. De plus, il existe une forme de dĂ©fi Ă lâautoritĂ© royale : en continuant Ă se battre malgrĂ© les interdictions, la noblesse affirme son autonomie et sa rĂ©sistance Ă la centralisation du pouvoir. Enfin, la pratique du duel sâĂ©tend parfois Ă la bourgeoisie et mĂȘme, plus tard, Ă la sphĂšre politique et mĂ©diatique, preuve de sa profonde inscription dans la culture française.
Des peines trÚs sévÚres
LâĂ©dit de 1626 ne fait pas disparaĂźtre les duels du jour au lendemain, mais il marque un tournant dĂ©cisif dans la lutte contre cette pratique. Les peines sĂ©vĂšres, allant jusquâĂ la peine de mort, sont appliquĂ©es de façon exemplaire pour impressionner la noblesse et la dissuader de transgresser la loi. LâexĂ©cution de Montmorency-Bouteville, figure emblĂ©matique de lâaristocratie, frappe les esprits et montre que nul nâest au-dessus des lois du roi. Progressivement, le nombre de duels diminue, surtout parmi lâĂ©lite, mĂȘme si la pratique subsiste encore de façon clandestine ou sous des formes attĂ©nuĂ©es. LâĂ©dit contribue ainsi Ă renforcer lâautoritĂ© royale, Ă pacifier la sociĂ©tĂ© et Ă imposer le monopole de la violence lĂ©gitime Ă lâĂtat.
Une économie marginale
Contrairement Ă la guerre ou au mercenariat, le duel ne gĂ©nĂšre pas une Ă©conomie structurĂ©e. Toutefois, il existe une Ă©conomie de lâombre, discrĂšte mais rĂ©elle, autour de cette pratique. Les maĂźtres dâarmes et les escrimeurs professionnels voient leur activitĂ© prospĂ©rer grĂące Ă la demande de formation et dâentraĂźnement. Les armuriers fabriquent et vendent des armes spĂ©cifiques, souvent de grande qualitĂ©, destinĂ©es aux duels. Les mĂ©decins et chirurgiens sont parfois sollicitĂ©s pour soigner les blessures, voire pour assister sur place en cas de combat particuliĂšrement risquĂ©. Mais cette Ă©conomie reste limitĂ©e : le duel, affaire dâhonneur, ne vise pas lâenrichissement matĂ©riel. Au contraire, il peut coĂ»ter cher aux familles nobles, qui risquent de perdre un hĂ©ritier ou de voir leur patrimoine amputĂ© par les sanctions. Lâaspect Ă©conomique, bien que prĂ©sent, demeure donc secondaire par rapport Ă lâenjeu social et symbolique.
Le dernier duel en France
Si lâĂ©dit de 1626 amorce le dĂ©clin du duel, la pratique ne disparaĂźt pas totalement avant le XXe siĂšcle. Le dernier duel officiel en France a lieu le 21 avril 1967, opposant Ă lâĂ©pĂ©e deux dĂ©putĂ©s, Gaston Defferre et RenĂ© RibiĂšre, Ă la suite dâune insulte Ă lâAssemblĂ©e nationale. Le combat, qui se dĂ©roule dans un jardin privĂ© sous lâĆil de journalistes, sâachĂšve sans gravitĂ©, RibiĂšre Ă©tant simplement blessĂ© Ă deux reprises. Ce duel, plus symbolique que mortel, signe la fin dâune tradition sĂ©culaire, dĂ©sormais relĂ©guĂ©e au passĂ© et Ă lâhistoire.
Illustration: Constance Bonacieux s’interpose entre d’Artagnan et Buckingham, Maurice Leloir. – WikipĂ©dia
